Biga*Ranx – 1988

Plus qu'une petite semaine (le 9 juin exactement) avant de découvrir enfin 1988, le dernier opus de Biga*Ranx. Initialement intitulé Sniff, le Tourangeau a finalement opté pour son année de naissance afin de baptiser son nouveau bébé discographique.

Plus qu'un virage, qu'on pouvait déjà déceler à travers Nightbird, s'agit-il donc d'une renaissance pour Biga*Ranx avec ce nouvel album ? Assurément oui. 1988 est en fait un pavé dans la mare jeté au milieu des productions reggae françaises. Il prolonge logiquement le renouveau que Biga*Ranx y insuffle depuis quelques années, principalement par le biais de son label Brigante Records (au sein duquel il officie en tant que directeur artistique), sur lequel sont sortis deux bombes au cours de l'année dernière, à savoir le Vapor de Big Red (voir ici) et le Double Trouble de Supa Mana (voir ici), tout autant inspirés par le reggae digital, le dub, le cloud rap, la trap, la vaporwave, et plus si affinités.

Même si 1988 est moins ambitieux que les deux albums précités ou même que Nightbird, on ne peut que se réjouir de l'envie de Biga*Ranx de se renouveler et par extension plus généralement le reggae, de ne pas rester figé sur ses acquis et de passer outre cette réputation de toaster à la voix de Jamaïcain. 1988 transforme l'essai brillamment réussi sur Nightbird.

biga*ranx, 1988, vapor

Par conséquent, exit les beatmakers aux instrus puissantes et massives (Olo, Manudigital...), Biga*Ranx a uniquement fait appel à des producteurs réputés pour avoir la main légère et vapor (Blundetto, Atili Bandalero) afin de composer quelques morceaux de cet album. Quelques ? En effet, 1988 ne s'appelle pas ainsi pour rien, puisque Biga*Ranx en est pratiquement à lui tout seul l'artisan de la première à la dernière piste pour une production très personnelle.

Certains feat. présents sur 1988 témoignent également d'une volonté pour Biga*Ranx d'aller de l'avant et d'explorer de nouvelles voies. Le Tourangeau est allé chercher des rappeurs comme Akhenaton d'IAM ou Biffty, l'un des jeunes prodiges du hip-hop français version trap. On retrouve aussi les adeptes des vidéos estivales et des mashups en tout genre, le trio féminin L.E.J, mais encore quelques membres du Brigante Crew, dont Atili Bandalero déjà mentionné, Prendy et l'inévitable Big Red. Art-X, en tant que Tourangeau, se devait bien sûr de faire une petite apparition sur cet album de Biga*Ranx.

1988 s'ouvre avec "Liquid Sunshine", le premier single dévoilé (et dont on vous avait parlé ici) il y a un an environ qui annonçait la tonalité donnée à cet opus : lounge, cloud, sweet. Puis, tout au long de l'année, le MC a publié sur Facebook quelques clips dont les morceaux sont à retrouver sur ce 1988. C'est notamment le cas de "Do my Ting" ou de "My Face" à travers lesquels Biga*Ranx exprime sa nouvelle manière de faire : le "I try to move intelligently, I make my music differently" sur "My Face" sonne ainsi comme une véritable profession de foi.

Ce virage esthétique trouve en fait ses motivations selon un principe bien défini : Biga*Ranx compose maintenant ses propres instrus sous le pseudonyme de Telly*. S'il nous en avait déjà offert un aperçu assez convaincant sur Nightbird, c'est avec ce 1988 que Biga*Ranx se réalise pleinement en tant que beatmaker. De la même façon que Manudigital qui travaille avec son Casio MT-40, Biga*Ranx utilise lui le synthétiseur OP-1 afin de créer ses riddims. En outre, on peut établir un parallèle entre l'album qui nous intéresse aujourd'hui et l'EP de KSD, Behind the Road (voir ici), sorti justement chez...Brigante Records il y a peu. Parallèle technique puisque KSD a également produit des beats assez minimalistes avec son ordinateur mais aussi musical. Behind the Road est par conséquent la meilleure porte d'entrée pour pénétrer dans l'univers vapor et cloud de 1988.

D'autant plus que Biga*Ranx (crédité sous le nom de Telly*) a remixé récemment le "Lollipop" de Lil Wayne (voir ici). On le sait, le MC a toujours été autant influencé par les toasters jamaïcains que par les rappeurs américains et depuis que la trap et le cloud rap ont bouleversé les codes du hip-hop ces dernières années, il n'en fallait pas plus pour que Biga*Ranx réadapte à la sauce reggae/dub et rub-a-lounge certaines de ses inspirations. En sus, son frère Atili Bandalero intégrait dans une de ses mixtapes (voir ici) il y a quelques mois le massif "Wyclef Jean" de Young Thug. La boucle est bouclée.

