Dani Filth (feat. Paul Allender), chanteur de Cradle of Filth

Dans quelques jours, et en guise d'amorce judicieuse aux festivités païennes de Samhain (Halloween pour les profanes !), Dani Filth et sa troupe fétide s'apprêtent à sortir leur dixième album studio : The Manticore & Other Horrors, mettant à l'honneur comme son nom le suggère un bestiaire du meilleur goût.

C'est de bon matin que je suis allée quérir quelques menues impressions sur ce qui promet d'être un nouveau chef d'oeuvre de la part de nos amis d'outre-manche, et vous retranscrire ici-bas sous la forme d'une tapisserie de Bayeux version 2.0 le meeting avec nos gentlemen. Entretien avec un Dani volubile et fort sympathique, avec quelques irruptions plutôt drôles de son comparse Paul Allender.

Bonjour Dani ! Cradle Of Filth s’apprête à sortir un nouvel album ces jours-ci, The Manticore & Other Horrors. Quelle est l’histoire derrière ce que vous appelez vous-même votre « dixième commandement dans le metal » ?

Dani : En effet, nous nous apprêtons à sortir un dixième album studio. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un concept-album, mais plutôt d’un album évoluant autour du thème des monstres. Cependant, le mot monstre est un terme simpliste car nous évoquons ici pêle-mêle aussi bien des entités Lovecraftiennes, vampiriques, nous abordons les thèmes de la fin du monde, de la lycanthropie, et la chanson éponyme "The Manticore" concerne une créature mythique du Moyen-âge qui était perçue comme un symbole du mal, de fort mauvais augure, et plus tard est devenue la personnification même de l’Empire Britannique en Inde. Celui-ci était tout d’abord considéré comme un lion enragé, puis les Indiens ont changé son image pour l’assimiler plutôt au Manticore, soit : un oppresseur venimeux pour les provinces de l’Inde. Le tout est très métaphorique. Nous parlons également de Chtulhu (le monstre crée par le romancier américain H.P. Lovecraft). Mais aussi de démons personnels, tels l’avidité, le désespoir, et le fait de vaincre ces derniers. Ces chansons sont comme un exorcisme en fait.

C’est drôle que tu parles de démons personnels : il y a quelques jours j’ai justement fait un rêve très étrange, mettant en scène un monstre à corps de cheval qui me poursuivait et dont je devais me débarrasser à tout prix. C’était une sorte de Centaure, tout comme mon signe astrologique : le Sagittaire...

Dani : Précisément ! Le Manticore se base sur l’astrologie également puisqu’il est un mélange de trois signes : le Lion, le Verseau et le Scorpion.

Je sais que tu es Lion, alors qui donc sont le Scorpion et le Verseau ?

Dani : Et bien Paul Allender est Scorpion ! Et la troisième personne qui a écrit l’album avec nous (à savoir : Martin Skaroupka, le batteur) est Verseau justement ! Etrange coïncidence...

The Manticore & Other Horrors n’est donc pas un concept-album, mais un disque présentant un fil conducteur ?

Dani : Nos deux derniers albums étaient des concept-albums, l’un évoquant la vie de Gilles de Rais, et puis l’autre de Lilith (ndlr : les albums Godspeed On The Devil's Thunder et Darkly, Darkly, Venus Aversa - respectivement). Cette fois-ci, comme le titre le suggère justement, il s’agit en quelque sorte d’une collection. Il y a la Manticore, et puis tout un bestiaire avec lui. Il faut voir ce recueil un peu comme Edgar Allan Poe et son livre The Black Cat and other stories !

Ca fait quoi d’enregistrer une sorte de pot-pourri de thèmes plutôt qu’un concept-album cette fois-ci ? Penses-tu que cela procure une plus grande liberté artistique, ou alors es-tu plus à l’aise lorsque tu sais que tu as une trame à suivre scrupuleusement ?

