Royal Thunder – CVI

Certaines formations sont peu connues, mais semblent pourtant destinées à être grandes. Par leur talent, par leur son hors du commun, par leur originalité débordante … tout est là, les cartes en main, et seul un petit coup de pouce est nécessaire pour se retrouver parmi les meilleurs. Tous genres confondus, par ailleurs. Si le power, par exemple, est en train de voir une flopée de groupes prometteurs pouvant prétendre à ce titre (notre cher Tib ne démentira pas cela en parlant de ses polonais préférés ici), d'autres styles voient l'arrivée de ces talents soudains, qui, sans crier gare, en surgissant de nul part, déstabilisent les déjà grands, le trône et la couronne vacillants. Et en ce jour, un nouveau prétendant vient frapper à la porte du metal. Quatre compères, à l'allure assez banale, mais entourés d'une aura mystérieuse. Trois jeunes hommes accompagnés d'une femme, ces-derniers se nommant Royal Thunder. Aucune méfiance, les gardes ouvrent la porte, et le roi, placide, ordonna à ces étranges ménestrels d'entonner les airs extraits de leur premier album, CVI. Il ignorait alors que ce brûlot renferme une étrange malédiction, et ce qui l'attend ne le laissera plus comme avant.

La musique délivrée par ce quatuor est de celle placée sous le signe du désespoir, de la mélancolie, et, comme ce premier titre « Parsonz Curse » le laisse sous-entendre, de la malédiction. Morceau écrit par la compositrice et chanteuse Mlny Parsonz pour sa mère, racontant le destin de cette famille maudite. Il y a chez le groupe américain (en provenance d'Atlanta précisément) quelque chose de particulièrement envoûtant, un charisme et un charme qui ne peuvent que glacer le sang, prendre aux tripes. Leur musique est écrite dans ces sentiments négatifs, noirs, oscillant entre un doom lent et enchanteur, et un stoner rock offrant à la musique des allures de Led Zeppelin ou de Black Sabbath (certains riffs ou mélodies ne mentent pas quant aux influences principales de nos musiciens). Mais cette croisée des styles balance également vers d'autres genres, afin d'offrir plus de richesse, d'harmonie et de diversité au propos. Ainsi, les carcans habituels sont à la fois respectés et évités, donnant une dualité étonnante à Royal Thunder : entre le prenant et la difficulté d'accès, la frontière est parfois mince et la persévérance demandée nous conduit vers un trésor inestimable.

Il y a donc ces influences, dans Royal Thunder. Ces inspirations, venues de références, de légendes peut-on même dire. Sont-elles un point faible ? C'est peut-être le seul que l'on puisse trouver à CVI. Mais en aucun cas, la facilité et le plagiat sont des voies empruntées par ces américains, qui, eux, préfèrent construite leur propre chemin, bâtir leur propre avenir, sur des briques qui, certes, portent parfois le symbole de ces grands noms, mais aussi cette marque de fabrique façonnée tout au long des dix pistes. On retrouvera des teintes Sabbath-iennes, mais aussi, sur « Sleeping Witch », une alliance entre finesse et lourdeur qui n'est pas sans évoquer Mandylion des néerlandais de The Gathering. La guitare est percutante, appuyant cette intensité que la basse s'évertue, elle aussi, à imposer. Les contrastes saisissants entre l'atmosphérique et la puissance sont bluffants, et rendent un titre comme « Drown » incontournable, par sa construction, son harmonie … et ses voyages. Le groupe ne veut pas se répéter, faire tout le temps la même chose, et verse dans le progressif si besoin est. Preuve par les modulations nombreuses au sein même des titres proposés, et des atmosphères, toutes différentes. Et ce sera comme ça dans une grande partie de la galette : entre montées en puissance, descente vers le tourment, et autres joyeusetés, tout y passe, toujours avec classe et créativité.

Royal Thunder

Méfiez-vous de l'eau qui dort ...

