Aziz Boukote meets Manjul – Link up

On ne le dira jamais assez : le reggae trouve une partie de ses influences en Afrique. Si la Côte d'Ivoire a fourni les deux représentants les plus connus (Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly) à l'échelle internationale du reggae made in Africa, La Grosse Radio va s'arrêter aujourd'hui dans deux pays voisins, le Sénégal et le Mali.

Ainsi, l'album Link up (sorti en septembre dernier) est le fruit de la collaboration entre deux Africains d'adoption, Aziz Boukote et Manjul.
On ne vous présente plus Manjul, le génial producteur, musicien et ingénieur du son, originaire de Barbès et installé à Bamako depuis plusieurs années déjà et qui a collaboré avec Salif Keita, Amadou et Mariam, Danakil (cf le très réussi Entre les lignes dub), et j'en passe.

Par contre, nous allons nous pencher un peu plus sur Aziz Boukote. Lui aussi est Francilien, de Versailles plus précisément (comme quoi cette ville n'a pas uniquement produit des artistes électro) et lui aussi est un expatrié. Il s'est fixé la brousse en Casamance au Sénégal comme point d'accueil. Son studio a, par conséquent, été baptisé Studio Brousse et son label Brousse Factory, label sur lequel est sorti cet album.
En 2007, il sort un excellent premier album, Guidance, avec la complicité de Malik Boulibaï, l'animateur et producteur des regrettées Boulibaï Vibrations sur France Inter. Oscillant entre reggae, afrobeat, musique mandingue et même jazz, Guidance pose les bases de ce que deviendra Link up (même si celui-ci est beaucoup plus roots). En effet, le groupe qui le backe, Boukoto Mango Band, se présente comme un "orchestre AfroLatinoJazzyFunky Reggae Music". Je vous recommande vivement l'écoute de cet album, en particulier la trompette de Dan Rosow.

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C'est donc en 2012, alors que Danakil est en tournée en Casamance, qu'Aziz Boukote fait la connaissance de Manjul. De cette rencontre résultera la création de Link up. Aziz Boukote meets Manjul ou la réunion de deux artistes talentueux.

L'album est enregistré entre le Studio Brousse d'Aziz Boukote, le fameux Humble Ark de Manjul et le studio Bois Sacré à Dakar.
On retrouve quelques musiciens issus du Boukoto Mango Band : Filip Fléjo à la guitare et Diéré Cissokho à la kora. Raphael Ojo à la batterie, Nestor Bakardian au saxophone, Heirloom Seeds à la trompette, Claude Dubertrand au saxophone ténor, Aziz Boukote à la guitare et le multi-instrumentiste Manjul à la batterie, basse, claviers et percus complètent le tableau.

Link up est donc un album roots et beaucoup moins porté sur les tonalités jazzy ou funky de Guidance; seuls les cuivres restent orientés vers La Nouvelle-Orléans . En effet, Manjul est passé par là et les deux artistes ont concocté une oeuvre qui " s’appuie sur une ossature rythmique, des lignes mélodiques, des voix et des choeurs qui sonnent comme un hommage aux productions jamaïcaines des années 70" (Soundcloud d'Aziz Boukote). On alterne effectivement entre le roots et des compositions plus stepper avec quelques détours par le one drop.

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Les textes s'inscrivent également dans la plus pure tradition rastafari.

Bon, rentrons maintenant un peu plus dans le détail des morceaux.
Je vous disais précédemment que les cuivres conservaient des sonorités jazz. Il se trouve en effet que la trompette d'Heirloom Seeds que l'on entend au début du titre éponyme de l'album "Link up" évoque plus les Etats-Unis que la Jamaïque. Ajoutez à cela les percus de Manjul, le saxo et la kora et vous obtenez un reggae one drop empreint de spiritualité et de révolte : "Freedom fighters have to link up", "Free from mental slavery [...] Africa must be free".

Le saxo en intro de "Inna di town", quant à lui, nous rappelle le fameux "The same song" d'Israel Vibration". Le morceau comporte également un passage chanté en français ("Un peu d'amour, d'honnêteté ça fait du bien, c'est grâce à ça, oui, qu'on ira toujours plus loin"), alors que la quasi-intégralité de l'album est en anglais.
On retrouve la langue de Molière dans "For brothers & sisters" : "Regarde les autres qui prennent les armes pour s'entretuer, au lieu de s'asseoir pour négocier". Cette tune s'achève par une plage résolument dub avec les effets de Manjul.

Vous voulez du dub, hé bien, vous en aurez !! "Dub is the answer" et "Each & every dub" sont respectivement les versions de "Love is" et "Each & every one". "Dub is the answer" permet de mettre l'accent sur la guitare solo (magnifique), le saxo et le clavier (que ce soit pour l'intro à la Tyrone Downie ou le skank, Manjul nous ravit ici). "Each & every dub" est peut-être un peu plus digital, mais tout aussi réussi.

Link up contient également quelques feat. : "Holy" avec Daba Makourejah et "Money Money" avec Natty Jean.
La combination avec Daba Makourejah fonctionne très bien dans cette track puissante aux relents rock (quelques solos de guitare assez hard rock) et aux accents religieux (les choeurs mystiques de l'intro).
Avec "Money Money" et le flow efficace de Natty Jean, on pénètre dans le morceau le plus long de l'album, une extended version, qui, effectivement, se conclut par une partie dub très roots.

"One track", "Papaya" et "Rastaman invisible" reflètent les thématiques rasta : hommage au nyabinghi (normal on est en Afrique) et à Marcus Garvey dans  "One track", ode à la ganja et à la papaye dans "Papaya" : "we are di rasta, we love papaya, we are di rasta, we love sensimilia". Dans "Rastaman invisible", Aziz Boukote, avec ses solos de guitare qu'on croirait tout droit issus du "Heathen" de Bob Marley, répète à l'envi "Give thanks and praises".

Link up exprime donc bel et bien un lien musical très fort entre les deux artistes et "allie le travail de composition d’Aziz à la qualité des arrangements de Manjul" (Soundcloud d'Aziz Boukote). Mais il établit également des ponts entre la Jamaïque, l'Afrique et les Etats-Unis. Link up nous prouve ainsi que les musiciens se sont toujours nourris d'influences venues d'horizons divers, en somme que l'art ne connaît pas de frontières. Des textes humanistes côtoient des instrus très riches pour un résultat des plus créatifs.

A noter que Link up est nommé dans la catégorie "Meilleur album reggae africain de l'année" des Victoires du reggae 2016.

TRACKLIST

1 - Love is
2 - Inna di town
3 - Each & every one
4 - Holy, feat. Daba Makourejah
5 - One track
6 - No war there
7 - Link up
8 - Papaya
9 - Money money, feat. Natty Jean
10 - Rastaman invisible
11 - For brothers & sisters
12 - Dub is the answer
13 - Each & every dub

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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