Manudigital – Digital Pixel

Lorsque dans une cinquantaine d’années, les historiens de la musique feront la synthèse de ce qui s’est fait de mieux en matière de dub ou de reggae digital, enfin de tout ce qui produit un skank de manière électro en France, ils n’oublieront pas de mentionner Manudigital.

On ne va pas vous le cacher qu’on l’attendait de pied ferme à La Grosse Radio ce Digital Pixel, qui sortira le 19 février chez X-Ray Production.

Il avait été annoncé par les Digital Lab, cette magnifique série de maxis sortis à l’automne dernier. Déjà qu’on prenait énormément de plaisir avec ces EP, mais là Manudigital place la barre encore plus haut. Beaucoup plus haut.

Souvenez-vous, à l’occasion de la sortie du nouvel épisode de Star Wars, Le Réveil de la Force, en décembre dernier, Manudigital endossait le costume de Dark Vador pour remixer le fameux thème de la saga intergalactique. Hé bien, qu’on se le dise, c’est à se demander si Manudigital ne provient pas d’une autre galaxie.
Ou alors, a-t-il lui-même, à l’instar d’Anakin Skywalker, basculé "du côté obscur de la Force" afin de percer les secrets et mystères de la composition musicale qui lui étaient jusqu’alors cachés et ainsi devenir un riddim maker virtuose?

Bon, trêve de plaisanterie. Je vais me répéter, mais il est vrai que ça faisait longtemps, très longtemps qu’on désirait pouvoir écouter un album complet de Manudigital, et non plus des tunes isolées.
S’il est indéniable qu’il nous subjugue totalement depuis des années avec ses idées toutes aussi géniales les unes que les autres (Digital Session, Remix of the Week, Inna Mi Room,…), il nous tardait quand même de découvrir un projet constituant un tout cohérent. Un peu comme O.B.F qui, après avoir enflammé les dancefloors de l’Europe entière pendant une dizaine d’années, n’a sorti son premier album Wild qu’en 2014. Et on n’a pas été déçu, quelle claque !!

Mission accomplie avec ce Digital Pixel. Je vous le dit d’emblée, c’est de la trempe donc d’un Wild d’O.B.F, d’un Outback d’High Tone, d’un Midnight Walkers de Stand High Patrol ou encore du Don’t stop Dub de Kanka. En somme, un véritable chef-d’œuvre.

Je le compare volontairement aux autres acteurs de la scène dub française, même si, à proprement parler Manudigital ne fait pas du dub, on le rangerait plutôt dans la catégorie reggae digital, mais au diable les étiquettes.
Ce qui nous fait kiffer avant tout c’est la musique, et Manudigital fait partie de cette grande vague reggae et dub qui a fait son apparition en France au cours des années quatre-vingt-dix et qui connaît un succès monstre.
Le chanteur des Wailing Trees parle d’une french touch reggae et Rico, le selecta d’O.B.F évoque, lui, une french dub touch. (voir ici)

Car le reggae et le dub made in France s’exportent très bien à l’étranger (ce n’est pas un hasard si Manudigital est actuellement en Jamaïque), d’autant plus que notre riddim maker favori est reconnu outre-Manche : il est plébiscité par David Rodigan, et Benny Page himself, l’un des ténors de la jungle joue "Put it on" sur son set, oui môssieur !!! Il est également programmé sur deux dates en Angleterre et il sera aux côtés du Channel One Sound System cet été en Croatie, qui dit mieux ??

Ce n’est pas tout mais je me perds dans mes élucubrations et vous attendez peut-être que je vous parle en substance de cet album, c’est d’ailleurs pour cela que vous vous êtes arrêtés ici, nan ?

manudigital, digital pixel, joseph cotton

On va commencer par signaler les featurings présents sur Digital Pixel. Au final, peu de surprises, pour la bonne et simple raison que Manudigital connaît déjà tout le monde (s’il est un toaster, chanteur, singjay qui n’a jamais travaillé avec lui, qu’il se montre ou se taise à jamais).

On retrouve donc Joseph Cotton, Soom T, Bazil, Don Camilo, Danakil, Marina P… Bon, en fait je plaisantais, il y a quand même des "nouveaux venus" dans l’univers de Manudigital et pas des moindres ! Citons, entre autres, Sara Lugo, Flavia Coelho, King Kong et……….JAMALSKI !!

