Arjen Anthony Lucassen, pour la sortie du nouvel Ayreon


"Donnez une chance à cet album !"

La sortie d'un nouvel Ayreon est toujours un grand évènement pour les fans de metal/rock progressif. Une nouvelle fois chapeauté par le géant hollandais Arjen Anthony Lucassen, ce nouvel album séparé en deux CD et quatre morceaux épiques propose une kyrielle de nouveaux guests pour une grande bouffée d'air frais dans cet univers.

Comme de coutume pour chaque sortie d'un de ses projets, La Grosse Radio a pu converser avec l'ami Arjen au téléphone pour probablement l'une des plus longues interviews téléphoniques de notre histoire, la conversation approchant les 90 minutes...

C'est donc avec un maestro certes d'excellente humeur mais quelque peu nerveux que nous nous sommes entretenus afin d'évoquer ce The Theory of Everything prévu le 28 octobre chez InsideOut. D'autant plus nerveux que juste avant de m'appeler, Arjen s'est retrouvé confronté avec un petit problème technique sur le mastering de l'album envoyé aux Etats-Unis... souci depuis réglé (quasiment dans la foulée) par le français Brett Caldas-Lima (Kalisia, Tower Studio) qui a masterisé ce nouvel opus d'Ayreon.

Bonsoir Arjen, prêt pour notre quatrième interview ensemble ?

"Naturellement mon ami, je suis prêt pour toi !" [en français dans le texte]

Premièrement, inutile de te demander si tu te sens nerveux un peu plus d'un mois avant la sortie de l'album... il est évident que c'est le cas ! Mais par rapport aux précédents ou à ton album solo, est-ce comparable ou y a-t-il quelque chose de plus dans l'attente ?

Je ne me souviens plus à quel point j'étais nerveux avant la sortie de mon album solo, mais je le suis certainement plus aujourd'hui car il s'agit d'un nouvel album Ayreon, un gros projet qui se vend bien normalement et sur lequel beaucoup d'argent est mis en jeu.

Tu sais, je n'attendais pas grand chose de mon album solo, et au final cela s'est très bien passé avec d'excellents retours et de bonnes ventes, la maison de disque était ravie. Mais voilà, avec Ayreon la barre est vraiment haute, puis sur cet album c'est encore pire car je sais que la première écoute risque d'en laisser certains sur le carreau. J'ai quelques réactions de journalistes qui me font un peu peur, certains ont du mal à s'y habituer et ne finissent par l'apprécier qu'au bout de plusieurs écoutes.

Bref, un peu tendu donc, d'autant plus que j'ai eu quelques soucis techniques là mais je sais que Brett va les régler très vite !

Brett Caldas-Lima à qui, précisons-le, tu as confié le mastering de l'album !

Oui, et ça prouve à quel point j'ai confiance en lui car d'habitude je m'occupe de tout, absolument tout. Là je lui ai laissé cette charge de travail et il a fait un superbe boulot. Mieux que ce que je n'aurais fait d'ailleurs... ça m'embête de l'admettre car je sais à quel point il a la grosse tête, tout comme moi ! (rires)

Arjen Lucassen, Ayreon 2013

Un nouvel Ayreon avec une nouvelle histoire, dont on ne va pas de suite parler... et de nouveaux guests ! Une décision que t'as prise assez tôt mais j'imagine qu'à certains moments t'as dû regretter en te disant "oh j'aurais bien vu un tel ici mais mince je l'ai déjà utilisé"...

Non, même pas, aucun regret ou doute ! J'ai pris ma décision très tôt en effet, après la sortie du précédent (0100101), et depuis je n'ai jamais changé de cap. Je l'ai annoncé tel quel à plusieurs journalistes et j'ai toujours su que c'était là la seule condition pour la création d'un nouvel Ayreon, il fallait de nouvelles choses. Une nouvelle histoire, de nouveaux guests, mais aussi une façon différente de travailler les chansons. Je m'étais également imposé ce challenge pour The Human Equation, et les gans avaient adoré ! Après il y aura toujours des personnes qui auraient préféré ré-entendre certains chanteurs mais je voulais vraiment travailler avec de nouveaux artistes, ça m'apporte une certaine fraîcheur et une nouvelle inspiration, plus de spontanéité également.

