Rémi Gallego, l’homme derrière The Algorithm

"En concert, mon but est de détruire mes morceaux !"


Lors de son dernier passage à Paris, La Grosse Radio a pu s'entretenir avec Rémi Gallego, le maître à penser de The Algorithm, ce projet mélangeant métal et sons électroniques. Ensemble, nous sommes revenus sur son parcours un peu hors du commun, sa méthode de composition, ses coups de coeur musicaux récents, entre autres...

Pour commencer, comment t’est venue cette idée de mélanger métal et musique électronique ?

Je faisais partie d’un groupe de métal quand j’avais 16, 17 ans et j’étais guitariste. C’était plus orienté métal progressif à la August Burns Red, par exemple, ou As I Lay Dying. Et quand le groupe s’est arrêté, je me suis retrouvé tout seul à Toulouse, et je voulais continuer de faire de la musique. Donc j’ai fait de la musique sur mon ordinateur, et j’ai commencé à découvrir tous les logiciels, les outils permettant de travailler sur ordinateur. C’était complètement nouveau pour moi, mais je m’y suis intéressé, parce qu’en même temps, je faisais des études d’informatique. Ca m’a permis de comprendre les logiciels assez facilement. Après, je crois que l’idée derrière The Algorithm, c’est parti d’une blague, plus ou moins. J’avais écrit un morceau de métal, et au bout d’un moment, ça partait en techno kitsch, un truc un peu naze.  C’était pour la blague quoi, pour faire rire mes potes. J’ai fait un morceau comme ça, puis j’en ai fait deux, trois, et j’ai commencé à trouver une espèce de lien entre métal et musique électronique. Et c’est à ce moment là que j’ai commencé à écouter des artistes comme Aphex Twin ou Squarepusher, ce qui m’a donné pas mal d’inspiration pour créer The Algorithm.

Justement, d’où tires-tu ton inspiration ?

Bah des artistes comme ça justement, en particulier Aphex Twin, dont je suis un grand fan. Dans le métal, ça serait plus Veil of Maya, After the Burial, Between The Buried and Me… Beaucoup de métal progressif moderne, au final. Il y a aussi Igorrr, qui est absolument génial, et la musique psychédélique des années 70, et même es trucs un peu kitschs de la musique des années 80. La science fiction m’inspire pas mal aussi, donc tu vois, c’est tout un amalgame de choses, et il n’y a pas forcément un artiste qui m’a fait dire « je veux faire ça ! ».

Comment est-ce que tu composes ?

Euh… Avec un ordinateur ? [rires] J’ai pas forcément de manière calculée de faire les choses. J’allume juste mon PC, mon Ableton Live et j’essaye de faire des choses.  Dans ma manière de composer, ce que j’aime bien, c’est, à chaque fois que je crée un rythme ou une mélodie, essayer de le faire différemment de ce que j’ai fait avant. Par exemple, si je m’amuse à faire un rythme métal, je vais me dire « Ok, j’ai fait un rythme comme ça, qu’est-ce que je n’ai pas essayé ? » Je n’ai pas ajouté un saxophone en même temps, ou mis un violon de cette manière… C’est vraiment cet état d’esprit d’essayer de nouvelles choses à chaque fois. C’est comme ça que je trouve mon inspiration. J’arrive pas à faire des morceaux forcément « normaux », je les fais toujours à ma sauce. Et si on m’imposait de faire un morceau pop de 5 minutes, je n’y arriverais pas, parce que moi, il faut que ça bouge partout ! C’est un peu comme ça que j’y arrive.

Est-ce que tu arrives à retranscrire les idées qui te passent par la tête grâce à l’ordinateur ?

Oui et non. Disons que, en général, quand j’ai une idée, j’essaye de la transposer.  Je vais finir par vouloir améliorer l’idée tout le temps. C’est une autre de mes manières de composer : je vais par exemple écrire dix secondes de musique, et je vais passer une heure sur ces dix secondes.  Le lendemain, je vais revenir sur ces dix secondes, et je vais repasser une heure dessus.  Et je vais faire ça pendant plusieurs jours, ce qui fait que l’idée de départ va être complètement différente du résultat final. Disons que… Je sais pas exactement ce que je fais quand je compose ! Enfin, je sais ce que je fais, mais je n’ai pas une idée claire de ce vers quoi je me dirige. J’essaye des choses, j’expérimente. J’écoute le résultat, et si ça me plaît tant mieux, sinon, je continue d’essayer.

Donc comme tu me l’as dit, The Algorithm, au début, c’était toi dans ta chambre avec ton ordinateur. Comment es-tu passé dans le cercle professionnel avec albums et tournées ?