Par conséquent, 1988 reprend une bonne partie des éléments propres aux instrus trap, qu'il s'agisse des kicks, des lignes de basse plus vrombissantes que linéaires, les voix pitchées, les onomatopées... 1988 est donc à l'image du son dominant d'aujourd'hui, très lent et très lourd, mais dans une version reggae comme on en entend malheureusement si peu dans ce genre. Ainsi, la deuxième piste "Homegrown" prend clairement ce parti malgré un skank bel et bien présent et un flow parfois jamaïcain. Quant à "Petit Boze" en feat. avec Biffty, il s'inscrit également dans cette lignée. On soulignera que ce n'est pas la première fois que Biffty (dont le beatmaker porte le pseudonyme très évocateur de DJ Weedim et qui a lui-même déjà produit du reggae et du dancehall) s'adonne au reggae, puisqu'il est l'auteur d'un freestyle, "Jamaican "Souye" Trap (Part 420)" aussi désopilant qu'absurde avec ses compères Julius et Keulasouye (voir ici).
"PMU" et "Contrebande" (le titre le plus QLF, dans tous les sens du terme, de l'album), sur une instru d'Atili Bandalero, sont la somme aussi de cette symbiose parfaitement maîtrisée par Biga*Ranx entre toutes ses influences reggae, dub, vaporwave, trap, cloud rap, qui aboutissent à un résultat complètement stratosphérique, de même que sur "Tropic Sky", où une partie du Brigante Crew a été réunie et sur lequel le melodica d'Art-X nous fait littéralement planer.

biga*ranx, 1988, cloud

Les morceaux les plus "authentiquement" reggae restent avant tout ceux composés par Blundetto, à travers lesquels on retrouve peu ou prou la même structure et la même ambiance que sur "Liquid Sunshine" (notamment via la guitare) avec une mention toute particulière pour le stepper lounge "Low Grade". C'est également Blundetto que l'on retrouve à la prod où se rajoutent quelques feat. vocaux dont "Monday" avec L.E.J et Akhenaton dans une association intéressante même si l'on entend très rarement AKH se poser aussi lentement avec son flow. Comme quoi, le chanteur d'IAM s'en sort plutôt bien lui qui avait déjà été mis au défi d'adapter le texte de "Petit Frère sur une instru de...PNL (voir ici).
L'autre feat. sur un beat de Blundetto concerne "Veleda" avec Big Red (à travers lequel les deux chanteurs poursuivent leur collaboration entamée sur "Sexy" et le Vapor de Big Red) , un dub digital très planant "en mode vapor" et l'un des morceaux les plus brillants de l'album. Pour le coup, le MC de Raggasonic conserve son fast style pendant que Biga*Ranx apaise son flow à l'image du riddim.

On retrouve également quelques morceaux moins "crossover", tels que "Life long" ou "Rendez-vous" (avec un solo de guitare bien plaisant à la "Ordinary Day"), qui reprennent la recette du reggae digital et qui se démarquent du reste de l'album par leur aspect plus classique et moins éclectique, mais qui n'en demeurent pas moins doués de réussite. On aura aussi beaucoup apprécié l'ambiance quelque peu reggaeton mais très lounge sur "French Wine" avant que Biga*Ranx ne vienne conclure son 1988 par "Lazer Beam", un morceau hip-hop tiraillé entre le boom-bap des 90's et des sons plus contemporains dans un style très dub-a-dub, autant par le flow de Biga*Ranx que par le beat. Annonce-t-il une nouvelle orientation plus hip-hop que le Tourangeau prendra dans les années à venir ?

Nightbird, qui avait déjà pu destabiliser quelques auditeurs de la première heure pour qui Biga*Ranx s'était plus ou moins assagi, n'était en fait qu'une transition. Avec 1988, le MC a définitivement rompu avec les instrus organiques qui pouvaient exister sur On Time ou Good Morning Midnight. Que cela plaise ou non, que l'on aime ou pas, il y a une chose qu'on ne pourra pas reprocher à Biga*Ranx, c'est de ne pas se répéter. A l'image des High Tone ou de Stand High Patrol, les références ultimes en matière de productions reggae et dub en France (Manudigital n'est pour l'instant l'auteur que d'un seul opus), Biga*Ranx n'a jamais sorti deux fois de suite le même album. On ne peut que l'encourager à poursuivre dans cette voie.

TRACKLIST

1. Liquid Sunshine
2. Homegrown
3. Monday feat. L.E.J, Akhenaton & Blundetto
4. Low Grade feat. Blundetto
5. My Face
6. French Fries feat. Blundetto
7. Tropic Sky feat. Ruffian Rugged, Prendy & Art-X
8. Contrebande feat. Atili Bandalero
9. Petit Boze feat. Biffty
10. Life Long
11.Do My Ting
12.French Wine
13.Rendez Vous
14.PMU
15.Veleda feat. Big Red & Blundetto
16.Lazer Beam

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