Au final as-tu eu les "premiers choix" que t'espérais ou as-tu dû faire face à quelques désistements ?

Pour la plupart oui ! Bien sûr évidemment j'essaye à chaque fois d'avoir quelques gros noms, là encore j'ai essayé d'avoir Paul McCartney, David Gilmour, Robert Plant...
après tout on ne sait jamais, imagine qu'un jour ils disent oui !! Après évidemment ils sont très difficile à atteindre. J'ai aussi tenté Rob Halford par exemple. Mais bon sinon ceux qui sont sur l'album étaient sur ma première liste pour la plupart.

Certains ont été plus difficiles à avoir que d'autres j'imagine... qui as-tu dû le plus convaincre ?

Oui, JB de Grand Magus par exemple. Je lui avais déjà demandé pour 01011001 mais sa maison de disque m'avait répondu qu'il n'avait pas le temps, ensuite il m'avait dit que ce n'est pas trop son truc ni sa tasse de thé musicalement. Puis avec le temps il s'est rendu compte que j'étais dans un de ses groupes favoris des années 80 : Bodine. L'une de ses chansons préférées est "Black Star Rising", une chanson que j'ai co-écrite et qui a pour thème le film d'horreur The Omen. A partir de là il a reconsidéré la chose, je lui ai reparlé mais finalement il ne sentait toujours pas de venir faire un guest sur un de mes albums... au bout d'un moment, j'ai réussi à le convaincre, sauf qu'il voulait enregistrer sa voix depuis un studio près de chez lui tenu par un ami. Il n'en était pas question pour moi, sa partie était trop importante pour l'histoire et j'ai donc insisté pour qu'il vienne enregistrer chez moi ! Cela n'a pas été facile, il a d'abord une nouvelle fois refusé puis j'ai usé de mes talents persuasifs pour finalement le faire venir ici, tout simplement parce qu'il s'agissait d'un défi pour lui et que sa voix serait donc utilisée différemment ! Après l'écoute des démos, il s'est lancé, et au final il a adoré ! Il était nerveux au moment des enregistrements mais il a réussi exactement ce que je voulais qu'il fasse.

Jouons à un jeu : imagine que tu dois décrire chacun de ce guests en un seul mot... allons-y, je t'autorise ensuite à expliquer brièvement afin tes choix afin que la torture ne soit pas complète ! (rires)

Oh mon dieu... d'accord ! (rires)

Arjen Lucassen, Ayreon 2013

Commençons justement avec JB, le professeur...

Hmm... pas facile... je dirais "grosse voix" ! L'une des meilleures surprises sur l'album, peu de gens s'attendent à entendre JB ainsi je pense, ses fans seront surpris.

Sara Squadrani, la fille...

Adorable ! Et talentueuse en plus. Tu verras sur le DVD bonus, elle n'en croyait pas ses yeux d'être là au milieu de ces grands noms, elle est si touchante dans cette interview !

Michael Mills, le père...

Un génie. Super chanteur mais également un incroyable musicien, c'est un prof de guitare d'ailleurs et un vrai compositeur ! C'est étrange car parmi tous ces guests prestigieux, il était l'un des moins connu, mais pourtant c'est avec lui que j'étais le plus nerveux car j'avais peur de passer pour une quiche à côté de son talent. Il a fait un travail remarquable sur l'album !

Cristina Scabbia, la mère...