Alors, quand j’ai commencé, j’ai mis pas mal de démos en téléchargement gratuit sur internet. En fait, c’est grâce à un réseau de musiciens, qu’on appelle maintenant le djent, et qui sont issus de la scène métal progressif moderne, surtout  basée en Angleterre, mais également très internationale. Et j’ai rencontré une personne qui s’appelle John Sprich. C’est l’organisateur du festival Euroblast en Allemagne, et il avait écouté mes démos. Il m’a proposé de jouer au festival Euroblast en 2011. A l’époque, j’étais seul sur scène, et c’est également à l’occasion de ce festival que j’ai rencontré Mike Malyan de Monuments. J’ai aussi rencontré les gens du label Basick Records, qui m’ont proposé un contrat le jour-même de mon concert à l’Euroblast. Donc voilà, si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à John. J’ai beaucoup de respect pour lui, et c’est mon manager maintenant. Le fait d’avoir noué des contacts par Internet et d’avoir mis mes chansons en partage libre m’a beaucoup aidé, mais tout s’est passé assez naturellement, avec le recul.

Alors j’ai recueilli quelques questions de fans, la première est la suivante : est-ce que tous les boutons que tu tournes en concert servent à quelque chose ?

[rires] C’est une question qui revient souvent ! C’est vrai que c’est pas évident pour moi de rendre The Algorithm facile à comprendre et à écouter, parce que c’est que de la transmission de signaux MIDI. En fait, en concert, mes morceaux sont divisés en un ensemble de pistes : synthé, basse,  beats électroniques, les effets, etc… Les morceaux se jouent tout seul, et de mon côté, j’applique des effets en rythme avec la musique. Il y a un ensemble de filtres, des beats réducteurs, des overdrives, des reverbs,  des delays, beaucoup de choses comme ça. Mon but est d’appliquer les effets avec la plus grande précision rythmique possible. Donc c’est pas toujours obligatoire d’appliquer l’effet, mon but étant de détruire mon morceau en live. Le morceau se joue, et je rajoute une couche par-dessus, le rendant encore plus complexe en live, en fait. Quand j’étais jeune, j’étais guitariste, et j’aimais les musiciens vachement techniques, qui bougent leurs doigts partout. Mon but, au final, c’est de transposer cet esprit là, et d’arriver à faire quelque chose de technique, avec des instruments électroniques.

Depuis quelques temps, tu fais des concerts avec un batteur et un guitariste. Pourtant, certaines de tes chansons sont très techniques et bizarres. Selon toi, est-ce que l’ensemble de tes chansons peuvent être jouée dans cette configuration ?

Hum, je pense oui, tout est possible. Après, c’est vrai qu’il y a certaines programmations de batterie qui sont totalement inhumaines, et il faudrait trois batteurs jouant chacun une partie pour que ça puisse être joué en concert, ce qui est un peu débile. Il y a donc un travail d’interprétation. Mike a une manière d’interpréter qui est très humaine finalement, à la fois fidèle et personnelle. Et c’est pareil pour Max Michel (guitare), il joue d’une manière très à lui, et en même temps, il rejoue exactement ce que j’ai programmé sur ordinateur. Donc pour moi, c’est possible, tout dépend de l’interprétation des musiciens. Le but n’est pas de coller le plus exactement possible à la version studio, il faut aussi que les musiciens puissent s’exprimer en concert. Ca sonnera d’une autre manière, mais pas forcément moins bien. J’ai donc deux approches différentes en studio et sur scène.

Justement, est-ce que le fait que tes compositions ne soient pas jouables par un être humain te dérange ?

Non ! [rires] C’était un peu ça aussi l’idée de The Algorithm. Quand on voit le métal maintenant, il y a des choses extrêmement techniques et difficiles à jouer, et des groupes hallucinants. Moi je me suis dit : « je suis tout seul, je vais composer des choses inhumaines sur l’ordinateur puisque j’en ai la possibilité ». Ca ne me dérange pas non, ça m’amuse plus qu’autre chose !
 

Rémi Gallego, The Algorithm, interview, 2014,


Avec le recul, quels sont les conseils que tu aurais aimé recevoir à tes débuts ?

Je me suis jamais vraiment posé cette question ! Peut être  utiliser plus de compresseur ! [rires] Hum, je pense qu’il ne faut pas faire trop vite confiance aux gens. On est tous un peu naïf, et c’est mon cas. Par exemple, j’ai signé mon contrat avec Basick Records sur un coup de tête, et avec le recul, je me dis que c’était une belle connerie, heureusement ce que sont des gens de confiance, justement. L’industrie de la musique est vraiment particulière, et il faut être bien organisé pour s’en sortir. Et c’est vrai que j’aurais sans doute aimé l’être plus tôt dans ma carrière. Je fais des efforts à ce niveau-là, mais tout va tellement vite que ce n’est pas toujours facile.  J’ai pas de salaire, et je dois tout gérer moi-même.