Dani : Pour être honnête, c’est un soulagement d’avoir fait un album à thème cette fois-ci. Dans un concept-album, tu dois brasser intelligemment les émotions, la musique doit suivre les paroles à tout prix, et inversement, et il s’agit là d’un puzzle assez casse-tête. Tu dois avoir un ordre de récit, et tu ne peux pas te permettre le luxe de dire à la dernière minute « oh attend ! La chanson numéro un devrait plutôt être en troisième finalement ! » C’était une vraie bouffée d’air frais. Dans tous les cas, ce n’est jamais aisé car si ça l’était, alors tout le monde le ferait bien-sûr. Cet album nous a vraiment offert une plus grande liberté artistique. Par ailleurs, il faut savoir que nous avons enregistré l’album dans deux studios différents en même temps. Nous avions notre propre studio, dans lequel j’ai enregistré le chant, et puis à 16 klm de là nous avions le studio des producteurs. Nous avions mis le tout en démo auparavant. Ca s’est avéré d’’ailleurs très prolifique, dans la mesure où les chansons étaient déjà en forme au moment de passer en studio. Lorsqu'une partie de batterie était finie et mixée par exemple, je pouvais à mon tour m’atteler instantanément à poser mes lignes de chant sur la musique dans notre studio. Nous avons travaillé côte-à-côte. Nous avions plus de temps, pas de deadline à respecter. J’aime travailler sous la pression, mais je préfère tout de même être plus relax.

J’aimerais qu’on se penche un peu sur tes paroles à présent : j’ai toujours aimé les lire, et je dois t’avouer avoir appris beaucoup de mon anglais littéraire grâce à toi (ndlr : à quoi Dani s’esclaffe à ce moment « Oh God … »). Chaque chanson est telle un poème que tu nous contes. As-tu étudié pour cela ? Tu lis certainement beaucoup également…

Dani : J’ai pris plusieurs cours puis me suis spécialisé sur la langue anglaise en 6th-form (ndlr: il s'agit de l'équivalent du baccalauréat, qui se fait en deux ans, et n'est pas obligatoire en Angleterre). Je voulais faire des études de journalisme à la base, puis j’ai pris une pause. A cette époque, nous avions déjà enregistré trois démos avec le groupe. J’ai eu une année complète pour voir comment ça allait évoluer. Je m’étais fixé une année entière pour voir ce qu’il découlerait de la musique, ainsi, si rien ne s’était produit avec cette dernière, je me serais lancé dans le journalisme à plein temps (on m’avait par ailleurs proposé un poste dans un journal local), ou je serais tout simplement allé étudier à l’université. Mais malheureusement, la musique a décollé !

Pourquoi « malheureusement » ?!

Dani : Oui, parce que du coup ma vie a pris la pente descendante à ce moment-là ! Plus sérieusement, je lis beaucoup, en effet. Je trouve que c’est très important pour un chanteur, s’il veut mettre sa griffe dans la musique.

Les époques changent, les méthodes changent aussi avec. Je pense que si Poe vivait à notre époque, il ferait un peu comme toi tu ne crois pas ?

Dani : Quoi, chanter ?! Pourquoi pas ! Mais je pense plutôt qu’il serait comme Tim Burton, réalisateur de films. Mais puisque tu évoques le XIXème siècle et l’époque du Romantisme, je pense que c’était la meilleure, artistiquement parlant : les romanciers Sheridan, Le Fanu, Bram Stoker, R.L. Stevenson, H.G. Wells… Il y avait beaucoup de spiritualité en ces temps.

As-tu déjà pensé à écrire un livre ? Est-ce que cela ferait partie de tes projets pour le futur ?

Dani : Pourquoi pas ? Mais pour le moment, je n’ai guère le temps. Car si je ne m’investis pas à 100% dessus, alors je considère que c’est inutile. Mais j’y ai toujours pensé, pour tout te dire. Quand je serais plus vieux et ne pourrais plus sauter partout sur scène, alors je m’y attèlerais certainement sérieusement. Je me vois bien habiter une belle maison en bord de falaise, où j’y écrirais des livres de mon rocking chair !

L’univers visuel de Cradle Of Filth est très fort : travaillez-vous en équipe, ou est-ce que les idées viennent surtout de toi ?

Dani : La plupart des idées viennent du groupe. Par exemple, pour le dernier album nous avons trois artistes qui ont planché sur le visuel : ça résume pas mal ce qui se passe chez Cradle Of Filth, à savoir différentes ambiances sont crées pour les chansons. C’est particulièrement vrai pour cet album, vous le verrez. Nous avons prévu une image différente pour presque chaque chanson dans le livret.

Cette année vous avez également publié un album très spécial : Midnight In The Labyrinth, qui explore vraiment la dimension cinématographique de votre musique. J’ai trouvé que c’était un album intéressant pour présenter ce que vous faites à des oreilles profanes. J’ai adoré l’album, personnellement, et ne comprends pas pourquoi il n’a pas fait plus de bruit. Sais-tu pourquoi ?