« Parsonz Curse » est l'archétype du morceau dont Royal Thunder est en mesure d'accoucher. C'est lent, c'est long, ça s'installe en douceur mais on reste scotché à ces riffs, ces lignes, seconde après seconde, minute après minute … le temps passe et la magie opère. D'une voix possédée à un refrain entêtant (essayez donc de vous ôter de l'esprit les douces paroles de Mlny Parsonz lorsqu'elle déclamera solennellement et, à répétition, ce refrain lors de la montée en puissance de la piste), ce titre est de facture presque classique, mais loin d'être parmi les meilleurs. Aurait-il, d'ailleurs, été aussi beau sans la présence de la singulière Mlny Parsonz ? Difficile à dire. La composition est excellente, mais le chant de cette frontwoman / bassiste, lui, l'est tout autant, si ce n'est le point fort de CVI. Cette voix est incroyable, capable d'adopter des facettes tellement variées qu'elles vous feront tourner la tête. Cette guide est la voix qui vous conduit dans le labyrinthe pour mieux vous perdre. Quand vous suivez une femme remplie de désespoir, racontant cette histoire de malédiction (« Parsonz Curse »), elle change soudainement de visage pour devenir séductrice (« Sleeping Witch »), et, une fois piégé dans ses filets, vous deviendrez son pantin, succombant à son charme (« South of Somewhere », captivante de bout en bout). Elle est presque la spécificité du quatuor, cette empreinte identifiable, et ses cordes vocales ont été forgées là où l'on dote les plus grands de leurs meilleures armes. Son timbre est chaud, parfois sensuel et parfois énervé, évoquant de temps en temps la vocaliste de Crucified Barbara.

Les morceaux feront des clins d’œil à tout le monde. Chacun trouve son compte grâce à Royal Thunder, qui joue sur tous les tableaux. Il y a même du tubesque, des morceaux quasiment radiophoniques. Oui, « No Good » se place comme une surprise, et comme un type de morceau très intéressant lorsque joué par notre formation américaine, qui sait vraiment y faire. L'oreille est accrochée immédiatement, et cette pièce se place comme une très bonne introduction, pour le curieux, à la musique du combo. Courte mais pleine de rage et de hargne, « Whispering World » atteint l'excellence. La composition est riche et fine, regorge de surprises et son refrain est impeccable. D'autant plus que Mlny, exemplaire dans ses vocaux tantôt puissants, tantôt aériens, y appose sa touche. Qui plus est, les deux susnommées ne se ressemblent absolument pas : la seconde privilégie une mise en place d'ambiances tandis que la première a pour objectif de conquérir le cœur de l'auditeur à vitesse grand V. Objectif réussi dans les deux cas, même si « Whispering World » remportera davantage l'adhésion.

Mais c'est vraiment dans les pistes longues que Royal Thunder s'exprime le plus, toujours magnifiquement, adroitement bien. « Sleeping Witch », « Snake and Shift », « Blue », « South of Somewhere » mais surtout l'incroyable « Drown » (dans laquelle on se noie avec un plaisir non dissimulé). Tant de morceaux au niveau qui laisse vraiment perplexe. Il s'agit d'un premier album, et, pourtant, quel premier album. Une question se pose ainsi : est-ce que CVI pourra survivre les générations, et s'imposer au rang d’œuvre culte ? Si le quatuor ne possède pas la renommée encore suffisante et la vague de succès et popularité qui va avec (tout en espérant que, si celle-ci arrive, le groupe américain conservera son authenticité si touchante), qualitativement parlant, la réponse à cette question est positive. Sens de la mélodie affiné, chant superbe, compositions en béton armé, et surtout le petit truc qui fait la différence, tirant l'épingle du jeu. Tout y est. Alors qu'espérer à l'avenir, si ce n'est qu'une confirmation avec un second brûlot encore meilleur que celui-ci …

Cet objectif sera extrêmement difficile à atteindre, pour la simple et bonne raison qu'en un seul opus, Royal Thunder avec son CVI place la barre haute, vraiment très très haute. Cet album ne doit certainement pas être laissé pour compte. Les écoutes répétées et attentives dévoilent encore et toujours des secrets qui ne demandent qu'à être révélés, à l'image du dernier morceau « Water Vision » laissant froid au départ mais montrant toute son attractivité. Un titre, si l'on peut le dire, qui est un peu comme ce brûlot : il s'apprivoise. Lentement mais sûrement, chaque écoute dévoile de nouvelles choses. Et même au bout d'une vingtaine de fois, il reste une durée de vie plus que longue, peut-être même intemporelle. La marque des plus grands. Et ça, le roi ne l'avait pas vu venir. Le déchu connaît ainsi son successeur, et qui aurait cru qu'il s'agirait d'une reine ? Mlny Parsonz et sa fière bande n'ont pas terminé de vous intriguer. Le pire, c'est que ce n'est que le début ...

 

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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