Authentique, vraie ! Dans son émotion elle y a mis tout son coeur. C'est une italienne avec beaucoup de tempérament, c'est un peu un cliché de dire ça mais c'est vrai ! Elle n'a rien de faux en elle, une fille très ouverte capable de s'adapter aux différents styles qu'on peut lui proposer. Pour moi d'ailleurs c'est ça la définition du terme "progressif", être ouvert et accepter les challenges, et c'est étrange car pas mal de gens de la scène dite progressive refusent de sortir de leur groupe pour par exemple participer à des projets comme les miens. J'ai d'ailleurs essayé d'avoir Jeff Lynne (Electric Light Orchestra) sur cet album mais il n'a jamais répondu...

Tommy Karevik, le fameux prodige...

Prodige, finalement ce mot lui va très bien aussi en vrai ! Il faut savoir que Tommy n'a jamais pris de cours de chant, ni de musique, c'est un véritable autodidacte et il se débrouille mieux que des gens qui ont des heures de leçons derrière eux ! Il est né avec ce talent, quand je pense par exemple que je dois travailler chaque note un temps fou et que lui il te sort tout ça instinctivement... ça rend jaloux (rires) ! Il s'est également beaucoup intéressé à l'histoire pour mettre un maximum d'émotion sur certains passages, il a vraiment travaillé son rôle. Dire que je ne l'ai découvert qu'avec Kamelot, il faut que j'écoute ce qu'il faisait avant avec Seventh Wonder car pas mal de gens m'en parlent... Lui par contre, il a accepté le guest de suite, en répondant à mon message une heure après environ !

Marco Hietala, le rival...

Viking ! (rires) ... il joue le méchant dans l'histoire, il a l'air d'être une vraie brute quand tu le vois, mais pourtant c'est un mec adorable ! Il a adoré ce rôle de tyran, car comme beaucoup de musiciens il a été plutôt l'objet de railleries quand il était jeune, et là il est enfin de l'autre côté de la barrière ! C'est quelqu'un qui a une excellente oreille et qui comprend de suite ce qu'on lui demande, il a une grande expérience donc c'était très facile de travailler avec lui. Le plus simple fut au niveau de la prononciation, je suis vraiment très exigeant sur ce point, et lui n'avait absolument aucun problème à ce niveau !

John Wetton, le psychiatre...

Chaleureux ! Il a un grain très chaud dans la voix, avec cet accent anglais proche d'un David Gilmour dans le style, j'adore ce genre de chanteurs ayant moi-même grandi en écoutant tous ces groupes anglais comme The Beatles, The Who, Yes, ELP, Genesis, King Crimson ou Led Zeppelin. Quant à son personnage, on peut se poser la question : est-il bon ou mauvais ? C'est très intéressant.

Au fait, on entend des growls à la fin d'une section ("The Parting"), qui en est donc l'auteur ?

En fait... personne... ou plein de gens plutôt (rires) ! J'ai pris quelques vieux growls de mes anciens albums et je les ai balancés sur ce passage, à mon avis il y a un peu de Devin Townsend, de Dan Swäno et de Mikael Akerfeldt dedans... mais chut, c'est un secret ! (rires)

Arjen Lucassen, Ayreon 2013

Il y a aussi les musiciens, parlons-en vite fait... Rick Wakeman, ex-Yes, aux claviers !

Un vrai virtuose ! On a travaillé à distance, je lui ai envoyé trois parties de piano en lui demandant de choisir celle qu'il préfèrerait faire, et il les a toutes faites ! Il n'était pas obligé, et pourtant... tout était parfait ! Quand je pense que j'adorais la chanson "Morning Has Broken" de Cat Stevens quand j'étais jeune et qu'il jouait dessus, j'adorais la partie piano... et le voici maintenant sur mon album ! Il jouait aussi sur "Life on Mars?" de David Bowie, un autre morceau que j'aime énormément.

Keith Emerson, de Emerson Lake & Palmer, toujours aux claviers...

Un rêve devenu réalité ! Extraordinaire de l'avoir sur cet album, quand je pense qu'il y a 40 ans j'ai acheté mon premier ELP alors que je n'étais encore qu'un jeune adolescent... une de mes inspirations, autant visuellement que musicalement et ce depuis très tôt dans ma vie ! J'adore ces musiciens qui mettent en scène leur musique, Keith était de ceux-ci, comme Alice Cooper ou plus récemment Rammstein. J'adore les sons qu'il utilise, par exemple cette partie jouée au Moog que l'on retrouve à la fin de "Lucky Man" (1970) et qui est devenue légendaire alors qu'elle n'était même pas prévue dans la chanson à la base. Fou non ?