Dani : Et bien, ce n’était pas vraiment un nouvel album en fait. Il s’agit à la base d’une idée que nous avons eu de sonder nos fans à travers notre site internet pour savoir quelles étaient leurs titres préférés. Le projet a commencé il y a trois ans, et s’est développé entre les tours et les concerts, lorsque nous avions un peu de temps. Ce n’était au départ destiné qu’aux fans, et il a été à tort descendu par beaucoup de critiques, qui l’ont jugé sur la base d’un nouvel album. Ils n’en ont malheureusement pas saisi l’essence… Je crois que seulement 15.000 exemplaires en ont été pressés. Peut-être à l’avenir sera-t-il pressé à nouveau. Nous n’en avons personnellement pas fait tout un tintouin. Le sujet de notre groupe est surtout d’expérimenter.

Un sujet-phare avec vous est celui de la controverse : il semblerait que vous ayez toujours pris plaisir à vous illustrer comme le groupe le plus infâme aux alentours.

Dani : Je pense que nous avons surtout attiré le scandale à notre insu, comme par exemple cette histoire avec le Vatican, que beaucoup de gens ont retenu jusqu’à ce jour. A l’époque de la tournée pour l’album Cruelty & The Beast, dont la première étape était à Rome en Italie, un photographe de Kerrang Magazine nous a emmenés en ville pour réaliser un photoshoot. Nous sommes allés dans un coin quelque peu désert pour ce-faire, mais malheureusement nous avons attiré l’attention d’agents de sécurité. Ils ont vu que l’un de nous portait le fameux tee-shirt avec la none au crucifix (cf. sur google recherche pour les incultes) et ont  aussitôt sorti leurs armes et ont commencé à faire beaucoup de bruit. Nous avons échappé de peu à la détention, car la Police de Rome a compris qu’il pourrait y avoir une émeute de la part des fans devant la salle du concert du soir, aussi ils nous ont accordé le bénéfice du doute et nous ont relâchés. C’est un bon exemple du scandale qui arrive sur nous, sans que nous ne le cherchions.

En portant des tee-shirts comme ça, tu le cherches quand même un peu non ? Ca revient à l’éternel débat du « peut-on tout montrer ? »

Dani : Oui en effet. C’est vrai que pour être honnête, rien ne serait arrivé si nous n’avions pas arboré ce tee-shirt en premier lieu. Mais je pense que c’est surtout le fait que notre claviériste de l’époque portait un habit de prêtre. A Rome, c’est illégal de porter les attributs d’un prêtre. Mais je dois admettre qu’ils marquent un point sur ce sujet : le Vatican est le centre de l’Empire Catholique, et nous ne nous trouvions pas dans n’importe quel endroit…

J’ai remarqué que tu étais assez sarcastique, et dépeignais toujours ce que tu faisais d’une manière quelque peu critique, presque auto-dévalorisante. Or, tout le monde sait qu’il faut une sacrée dose de talent pour créer le monstre que tu as en grande partie crée avec Cradle Of Filth au cours de ta carrière, c’est évident.

Dani : Je crois que j’ai appris ça de Peter Steele (ndlr : le feu chanteur et bassiste charismatique du groupe américain Type O Negative) car il était tout à fait comme cela. Il refusait de se prendre trop au sérieux. Je pense que tu dois toujours veiller à développer du recul par rapport à ce que tu fais, et surtout à garder les pieds sur terre. Ce sont, à mon sens, des conditions indispensables de survie et de longévité dans ce métier.

A l’écoute de l’album, on remarque plusieurs choses : les chansons sont plus courtes, les guitares sont assez mises en avant, il y a un certain côté punk qui se dégage, et même un certain groove. Comment décririez-vous vous-mêmes cette nouvelle approche dans votre musique ?

