Nothing – Tired of Tomorrow

Nothing livre avec Tired Of Tomorrow un superbe deuxième album de shoegaze aérien  et mélancolique. La musique du groupe de Philadelphie n'est pas foncièrement metal,  malgré les guitares saturées et le tempo lent proche d'un doom rock parfois, mais elle  plaira à ceux qui aiment que les émotions sombres soient occasionnellement exprimées avec subtilité plutôt qu'avec force.

Comme dit dans le chapô, Nothing ce n'est pas du metal. Il y a de la guitare, de l'ampli qui chauffe, des pédales d' effet etc. mais déjà le guitariste-chanteur et fondateur du groupe Domenic Palermo n'hurle pas dans le micro, il susurre plutôt même. Et les riffs du groupe  donnent plus envie de se laisser aller à une rêverie contemplative qu'au headbanging acharné. 

Cela pose un cas de conscience : pourquoi en parler à La Grosse Radio Metal ? Bah déjà, on m'a refilé l'album (non, j'exagère je l'ai choisi dans la liste des nouveautés à chroniquer) et  puis avouez...il arrive que vous aimiez écouter les derniers disques d'Anathema, Klone et  vous trouviez du charme à Publicist UK par exemple, signés sur le même label que Nothing  par ailleurs, non ? Cela tombe bien, la musique des Américains n'a rien à voir avec celle des  groupes cités ci-dessus mais la démarche peut être qualifiée de similaire : un peu de puissance mais beaucoup de douceur.

Nothing revient de loin, nous pouvons le dire tellement le groupe a accumulé les tuiles depuis ses débuts. Ce quatuor a été formé en 2010 par Domenic Palermo qui avait déjà un certain pedigree derrière lui, mais pas forcément dans le domaine musical.

Palermo a été membre de Horror Show, groupe punk/hardcore qui a sévi sur la scène  philadelphienne de la fin des années quatre-vingt dix au commencement des années 2000. Des débuts chaotiques qui ont abouti à l'incarcération du guitariste-chanteur pour  tentative d'homicide en 2002 durant deux ans avant d'être libéré mais placé sous surveillance judiciaire les cinq années suivantes, pas de quoi avoir envie de rigoler. Les tentatives de reformation de Horror Show ensuite ont été avortées par divers accidents, dont un mortel, des anciens membres.

Une période de remise en question pour Domenic qui a donc décidé de revenir à la musique  en fondant Nothing qui sortira une démo, Poshlost, en 2010. Au hardcore américain succède  un shoegaze aux influences majoritairement européennes qui, après la rencontre avec Brandon Setta, guitariste qui va aider Domenic Palermo à étoffer son son, va se décliner sur  deux Eps Suns And Lovers sorti en 2011 et Downward Years To Come qui lui date de 2012.

La révélation se fera en 2014 avec Guilty Of Everything, premier album proposant des chansons renouvelant réellement l'esthétique shoegaze par leur qualité d'écriture aux textes inspirés par l'expérience d'emprisonnement subie par Palermo. Ce disque a connu un succès critique considérable et Nothing a tourné énormément aussi bien dans son pays qu'en Europe, s'établissant une réputation et une fanbase solides. 

Nothing, Shoegaze,

Puis le destin s'est acharné sur le groupe. Il y a eu d'abord la perte du père alcoolique de Domenic d'un accident de vélo. Un deuil qui a été suivi d'une violente agression, en effet le musicien refusant de céder à des individus voulant s'emparer de son téléphone portable s'est  fait ruer de coups, cette bagarre l'a laissé sur le carreau et emmené directement à l'hôpital  avec notamment un grave traumatisme crânien qui aurait pu être fatal, suivi de longs  mois de convalescence. Citons aussi le scandale lié au prix augmenté de façon abusive du  Daraprim (médicament utilisé dans le traitement contre le Sida et certains cancers)  orchestré par Martin Shkreli, PDG de Turing Pharmaceuticals mais aussi patron de Collect Records. Un label qui hébergeait Nothing jusqu'à présent, contraignant le groupe  à se désolidariser de cette affaire qui fit grand bruit en claquant la porte de la maison de  disques, retardant encore les chances de sortie d'un nouvel album.

Enfin, le bassiste Nick Bassett a aussi perdu sa mère tragiquement à la veille d'une tournée et a été obligé de quitter le groupe (il a cependant participé à l'enregistrement du nouvel album et serait revenu depuis).