Tout à l’heure, tu as mentionné la scène djent, qui veut à la fois tout et rien dire. Le courant regroupe des musiciens inspirés par des groupes comme Mesuggah ou Textures, qui se retrouvent tous les ans à l’Euroblast, etc… Qu’est-ce que tu penses de ce courant, dont tu fais partie aussi, indirectement ?

Oh, je trouve ça très bien. Je vois ça comme une communauté d’artistes. C’est à la fois ça et un son, qu’on le veuille ou non. La communauté, c’est vraiment super, parce qu’on est tous très proches, et il y a une belle solidarité dans le mouvement. Ca rassure énormément, il y a beaucoup de sécurité là-dedans. Ca va paraître un peu élitiste de dire ça, mais la plupart des gens qui écoutent ce genre de musique ne sont pas bêtes, ce sont des gens intelligents, et c’est toujours intéressant d’avoir des discussions avec eux. Pour le son, j’essaye de rester en dehors, surtout que je n’écoute plus beaucoup de métal. J’écoute plus de musique électronique maintenant, mais je n’écoute que peu de djent, à part certains groupes comme Dead Letter Circus que j’aime beaucoup. Après, cette histoire d’étiquette revient tout le temps, et les gens passent leur temps à classer les groupes, et c’est ça qui me gêne justement. Moi, j’essaye de faire de la musique sans catégorie, et me faire catégoriser comme ça, ça me dérange un peu.

Depuis deux, trois ans, certaines personnes commencent à dire que le djent a beaucoup de mal à se renouveler d’un point de vue crétif, qu’en penses-tu ?

Comme je te l’ai dit, je ne suis plus vraiment ce qui se fait là-dedans. Je sais qu’il y a quand même beaucoup de choses intéressantes à écouter. Par exemple, Monuments est en train d’enregistrer un nouvel album, dont j’ai pu écouter des extraits, et c’est vraiment cool ! Justement, ils arrivent à casser les limites et à créer quelque chose de nouveau. Après, dans les artistes amateurs, c’est vrai qu’il y a beaucoup de copie, ce qui est un peu dommage. A l’opposé, tu as un gars comme Cloudkicker, que je respecte énormément, parce qu’il a réussi à avoir une discographie très diverse, en arrivant à casser certaines limites, et je pense que c’est un état d’esprit qui devrait se garder dans ce genre de scène. Il faut arriver à surprendre les gens, et pas rentrer dans des clichés.
 

The Algorithm, interview, Rémi Gallego, 2014, français, Polymorphic Code,


Est-ce que tu as commencé à travailler sur un nouvel album ?

Oui et non, toujours. Les temps sont difficiles, parce que je suis souvent en tournée, et j’ai pas trop eu le temps de me poser pour composer. J’essaye vraiment d’expérimenter, dans le but de proposer quelque chose de différents pour la prochaine sortie. En fait, il y  a un EP qui va sortir, durant l’été 2014 je pense. Sinon j’essaye de plus en plus de me diversifier, par exemple dans le jeu vidéo, ou écrire de la musique pour la télévision. J’ai par exemple produit 10 chansons pour la chaîne ESPN USA, qui vont être utilisées pour un programme sportif bien stylé, ce qui est une sacrée opportunité. Et pour les jeux vidéos, je suis en train de bosser avec un gars qui est en train de créer un espèce de tetris en 3D, basé sur le rythme. C’est vraiment très intéressant, c’est encore en phase de développement, il y aura beaucoup d’interaction entre la musique et le jeu… Bref, ça promet !

Quels ont été tes albums préférés de 2013 ?

Asymmetry de Karnivool. Pour ceux qui ne connaissent pas, je leur conseille vraiment ce groupe australien. Leur premier album est excellent aussi ! En electro, il y a un type qui s’appelle Clark qui a sorti un superbe album de remixes sur le label Warp records.

Quels sont tes objectifs pour cette année ?

Comme je te l’ai dit, il y a l’EP, le jeu vidéo, et ce projet avec ESPN. On va aussi essayer faire avancer nos concerts. Max Michel est parti à la Berklee College of Music en janvier. C’était vraiment une très bonne expérience, on s’est bien amusé. La prochaine étape est de se reconcentrer sur des concerts à deux avec Mike, et essayer d’avoir plus d’interaction entre lui et moi, et avec le public.

Dernière question : est-ce que tu as un mot pour nos lecteurs et tes fans français ?

Un mot ? [rires] J’ai un nom de personnage : Cyril Giraud. Si vous cherchez ce nom sur Facebook, vous allez vachement vous marrer.

Interview réalisée par Tfaaon
 

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