Jordan Rudess, de Dream Theater, encore aux claviers...

En fait il était censé être sur 0100101, il aimait déjà ce que je faisais et notamment l'album Into the Electric Castle ! Mais il avait eu un empêchement à cause d'une tournée imprévue de Dream Theater donc j'avais du le remplacer par Derek Sherinian. Ce qu'il fait aux claviers c'est... surhumain, voilà le mot ! Que ce soit au piano ou avec ses sons claviers.

Steve Hackett, ancien guitariste de Genesis...

Génial ! Il a été des meilleurs albums de Genesis, avec par exemple Selling England by the Pound qui est mon préféré du groupe. A la suite de son départ, je n'ai plus vraiment aimé Genesis, c'est dire son importance pour moi. D'ailleurs c'est le seul du groupe aujourd'hui qui continue à faire du vrai prog en solo, avec des styles très différents. J'adore son travail et je le respecte beaucoup, c'est quelqu'un de très sympathique et drôle.

Troy Donockley, récemment intronisé membre à part entière de Nightwish, aux instruments folk... est-ce Marco qui te l'a conseillé ?

Pas du tout, rien à voir ! En fait en ce qui concerne Marco je le connais depuis cinq ans, il m'avait contacté à l'époque pour me dire qu'il aimait mon travail et j'avais même pensé en faire mon chanteur pour Guilt Machine. Mais finalement j'ai opté pour un autre style de voix ! En fait, je connais Troy depuis plus longtemps encore, il était venu jouer avec Autumn ici au Pays-Bas, et un soir nous avons passé plusieurs heures ensemble en ville... et c'est là que je l'ai vu faire ses tours de magie, c'est un vrai magicien de talent ! C'est à ce moment-là que nous nous sommes promis de jouer chacun dans nos projets respectifs, c'était il y a six-sept ans je crois.

Siddhartha Barnhoorn, pour les orchestrations...

T'es le premier qui m'en parle et c'est cool parce qu'il a eu un rôle important sur certaines parties de l'album, sur quatre chansons pour être exact. Il m'a contacté il y a quelques années, c'est un compositeur de films qui écrit aussi de la musique ambiante, il sait donc comment orchestrer ses musiques. J'adore vraiment ce qu'il fait, mais jusque là je n'avais pas eu l'occasion de m'en servir, ça ne collait pas avec ma vision de Star One, Guilt Machine ou mon album solo. Par contre pour Ayreon, je savais qu'il serait la bonne personne, et donc nous avons collaboré sur ce projet. Je lui ai donné toutes les instructions et il a cherché les bons sons tout en rajoutant quelques atmosphères. Il a tout fait chez lui et le dernier jour il est venu chez moi pour qu'on mixe ensemble avec de vrais instruments en plus.

Pour le reste de la musique, tu es resté fidèle aux Ben Mathot, Maaike Peterse, Jeroen Godssens ou Ed Warby pour ce qui est autres instruments folk/à cordes/batterie ! Un besoin naturel ?

Oui, surtout en ce qui concerne Ed, je m'imagine mal avoir un autre batteur pour mes projets désormais. Il sait exactement où je veux aller, c'est presque de la télépathie entre nous. Et à chaque fois, notre lien s'amplifie, il fait les choses de mieux en mieux... Après si un jour je sens qu'on n'avance plus dans le même sens, je travaillerai avec quelqu'un d'autre, mais je vois mal cela arriver.