Dani : Cette fois-ci nous avons opté pour un son un peu plus analogique, une approche un peu plus live de notre musique. L’ingénieur du son / producteur (Scott Atkins qui a également travaillé sur l’album précédent) nous a fait travailler dans son studio perso. Nous avons aussi pas mal travaillé en résidence. A l’époque du précédent album, il nous a parlé de quelques très bonnes idées qu’il avait pour notre prochain album , aussi nous avons bénéficié de ces quelques idées d’avant-garde. Il avait déjà en tête le son que nous allions avoir sur ce nouvel album : un son plus naturel, plus organique. Nous sommes trois à avoir écrit l’album, comme je te disais : Paul, Martin notre batteur, qui fait également les orchestrations, et moi-même. Le son des guitares est plus épais, la batterie est plus vivante, et l’album renoue, d’une manière globale, avec un son de metal plus traditionnel. Je crois que le temps où l’on qualifiait Cradle Of Filth de groupe de black metal est maintenant dépassé. Nous sommes à présent considérés comme un groupe de metal extrême, tout simplement. Mais je préfèrerais que l’on nous appelle simplement Cradle Of Filth, ce serait la meilleure accolade que l’on puisse nous descerner. Les étiquettes ne sont utiles qu’aux types qui rangent les CD dans les rayons de disquaires. Et puis il y a tellement d’appellations ridicules de nos jours… Dans le temps tu faisais partie de l’une des quatre ou cinq grandes familles de metal qui existaient, et point. Ou alors ce que tu dégageais était suffisamment fort pour que l’on désigne ta musique simplement par le nom de ton groupe. Personne n’a jamais dit « ce groupe de New Wave Of British Heavy Metal nommé Iron Maiden est très sympa ! Oh et puis ce groupe de thrash de la Bay Area aussi ! »

Paul : C’est pire aux Etats-Unis ! J’y habite, et là-bas tout est étiqueté selon ces appellations ridicules. J’habite à Minneapolis.

Comme Prince ?

Dani : En fait, il habite avec Prince ! C’est son amant ! Et il a écrit notre dernier album là-bas avec lui ! (rires)

C’est donc de là que tu as choppé ton groove pour cet album ?

Paul : Non, ça c’est en moi déjà ! En revanche, nous tenons l'appellation du tout nouveau courant musical maintenant : nous jouons donc du "groove metal" chez Cradle Of Filth !

Je suggère "groove gothic literary metal" plutôt.

Dani : du "grothic" !

Pensez-vous que le climat de l’Angleterre soit un ingrédient important dans le ton et le son de votre musique ?

Dani : Oui c’est sûr, mais apparemment pas autant que pour My Dying Bride ! Ils sont très malheureux eux...

Paul : personnellement, je ne crois pas que le lieu joue un rôle. J’ai toujours composé de la même manière, même du temps où je résidais en Angleterre, vraiment.

Dani : par contre, les groupes anglais m’ont beaucoup inspirés, pour ma part. Judas Priest, Iron Maiden, Angel Witch. 

Vous prévoyez toujours des petits goodies pour les fans à chaque sortie de disque : qu’est-on en droit d’attendre cette fois-ci ?

Dani : L’album sort le 29 octobre, un peu avant Halloween. Il y aura deux versions de l’album éditées, dont un digipack avec deux chansons bonus. Nous ne sommes pas du style à composer vingt chansons pour n’en garder que douze sur l’album. Nous aimons toutes nos chansons comme nos bébés. La seule raison pour laquelle ces deux chansons finissent en bonus c’est parce qu’elles sont très similaires, en terme d’ambiance et de son, au reste de l’album.

Concernant la tournée à venir : comment se fait-il que vous ne fassiez pas d’escale par Paris pour un show ?

Dani : Oui je trouve ça étrange aussi. En fait, notre tournée Européenne a été agencée par notre promoteur qui nous vient du bloc des pays de l’est, et il a naturellement choisi des escales en Scandivanie, en Biélorussie, en Ukraine, en Pologne, quelques pays de l’est, et puis la Serbie. Il faut que les gens sachent que ce n’est pas nous qui avons décidé des étapes de la tournée, il s’agit là d’un package qui a été fait pour nous. Ceci dit, si l’album reçoit un bon retour, alors cela nous donnera la possibilité de revenir pour une deuxième tournée Européenne complémentaire, au cours de laquelle nous pourrons revenir à Paris et en France, à Bruxelles par exemple, en Grèce, etc… Il faut aussi savoir que nous avons fait pas mal d’apparitions sur des festivals d’été cette année en Europe, et les promoteurs sont toujours très frileux à l’idée de faire jouer un groupe tout seul juste après, sur sa propre tournée. Mais c’est une logique un peu étrange que je ne comprends pas bien. Alors croisons-les doigts pour que l’album soit bien accueilli !

Un grand merci à mon collègue Unna pour ses idées intéressantes.

 

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