Alors ça a de la gueule, hein !!

Je ne vais pas rentrer dans le détail des morceaux avec George Palmer ("Come inna di dance"), Peter Youthman ("Must get panic") et Marina P ("Already midnight"), puisqu’ils figurent déjà respectivement sur les Digital Lab 1,2 et 3 et que vous retrouverez tous les éléments dans nos articles parus précédemment.

On va cependant s’arrêter sur "Digital Robot", qui se trouve être un remix de "Like a robot" présent sur Digital Lab vol.1 avec George Palmer.
Alors que la track originale était sombre, inquiétante au beat très appuyé, ce "Digital Robot" prend la tangente pour devenir plus coloré, plus harmonieux.
En fait, entre les deux productions, Manudigital a été rappelé à l’ordre par Maître Yoda et est finalement repassé "du côté Lumineux de la Force".

"Digital Robot" trouve son versant féminin en la personne de Flavia Coelho sur "Saudades". En effet, la voix suave de la Brésilienne se pose à merveille sur ce titre downtempo avec une once de mélodica.
Il est à remarquer que la chanteuse est à la seule à interpréter un morceau dans une langue latine sur cet album à forte dominante anglo-saxonne.

Et rebelote pour le downtempo avec le vétéran jamaïcain Errol Dunkley au timbre lover’s rock sur "Look at the tree", hymne écolo dédié à la nature, dont Babylone se moque. On navigue ici entre le dub ambient à la Bill Laswell (claviers envoûtants) et le reggae roots (ligne de basse hypnotique et skank de guitare très prononcé). L’influence de Blundetto, également présent en feat. ici n’y est pas pour rien.

Allez, on va se pencher maintenant sur ce qu’il y a de plus lourd dans ce Digital Pixel.

Vous avez aimé Free as a bird, le dernier album de Soom T ? Je sais qu’il fait l’objet de nombreuses critiques actuellement : l’artiste aurait renié ses idéaux, serait devenue une vendue. Mais ce n’est pas notre sujet.
Ce qui nous intéresse c’est le remix de "Politic Man" par Manudigital et, à vrai dire, je le préfère largement à l’original. Après une intro de 45 secondes, la voix de Soom T déboule en grande pompe sur la compo stepper de Manudigital. J’imagine tous les massive en train de skanker sur le morceau diffusé sur la sono de Blackboard Jungle lors de la Dub Station de Marseille à laquelle Manudigital participait il y a peu. Car ce "Politic Man" est définitivement calibré sound system.

Il en va de même pour "Mali Mali Dub". Aaaah vous avez deviné de qui était la version originale. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le "Mali Mali" de Danakil se voit offrir une version dub, puisque Manjul s’en était déjà chargé sur Entre les lignes Dub. Mais alors que le producteur installé à Bamako avait proposé un dub roots digne des années soixante-dix, Manudigital revisite le morceau sur un mode UK stepper. Loud & heavy.

Je vous parlais de Jamalski dans la présentation des feat., vous vous souvenez de lui ? MC new-yorkais qui a débuté avec Boogie Down Production avec KRS-One, il a, depuis, toasté sur tous les styles (rap, jungle, reggae, ragga, drum & bass…). Très actif au cours des 90’s et au début des années 2000 , il revient ici en pleine forme avec la track "Bad Boys" (toute ressemblance avec son homonyme de Inner Circle serait purement fortuite). "Bad Boys" est à mettre en parallèle avec un autre riddim de Manudigital, "Kill Kill Kill" avec Big Red de Raggasonic, quoiqu’ici la basse est plus prononcée.
En tout cas, Jamalski n’a rien perdu de son flow rapide et puissant.

Venons-en à LA track de ce Digital Pixel. Ce sont les deux vétérans mais immortels jamaïcains, Joseph Cotton et King Kong qui ont été invités par Manudigital ici dans une combination à couper le souffle.
En un mot ? Grandiose.
Vous avez tous en tête le magistral "Two Big Bull inna one Pen" interprété par King Kong et Anthony Red Rose et produit par King Tubby en 1986 ? Alors accrochez-vous, car avec ce "Manudigital Affair", on passe à la vitesse supérieure.
Trente ans plus tard, Manudigital nous livre un morceau d’anthologie qui fera date dans l’histoire du reggae. Tout est parfait : le skank, les effets, les voix endiablées de Joseph Cotton (qui nous lance un "ça va ?", tu m’étonnes que ça va, Joseph !) et Anthony Red Rose orchestrés sur un rythme effréné.
Le son est limpide, fluide, bref il coule de source chez Manudigital.