Même chose avec Ben, Maaike et Jeroen, on se connait par coeur. Ils adorent ma musique et aiment travailler ensemble, c'est très important pour moi, je détesterais recruter quelqu'un qui se moque de ce qu'il joue et fait ça comme un robot. Il faut garder ce côté humain et s'amuser en studio, c'est comme ça qu'on découvre des trucs au moment des enregistrements. Par exemple, Jeroen est venu simplement pour deux parties, mais il a quand même amené tous ces instruments avec lui... et c'est là qu'il m'a sorti cette étrange flûte bambou, j'adorais tellement ce son que j'ai dû chercher un endroit pour l'inclure ! Elle a ainsi remplacé une partie de mini Moog sur "Fluctuations". Ca s'était passé comme ça aussi sur The Human Equation avec le didgeridoo sur "Loser", ce n'était pas prévu à la base.

Il faut que tout soit spontané, c'est très important pour moi, et j'évolue pas mal là-dessus. Car autant avant je voulais que tout soit millimétré comme je l'avais composé ou prévu, désormais j'écoute plus ce qu'on me propose et accepte plus facilement si une partie est meilleure qu'une de mes idées, aussi bien au niveau musical que vocal d'ailleurs.

Arjen Lucassen, Ayreon 2013

L'histoire à présent... question primordiale, est-elle venue avant la musique ou est-elle née sur quelques sons qui sont nés au préalable dans ton esprit ?

Je commence toujours par la musique, ça n'a pas changé pour cet album. Le premier thème musical que j'ai eu pour cet album est le fameux thème que l'on retrouve sur les trois parties "The Theory of Everything" ! Je suis entré en studio avec cette simple mélodie, et ensuite j'ai composé petit à petit chaque partie presque chronologiquement, ainsi je me suis vite retrouvé avec une chanson de 23 minutes ! Ca s'est fait tout seul, sans plan préalable... à partir de là, j'ai commencé à réfléchir sur une histoire. Il était évident que cela ne devait pas être quelque chose basé sur de la science-fiction. J'ai laissé la musique m'inspirer et j'ai pensé à cette histoire d'un jeune génie plus ou moins autiste qui aiderait son père à résoudre la fameuse "Théorie du Tout". A partir de là, j'ai pensé à quelques films comme Rain Man ou Will Hunting, du coup je les ai vus ou revus afin surtout de ne pas non plus trop copier ce qui avait déjà été fait par mégarde.

Ensuite j'ai parlé de l'histoire avec Lori Linstruth, ma partenaire et manager. C'était amusant car il y a toujours un moment où je voulais tourner le truc en quelque chose de bizarre ou plus ou moins science-fiction, et donc elle a dû me calmer un peu (rires) ! Ainsi j'ai imaginé le fameux Prodige comme étant une sorte d'extra-terrestre, ou bien encore le clone d'Albert Einstein, mais bon j'ai dû oublier pour éviter que ça devienne trop... trop Ayreon comme avant (rires) ! Elle a insisté pour qu'on garde l'histoire sur le plan émotionnel et humain, elle a eu franchement raison. J'ai donc écrit les paroles puis Lori a corrigé et modifié quelques parties... en fait elle a presque tout changé (rires) ! On partage le crédit des paroles de façon égale sur cet album.

D'ailleurs si le scénario est plus humain, il n'est pas forcément plus simple qu'une histoire de science fiction... Car l'être humain et ses émotions sont finalement au centre du récit ! En ce sens, cela rappelle un peu le concept de Guilt Machine.

Oui, tout à fait, tu as entièrement raison sur ce point, d'ailleurs Lori en avait co-écrit les paroles donc ça fait un vrai point commun supplémentaire.

Le coaching des guests vocaux a-t-il été différent sur cet album où pas mal de sentiments sont mis en valeurs ?

Oui, plutôt ! D'habitude je fais chanter mes chanteurs un ton plus bas et un peu "moins fort" sur mes albums, du moins ceux qui chantent assez aigu. Par exemple à chaque fois que Russell Allen venait ici, je devais un peu le calmer vocalement car il partait directement dans ses vocalises dont il avait le secret (rires) ! Je cherchais donc une tonalité plus calme et mélodique. Or là, c'est différent, j'ai plus demandé à mes chanteurs de tout donner et d'exagérer les émotions, parce qu'il se passe des choses poignantes dans cette histoire...

