Bill Kelliher, guitariste de Mastodon, au Main Square 2014

"Je ne veux pas être un Beach Boy métal, mais..."

Le passage de Mastodon au Main Square festival était l'occasion idéale pour nous entretenir avec les membres du groupe, et échanger sur leur nouvel album Once More 'Round The Sun. Nous avons donc pu parler avec Bill Kelliher, guitariste rythmique du combo, qui a répondu exhaustivement à nos questions sur le nouvel opus, mais aussi d'autres projets de son cru ou entrepris avec ses comparses.

Il semblerait que le nouvel album va dans la même direction que The Hunter, mais encore plus loin en termes de mélodie. Est-ce que tu es d’accord avec cela et comment l’expliquerais-tu ?

Oui, je suis plutôt d’accord ! Je dirais que nous avons incliné la barre du navire environ cinq degrés vers une autre direction. Je pense aussi que nous nous sommes plus concentrés sur les mélodies vocales, et que nous avons fait un album de rock plus cohésif, avec des éléments psychédéliques. Tu sais, dans la plupart des groupes que je préfère, les guitares sont accordées très bas, et tout ce que cela implique en terme de lourdeur, mais c’est toujours la voix qui porte la chanson. Le chant fait la chanson, c’est vraiment ça ! Nous avons vraiment travaillé dur sur cet album. J’ai personnellement passé beaucoup de temps à écrire ces riffs, ces chansons. Tu peux passer tes journées à écrire des riffs qui a priori sont ennuyeux et simplistes, mais si tu y ajoutes des parties de chant uniques, c’est là que la chanson prend vie. Tu vois, des groupes comme Black Sabbath, Soundgarden, Ghost, ils ont de belles parties vocales. Ce n’est pas du cri, c’est juste du chant clair. Je pense aussi à King Diamond, même si c’est un peu plus technique, les premiers albums de Weezer, les Beach Boys… J’adore ces groupes ! Et on a essayé de faire ça, mais en version métal.  Je ne dis pas que je veux être un Beach Boy métal, mais j’aime vraiment entendre des guitares lourdes avec une belle voix par-dessus ou une harmonie vocale. Et nous avons ventilé notre musique, également. On ne s’est plus tiré les cheveux sur des  intros ou outros ébouriffantes, ou sur ajouter des parties qui n’étaient pas nécessaires aux chansons. Chaque riff, chaque section de cet album est là pour une bonne raison et a été pensée ainsi. Nous avons voulu cet album très condensé et direct, à l’exception peut être de « Aunt Lisa » et « Diamonds in the Witch House », qui ont une structure plus fouillée… Mais c’est ainsi que ces deux chansons ont vu le jour !

Les compositions sont aussi plus accrocheuses, et moins complexes. Est-ce que tu penses que Mastodon n’écrira plus de musique extrême et complexe ?

Oh non, je ne pense pas ! Tu sais, je pense que chacun des albums que l’on écrit et enregistre est un aperçu de nos vies, et de comment on se sentait au moment où il a été fait. Donc tout dépend de cela, de ce que l’on écoute à ce moment, et des autres choses qui nous influencent.  Mastodon a toujours été ouvert à tout type d’orientation musicale, que cela soit technique ou pas. Et d’ailleurs, pour moi, cet album a toujours une grosse touche progressive, même si des gens peuvent penser « Oh non, ils sont en train de tout simplifier ! ». Je ne pense pas ça, bien au contraire, je pense que c’est plus difficile d’écrire ainsi ! Et c’est plus facile d’écrire tout un tas de musique barrée, et de beugler par-dessus. Si tu te poses, et que tu commences à vraiment réfléchir sur ta musique, et que tu fais le tri, là, ça commence à devenir compliqué : « ce riff sera le couplet, celui-là sera le refrain, cette partie sera cela, etc… ». Procéder de cette manière est vraiment complètement différent, et, pour nous, plus difficile à mettre en place, parce que nous n’y sommes pas habitués. Notre groupe est plus habitué à écrire des chansons à l’instinct, et je ressens qu’avec chaque album, on s’améliore un peu plus. Et je ne sais pas quelle direction prendra le prochain album, peut être que nous recommencerons à écrire de la musique alambiquée avec des métriques bizarres, peut être qu’on va faire du jazz,  je n’en sais rien !

 

Maintenant, tu es le seul membre du groupe qui ne chante pas, au moins sur album. Est-ce que tu penses t’y mettre ?

[rires] Je ne sais pas ! J’essaye de chanter en concert, mais sur album, quand j’essaye de me mettre à écrire des paroles ou chanter, il y a déjà trois autres types qui s’occupent de cela, et du coup, et tout est rapidement déjà écrit, faisant que je n’ai jamais vraiment à m’y mettre. Mais je sens que je peux être un bon chanteur, quand je m’y mets. Donc, avec un peu de chance, ça devrait se faire !

The Hunter et Crack the Skye ont des titres qui ont une signification personnelle très forte pour le groupe, est-ce que c’est le cas pour ce nouvel album ?