Et ce n’est pas fini, car il me reste à vous parler des tunes raggamuffin, early digital (là aussi, peu importe les étiquettes), ce que Manudigital nous a concocté "dans la plus pure tradition digitale des années quatre-vingt", pour reprendre l’une de ses citations, c’est-à dire tout ce qui sonne comme un hommage à King Jammy, à Wayne Smith, à Supercat, à Tenor Saw.
Et vous n’allez pas être déçus du voyage !!

En gros, ça ressemble à ça. Notez la petite dédicace à Lord Zeljko par Ricky au début de la vidéo.

En effet, on y retrouve de pures lignes de basse digitales, en référence au fameux "Sleng Teng". Bazil ouvre le bal magnifiquement avec "Digital Luvin". Le même Bazil accompagnera d’ailleurs Manudigital sur scène lors de la tournée du Digital Pixel.

Le riddim sur lequel toaste Joseph Cotton (hé oui, encore lui), "Full Control", est peut-être le plus jamaïcain avec son clavier très tropical et caribéen. Ce morceau démontre que la collaboration fructueuse entre les deux artistes n’est pas prête de s’estomper. Le duo fonctionne à merveille.

Je vous parlais du "Sleng Teng" un peu plus haut. Bon, nan, Manudigital n’a pas repris le célèbre riddim sur ce Digital Pixel, mais il me permettra de mieux introduire "Crazy" avec Taiwan MC. Le riddim maker a effectivement remixé "Blaze it up" d’après le "Sleng Teng" sur Diskodub de Taiwan MC dans un titre aux basses bien grasses. Ces dernières se retrouvent donc sur "Crazy", dans lequel on lorgne du côté du dubstep, mais rassurez-vous le skank est bel et bien présent avec une guitare très roots.
Ligne de basse moins puissante mais tout aussi efficace, et peut-être aussi plus élaborée sur "Retreat" avec Don Camilo.

On finira en beauté avec la voix divine de Sara Lugo sur "Big Up", un reggae one drop, où s’épanouissent la batterie, le clavier et la guitare. J’ai toujours pensé que c’était sur ce style de reggae que les instruments prenaient toute leur mesure et leur dimension, et là Manudigital confirme cette assertion, d’autant plus qu’il a réussi à coupler un solo de guitare à la Ernest Ranglin et un clavier digne de Jackie Mittoo. Somptueux !!

En conclusion, que dire ? Que Manudigital est l’un des meilleurs de sa génération ? Je pense que vous l’aurez compris. Digital Pixel s’est montré conforme à nos attentes, avec des featurings tous aussi impressionnants les uns que les autres, des instrus rigoureuses et pointues, un son reggae digital, qui même après son apparition il y a trente ans, continue de nous éblouir et de nous surprendre.
Car Manudigital ne se contente pas simplement de reprendre la recette de King Jammy, il l’adapte avec brio.

"Paris ready a dance to di reggae", chante Joseph Cotton sur "Manudigital affair".
La Grosse Radio sera présente à La Cigale le 26 mars pour le concert de Manudigital dont elle sera partenaire. On se donne rendez-vous là-bas ?

manudigital, la cigale, paris, 2016

TRACKLIST

1. Digital Luvin feat. Bazil
2. Politic Man feat. Soom T (remix)
3. Come Inna Di Dance feat. George Palmer
4. Saudades feat. Flavia Coelho
5. Crazy feat. Taiwan Mc
6. Manudigital Affair feat. Joseph Cotton & King Kong
7. Retreat feat. Don Camilo
8. Must Get Panic feat. Peter Youthman
9. Look at the Tree feat. Blundetto & Errol Dunkley
10.Already Midnight feat. Marina P
11.Full Control feat. Joseph Cotton
12.Bad Boys feat. Jamalski
13.Big Up feat. Sara Lugo
14.Mali Mali Dub ("Mali Mali" version de Danakil)
15.Digital Robot feat. George Palmer

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NOTE DE L'AUTEUR : 10 / 10



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