D'où l'intérêt d'avoir Cristina avec nous par exemple, elle est la meilleure lorsqu'il s'agit d'amplifier les émotions. Vous verrez dans le DVD, ça se voit jusque dans ses mouvements et son regard ! Au départ pourtant elle n'était pas rassurée à l'idée de jouer la Mère, elle voulait interpréter un personnage plus méchant... mais bon, elle s'est très vite appropriée le rôle je trouve.

Parlons du découpage en quatre morceaux épiques sous-divisés en 42 pistes digitales... Je sais que au fond tu as été un peu contraint à ce découpage, un compromis difficile à faire j'imagine ?

Jusqu'au bout ou presque c'était prévu que cela reste découpé en quatre gros morceaux. Puis est venu le temps où j'ai envoyé les premières démos à ma maison de disque et à mon "cercle de confiance" d'amis. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas des musiciens, mais des gens proches comme mon frère, mon ex-femme, mon ancien manageur, un ami d'enfance... et chacun était d'accord : quatre longs morceaux c'était trop "compliqué" à appréhender ! Ainsi on m'a conseillé de diviser en plusieurs sous-parties, la maison de disque était aussi plus rassurée là-dessus, il a donc fallu que je réfléchisse. Au final, ça ne change pas grand chose dans la musique, surtout si t'écoutes l'album sans prêter attention à ton lecteur CD... Alors j'ai commencé à sous-diviser chaque titre en plusieurs morceaux, au final je suis arrivé à 38 parties. A quatre près, je tombais sur 42, la fameuse réponse à "La Grande Question sur la vie, l'univers et le reste" de l'oeuvre de Douglas Adams, Le Guide du Voyageur Galactique (ou H2G2). Je me suis donc arrangé pour arriver à ce nombre en redivisant quelques parties, histoire d'avoir un beau clin d'oeil... (rires)

Et malgré cela pour les radios, un single reste compliqué à choisir ! (rires)

Je sais (rires) ! Mais j'ai fait quelques mix à part pour les compilations ou autres playlists. Par exemple le premier single sera un mélange "The Theory of Everything Part 1 & Part 2", ensuite il y a "Progressive Waves" qui sera sympa pour les fans de prog, "Magnetism" qui s'y prête plutôt bien et "The Lighthouse" également.

Es-tu d'accord au final pour dire qu'il s'agit là de l'album le plus "progressif" dans le sens noble du terme ?

Oui, très certainement. The Dream Sequencer l'était aussi, mais plus à la façon Pink Floyd. The Theory of Everything a une approche très 70s, à la Yes et Genesis. Il n'est pas aussi metal que 01011001 par exemple, je voulais un son plus clair et transparent qui permettrait à chaque instrument d'être mis en avant. Je ne voulais plus ce "mur de guitares", mais plus un feeling à la Rising de Rainbow tu sais, où on entend la guitare de Blackmore jouer sans artifices !

Allez, un mot sur la fin quand même, avec ce grand mystère final... Attention spoilers... le père qui se suicide puis vient en aide à son fils. Rêve ou réalité ? Le père et le fils enfin unis au-delà de la vie et la mort ? Et si c'était cela le grand résultat de cette "Théorie du Tout" ?

Tu sais que je ne révèlerai rien, n'est-ce pas (rires) ? Mais c'est pas mal ce que tu dis ! En tout cas chacun des titres des quatre chansons a un double sens sur cet album, par exemple "Singularity" (un prodige isolé et seul, un génie exceptionnel totalement à part / l'origine de l'univers qui porte aussi ce nom scientifique), mais aussi "Unification" (du père et du fils / l'unification propre à la Théorie de Tout).

Et ces murmures à la fin... tu as forcément une idée derrière la tête non ? J'avoue avoir cru entendre un truc du genre "Is there someone... to help me count from 0 to infinity... help me!" mais ce n'est pas évident avec les effets...