Oui, je pense que tous nos titres d’album ont une signification personnelle pour nous. Once More 'Round The Sun, c’est tout simplement les 365 jours qu’il faut à la Terre pour faire le tour du Soleil, et ça fait référence à l’année que l’on  a passé à écrire et à se concentrer sur cet album. Et pendant cette période, chacun de nous a du faire face à certains problèmes, des évènements malheureux, ou heureux d’ailleurs… Certains ont vraiment du faire faire à des choses compliquées : des membres de famille qui décèdent, d’autres problèmes familiaux, de santé… La vie qui passe, tout simplement, et des choses qui arrivent à n’importe qui.  Cet album est un moyen pour nous d’évacuer cela et cette année difficile, d’une manière cathartique. Cela a servi d’inspiration pour des paroles, plutôt que d’être gardé à l’intérieur.

Encore une fois, vous avez travaillé avec Nick Raskulinecz comme producteur. Pourquoi avoir fait un tel choix ?

Eh bien, il a toujours été dans notre liste restreinte de producteurs avec qui travailler. Nous avons d’abord demandé à d’autres, mais ils n’étaient pas disponibles. Nous les avons tous appelé, et à ce moment,  Nick est venu vers nous en disant qu’il était libre et qu’il avait envie de travailler avec nous. En fait non, il n’était pas libre, mais il nous a dit : « si vous avez vraiment envie de bosser avec moi, et que moi j’ai envie de bosser avec vous, je vais mettre mes autres groupes en attente, et me libérer pour qu’on puisse le faire. ». Nous avons donc saisi l’occasion !
 

Bill Kelliher, interview, français, Mastodon, 2014,


Comment décrirais-tu  votre relation professionnelle ?

Ca c’est très bien passé avec lui, encore une fois. C’est une relation très saine, il est facile de parler et échanger avec Nick. Il partageait beaucoup de nos idées, et les directions que nous voulions prendre avec le groupe, y compris pour le son et les chansons. Si je disais : « tiens, j’ai bien envie d’essayer ça », il répondait souvent : « oui, oui, tu as raison, c’est une bonne idée ! » Il a été un excellent meneur pour nous, et cela dès le début du processus. Il faisait quatre heures de voiture de Nashville vers Atlanta pour venir à mon studio, et nous écouter jouer, nous donner des idées. Il était avec nous en studio, et s’impliquait vraiment à fond, il headbanguait quand ça lui plaisait, il disait à Brann là où il pensait qu’il fallait mettre les accents, « Ici, tu devrais jouer un solo de guitare »… En général, on sent ce genre de chose venir de nous même, mais l’avoir avec nous a rendu la tâche plus facile. J’aime vraiment Nick, et c’est un bon ami maintenant.

Vous avez accompli beaucoup de choses avec Mastodon maintenant. Est-ce qu’il y a  toujours des choses que tu as en tête et que tu aimerais faire avec ce groupe ?

Hum, je ne sais pas. Et c’est vrai qu’on a fait beaucoup de choses ! On a énormément tourné, dans beaucoup de pays, mais il reste beaucoup de pays dans lesquels nous n’avons pas encore joué. J’aimerais que nous arrivions à jouer en Asie, en Chine par exemple, ou faire une vraie tournée sud-américaine, revenir en Islande.  Mais globalement, beaucoup de choses sont déjà cochées sur la liste, tu sais. Notre nouvel album marche vraiment très bien en ce moment. Actuellement, on est premier au Royaume Uni et sixième aux USA, et ça serait vraiment cool d’être numéro 1 des charts rock aux USA. (NDLR : chose qui a été accomplie depuis le jour de l’entretien)

J’ai lu récemment qu’il y avait possibilité que quelque chose se fasse entre toi, Mickael Akerfeldt de Opeth et Björn Gelotte d’In Flames. Tu peux nous en parler ?

Ouais, je crois que les gens se sont un peu surexcités sur cette histoire. En fait, quand on a tourné avec ces gars, je leur passais des riffs que j’écrivais sur la route avec Pro Tools, pour qu’ils y ajoutent leurs trucs et qu’ils me les renvoient, et qu’on fasse ce genre de ping pong jusqu’à obtenir de vraies chansons. L’idée est d’en faire un album un jour, toujours sur ce principe d’échange, mais je ne sais pas quand cela arrivera. Je ne vais pas pousser pour que ça se fasse, je veux que ça reste un processus naturel.

 

Mastodon a déjà écrit de la musique pour un film, celui-ci étant Johan Hex. Est-ce que tu penses qu’écrire de la musique de film est aussi intéressant que d’écrire « normalement » pour faire un album ?