Autant le dire l'arrivée de Tired Of Tomorrow, disponible sur Relapse Records depuis le 13 mai, tient du miracle. Et c'est un merveilleux prodige qui prouve que les grandes oeuvres naissent souvent dans la douleur.

Par quoi commencer cet éloge ? Comment aborder un tel monument d'émotions ? Tired Of  Tomorrow est une immense rêverie mélancolique mise en musique, composée pour faire face à un destin qui se veut parfois trop fataliste. Évoquons d'abord peut-être le titre qui  possède le plus d'affinités avec le metal, ce « Eaten By Worms » qui sonne presque comme du Deftones encore plus désabusé que d'habitude. Une déchirante confession inspirée par l'hospitalisation de Domenic Palermo à la suite de son agression, pendant laquelle, alité dans un lit et bourré de médicaments opiacés il a eu l'impression que les vers allaient venir le dévorer. Le clip sanglant accompagnant ce morceau est aussi une réussite avec ce clin d'oeil à Michael Jackson mort à la suite d'une surdose du même traitement donné au leader de Nothing.

Pour le reste, la   palette  dominante est le shoegaze. Cependant  nous pensons souvent à  My Bloody Valentine comme sur « Fever Queen », titre introductif lancinant au chant  éthéré qui transporte loin et dégage une certaine puissante ou « ACD (Abcessive  Compulsive Disorder) aux guitares noisy et puissantes. « Vertigo Flowers » quant à lui (qui  a aussi bénéficié d'un clip) est un morceau aux accents pop proche de ce que pouvaient  composer The Jesus And Mary Chain et qui cependant possède un break nerveux qui  donnerait presque envie de s'adonner au secouage de nuque. Un vrai tube.

L'ombre des Smashing Pumpkins est aussi présente par moments comme sur l'agréable et  assez lourd  « Curse Of The Sun » ou la superbe ballade acoustique « Everyone Is Happy » proche des meilleures songeries de Billy Corgan.

De même, qui se souvient d'Idaho, groupe américain « indie » à l'esthétique plutôt triste et  désabusée s'étant fait remarquer au milieu des années 90 ? On croit entendre son fantôme en  écoutant les arpèges cotonneux de « The Dead Are Dumb », morceau qui possède d'ailleurs  un superbe solo de guitare en son milieu qui fait décoller très haut, vers les nuages. Il y a  aussi quelques surprises comme « Our Plague », titre qui commence sur un tempo lent,  presque monotone, et qui se termine sur un  riff sombre et lourd, proche du doom metal.

Nothing a aussi soigné certains arrangements avec par exemple l'intervention d'une chanteuse (Kylie Lotz) d'un violoncelle et d'un violon sur le doucereux « Nineteen Ninety  Heaven ». Des instruments à  cordes que l'on retrouve aussi sur le morceau final, qui donne  son titre à l'album, le déchirant « Tired Of Tomorrow », une superbe ballade au piano proche  des meilleurs titres des cultes Red House Painters dans laquelle Palermo s'épanche sur les  problèmes connus autour de la genèse de ce nouveau disque. A noter qu'il y a un clin d'oeil à  l'écrivain américain DA Levey à la fin de ce titre, les mots prononcés après le silence suivant  les dernières notes « This is what God is » faisant écho à la citation « God is nothing than a  broken record » de l'auteur controversé et maudit. Preuve de la culture littéraire conséquente  de Domenic Palermo (c'est un lecteur averti de Jean-Paul Sartre et des existentialistes  français entre autres).

Signe aussi que chez le groupe de Philadelphie, chaque détail a son importance, que peu  importe les conséquences d'un acte ou d'un événement, il faut en tirer matière à créer.

« Nothing voudrait dédier ceci à la vie, peu importe ce qu'elle est. », cette phrase écrite à la fin des crédits de Tired Of Tomorrow résume très bien la démarche artistique voulue sur ce nouveau disque. Un hymne à la vie, à la volonté de continuer à exister malgré les difficultés voilà effectivement ce qu'est cet album. On voudrait presque avoir le plaisir sadique que celle de Domenic Palermo continue à être remplie d'embûches pour qu'il continue à nous proposer de telles œuvres. Tant de maux pour autant de plaisir c'est toujours bon à prendre.

Liste des titres :
1. « Fever Queen »
2. « The Dead Are Dumb »
3. « Vertigo Flowers »
4. « ACD (Abcessive Compulsive Disorder)
5. « Ninety Nineteen Heaven »
6. « Curse Of The Sun »
7. « Eaten By Worms »
8. « Everyone Is Happy »
9. « Our Plague »
10. « Tired Of Tomorrow »

 

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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