Peut-être, peut-être ! J'ai construit cet effet de murmures avec quelques samples de concerts, puis on a rajouté quelques voix plus distinctes en effet, enregistrées par Lori d'ailleurs. Et puis cette voix finale... qui pourrait être le Prodige, le Père, ou les deux unifiés à jamais !

Je sais que tu ne planifies jamais trop en avance, mais maintenant que cet album est terminé et vu qu'il offre donc une fin assez ouverte et mystérieuse... Penses-tu déjà à une suite ? Le prochain Ayreon sera-t-il forcément relié à celui-ci ?
 
Si cet album est un succès, je pense que oui, il y aura une suite et elle sera plus basée sur le côté science-fiction, je pourrai me lâcher à nouveau (rires) ! Un peu à la manière de Fringe avec des univers parallèles. Mais toujours avec ce côté humain, afin qu'on puisse s'identifier aux personnages... ce qui n'était pas possible sur 01011001 avec "Forever" qui représentait trop d'entités. En ce sens, The Human Equation était parfait, une raison pour laquelle j'ai écrit une histoire plus "naturelle" pour ce nouveau Ayreon. D'autant plus qu'à l'époque j'avais reçu pas mal de messages touchants de fans, dont certains plutôt poignants car cette histoire avait changé leur vie.

Penses-tu dans ce cas que ce serait le prochain travail sur lequel tu t'atèlerais ? Ou bien un Guilt Machine, Star One ou album solo serait envisageable pour un peu laisser reposer le projet et alterner ?

Je ne ferai pas la suite directement, c'est quasi certain, je n'ai jamais fait deux albums d'Ayreon à la suite ! J'ai mis plus d'une année et demi à compléter ce nouvel album, ce fut vraiment épuisant émotionnellement parlant, je me vois mal enchaîner de suite avec une nouvelle étape. Comme toujours, j'entre là dans ma période de "trou noir", je suis vide d'idées, surtout après un tel album... Je sais que ça ne durera pas, mais ça me fait toujours flipper ! J'ai donc besoin de faire quelque chose de différent. Peut-être que le prochain projet sera avec un seul chanteur, avec des chansons plus simples, plus dans un seul style... enfin bon on verra, je ne sais pas encore et je change souvent d'avis ! (rires)

Cela pourrait-il être un tout nouveau projet ? Ni Star One, ni Guilt Machine, ni un autre album solo ?

Oui, c'est fort possible. Par exemple une suite de Guilt Machine serait difficile à réaliser, ce serait une simple "Part II" et je n'aime pas cette idée. Puis que faire ? Parler encore de la culpabilité alors que tout ou presque a été couvert à ce sujet sur le premier ?

Ou alors changer le nom en Redemption Machine, je ne sais pas... (rires)

C'est marrant que t'en parles car j'ai aussi eu cette idée, mais je ne pense pas que la maison de disque soit d'accord avec un changement de nom sur un projet qui serait une suite. Enfin voilà, Guilt Machine est un peu une pièce unique, une suite serait compliquée à réaliser, puis garderais-je les mêmes musiciens ? Je ne pense pas... déjà je pense que je changerai de batteur, et je ne sais pas si le chanteur Jasper Steverlinck serait libre car il est devenu assez célèbre dans son pays. Après voilà, à voir...

Quant à Star One, j'en connais un d'après une interview que j'ai eu avec lui qui serait ravi d'un troisième album : Dan Swäno !

Oh oui, c'est quelqu'un de vraiment cool, il est venu d'Allemagne en voiture à ses propres frais pour enregistrer le second dans mon studio... Mais je ne sais pas si ce sera pour la prochaine fois, je ne pense pas pour le moment. Bien que je pense avoir un concept : ce serait un album sur le voyage dans le temps, il y a pas mal de films sur le sujet qui seraient une bonne base de travail.