[il hésite] Hum, je ne pense pas. Je veux dire, c’est marrant et sympa à faire, mais je crois que je préfère écrire notre propre musique, qui est avant tout destinée à nous quatre. Quand tu écris ta musique, c’est ta vision, ton interprétation qui s’impose, ce qui n’est pas le cas pour de la musique du film de quelqu’un d’autre. Donc ça va être : « hé, ça c’est une scène de combat, écris quelque chose de lourd ! ». Tu es vraiment dirigé dans ta manière de composer, un peu comme un singe savant auquel on donne des ordres : « vas-y, faire un tour ! ». Mais j’ai malgré tout bien aimé le faire.

Donc tu recommencerais l’expérience si tu en avais l’occasion ?

Oui, c’est sûr et certain ! Je voulais juste dire que c’est quelque chose qui est moins intime que d’écrire un album pour toi-même.

Je me souviens qu’au moment de la sortie de Crack The Skye, vous aviez l’intension de sortir un film, un peu comme The Wall, avec la musique de l’album. Est-ce que vous prévoyez toujours de le faire ou pas ?

En fait, l’idée initiale de faire un vrai film était bien trop coûteuse. Et à la place, nous avons fait réaliser un film animé, qui était joué sur l’écran derrière nous pendant les concerts. C’est un film muet, qui raconte l’histoire de l’album chanson après chanson.  Voilà le film de Crack The Skye.

Encore une fois, votre album est illustré par une couverture très travaillée et détaillée. Peux-tu nous raconter l’histoire de cette couverture ?

C’est fait par un artiste qui s’appelle Skinner, un ami du groupe. Nous lui avons donné quelques indications pour lui donner un aperçu de ce que nous souhaitions, de quoi parlaient les chansons, et ce nous voulions de lui. Il a commencé à faire des croquis, et ça a donné progressivement l’artwork qu’on trouve sur l’album aujourd’hui ! C’est probablement différent pour chaque personne, mais pour moi, la créature à gauche représente le bien, comme un ange, et celle de gauche représente le mal, le diable, en quelque sorte. Ca montre l’équilibre qui entre le bien et le mal dans la vie, et comment trouver sa place dans ce monde fou et chaotique.
 

Sur la chanson « Aunt Lisa », on peut entendre un chœur d’enfant…

[il réagit rapidement] Ce ne sont pas des enfants, mais des femmes.

Ah d’accord. Eh bien ce chœur de femmes pourrait faire furieusement penser au refrain de « Another Brick in The Wall Part II » de Pink Floyd. Est-ce que c’était voulu ?

Ah, je n’y avais pas pensé ! Mais en tout cas, j’aime cette association. J’adore Pink Floyd, comme tout le monde dans le groupe en fait.

 

On peut remarquer que c’est un des rares moments de l’album avec des jurons. On peut d’ailleurs étendre cela à toute la discographie de Mastodon, puisque vos paroles ne comportent quasiment jamais de jurons, comment l’expliquerais-tu ?


[d’un air facétieux] Je ne sais pas. De quoi parles-tu ?? [rires] En fait, on ne ressent pas vraiment le besoin de jurer dans notre musique. Jusqu’à  très récemment, l’album The Hunter pour être précis, il n’y avait aucune vulgarité dans nos paroles, mais on trouve un juron dans cet album, et quelques autres dans le nouveau. Je suppose que quand un musicien commence à écrire quelque chose de vraiment intense, il peut ressentir le besoin de jurer, s’il se plonge à fond dans sa chanson et l’émotion qu’il veut véhiculer. Personnellement, ça ne me dérange pas, et de toute façon, je n’ai pas écrit les paroles !

Qu’écoutes-tu comme genre de musique ces derniers temps ?


En tournée, j’ai vraiment peu de temps pour écouter beaucoup de musique. Je vais souvent écouter les groupes avec lesquels on joue. Il m’arrive de faire du jogging, auquel cas, j’écoute Baroness, Kvelertak, le dernier album des Queens of the Stone Age que j’adore, Metric, Bad Brains, Black Flag, donc pas mal de punk aussi. Il n’y a pas grand-chose de vraiment nouveau-là dedans, c’est vrai, à part peut être le dernier album de Red Fang, qui est vraiment excellent ! J’aime aussi beaucoup Deftones, et  leur dernier album. On vient de jouer avec eux en Russie, et c’était vraiment un plaisir de les revoir !

Et est-ce qu’il y a un groupe qui t’a vraiment botté le cul cette année ?

[silence] Hum, je ne vais pas être original, mais Gojira est vraiment bon !

Est-ce que tu as un mot pour les fans français de Mastodon ?

J’aimerais dire « merci beaucoup » ! [prononcé en français] J’espère que tout va bien pour vous ici. N’oubliez pas de vous hydrater en concert, particulièrement aujourd’hui quand c’est très ensoleillé. Evidemment, nous aimons la France, il ya de la bonne nourriture, de belles femmes…  Et nous avons hâte de revenir pour une tournée en tête d’affiche, ce qui devrait arriver vers novembre-décembre de cette année normalement ! Et n’oublier pas de choper notre nouvel album !

Entretien réalisé par Tfaaon

Photo live : © 2014 Elise Schipman / http://www.schipmanelise.com/
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.
 

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