Arjen Lucassen, Ayreon 2013

Un dernier mot sur l'industrie du disque... Ton point de vue évolue-t-il à ce sujet alors que les temps sont de plus en plus difficiles pour les musiciens ? Comment vois-tu son avenir ?

Tu sais, sur mon album solo sorti l'an passé, j'ai fait une chanson qui s'appelle "Pink Beatles in a Purple Zeppelin"... J'ai aussi fait "E-Police"... en fait ce que je pense est un peu résumé là-dedans, beaucoup pensent que j'ai écrit ces morceaux juste pour le fun mais il y a parfois un message caché derrière tout ça. Je suis d'ailleurs étonné que certaines personnes ne m'aient pas causé plus de problème que ça, je parle quand même très frontalement d'euthanasie dans l'un d'entre eux, etc !

Pour en revenir à ta question, je ne pense pas être personnellement en danger car j'ai une base de fans très fidèles. Je fais tout pour qu'ils en aient pour leur argent avec des éditions spéciales au visuel soigné, ainsi ils achètent mes produits et je n'ai pas trop de souci avec le téléchargement illégal. J'adore les gâter et je me mets en quatre pour eux afin de leur offrir le meilleur, c'est ma devise. Mon ex-femme se demandait toujours comment je faisais (rires) ! J'ai aussi cette chance incroyable qu'ils me fassent une confiance aveugle, ou devrais-je dire ici une confiance sourde (rires), car ils achètent souvent sans même connaître le contenu musical de l'oeuvre. Là encore, pour ce nouvel album, les préventes partent comme des petits pains, je suis vraiment heureux... Je pense pouvoir encore fonctionner ainsi sans problème pendant au moins 10 ans si tout va bien, donc j'ai pas mal de chance.

Ayreon a toujours connu un très bon succès commercial, j'ai donc su mettre de l'argent de côté, d'autant plus que je vis totalement reclus et que j'achète très peu de chose, je ne fais jamais de voyages coûteux, bref j'épargne beaucoup et mon argent dort et se fructifie sagement à la banque. Je n'ai pas besoin d'en gagner beaucoup plus, je peux me concentrer sur le côté artistique seul dans mon studio en étant attentif aux réactions des fans... et journalistes (rires) !

L'important est de ne jamais décevoir ses fans, et tu fais tout pour ne jamais le faire.

Oui, quand je pense que certains groupes font des albums à la va-vite juste pour rompre un contrat avec une maison de disque... ça me tue ! Et j'en connais quelques uns comme ça. Comment peut-on agir ainsi envers ses fans ? Pourtant je leur ai conseillé de ne jamais agir ainsi, les gens pardonnent rarement...

Au fond, sur le sujet de l'industrie du disque, je suis beaucoup plus inquiet pour les jeunes groupes. Il est évident qu'aujourd'hui tu ne peux plus gagner ta vie en faisant de la musique, c'est terminé. J'ai encore la chance de pouvoir, certains dinosaures le font aussi, mais pour les nouveaux venus c'est devenu un passe-temps, tu dois travailler à côté pour te permettre de créer.

A toi le dernier mot, que dirais-tu à tes fans avant l'écoute de ce The Theory of Everything ?

S'il vous plait, donnez une chance à cet album. A sa première écoute, il risque de vous paraitre chargé et de vous surprendre, mais avec le temps il y a beaucoup de choses à découvrir. C'est toujours mieux qu'un album qu'on aime de suite et qui nous lasse avec le temps. Vous serez récompensés si vous lui donnez de l'attention, j'en suis persuadé !

C'est un peu ma crainte actuelle à une époque où tout va trop vite, où les gens n'ont pas le temps de se poser pour écouter, que cet album soit un peu incompris et vite délaissé. Il faut prendre ce disque comme une aventure musicale, à l'image de son histoire... peut-être ne pas l'écouter d'une traite de suite, je ne sais pas, mais ne pas paniquer lorsqu'on le lance pour la première fois.

Bon courage en tout cas, ne sois pas trop nerveux ! (rires)

Je vais essayer... *soupir* (rires)

 

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