The Libertines – Anthems For Doomed Youth

The Libertines ruèrent dans les charts anglais au début des années 2000, pondant deux albums – l’inaugural Up The Bracket en 2002 et l’éponyme The Libertines en 2004 – immédiatement classés parmi les indispensables du rock britannique de la décennie. Quoique esthétiquement assez différents, on a pu les ranger, pour l’importance, de leur compatriotes et contemporains les Strokes. Sur les cendres de la britpop, le quatuor plongeait ses racines dans le punk des origines, le vrai – anglais, bien sûr, mais aussi celui de l’Américain Richard Hell. Difficile en effet de ne pas entendre dans « Blank Generation », son indépassable tube de 77, une préfiguration des Libertines, tant pour l’esprit de dandysme impertinent que pour la structure rock elle-même, faite d’énergie désinvolte et de ruptures nombreuses. L’alchimie du groupe, confondant mélange de talent volatile et de dérapages incontrôlés, ravit à la fois les fans de musique et les tabloïds britanniques. Les relations houleuses de Carl Barât et de Pete Doherty sont aujourd’hui gravées dans l’histoire au côté des frasques fratricides d’Oasis, et la figure géniale et toxique dudit Doherty apparut comme le pendant masculin du météore Amy Winehouse.


Le fragile équilibre ne dura guère. On ne refera pas ici le feuilleton. Depuis la sortie du second album, Doherty s’occupait de ses Babyshambles et Barât menait la barque des Dirty Pretty Things (sans grand remous d’ailleurs…). Une réunion était-elle pertinente, dix ans après, alors que l’instabilité et l’éphémère semblaient une condition immanente à la musique des Libertines ?  

Evitons tout suspense. La réponse est : pas vraiment... Certes, comme de nombreux petits génies de la pop britannique, le quatuor reste doué. Il connaît ses classiques, en joue, et continue de picorer avec décontraction dans l’héritage du rock anglais : punk (« Fury Of Chonburi », « Glascow Coma Scale Blues »), garage (« Barbarians »), dub (« Gunga Din »)… Mais il manque à l'ensemble un ingrédient capital : l’énergie, dedieu ! La rage véritable, la poussée instinctive et foutraque qui faisait grincer les titres des albums précédents. Triste exemple : « Gunga Din », le single,  après un couplet dub accrocheur, s’effondre dans un refrain naïvement fédérateur dans lequel on cherche vainement la faille ou le second degré. La coda du morceau, braillarde et incroyablement expéditive, nous laisse bêtement frustrés – pour ne pas dire navrés. « Wake up ! » y hurle Doherty… Sombre ironie, nous mourons d’envie de lui hurler la même chose.

C’est peut-être un peu sévère. Mais il est difficile de ne pas juger le travail des Libertines à l’aune de l’excellence à laquelle ils nous ont habitués. En dix ans les Anglais n’ont malheureusement guère avancé. Plusieurs titres restent toutefois honorables. « Fame and Fortune », chanson ironique un peu déglingue, n’est pas dénuée de charme. « Glascow Coma Scale Blues » donne presque envie de monter sur le zinc. Mais quelle fatigue transparaît dans « Belly of the Beast » ou dans « Milkman’s Horses » ! L’album est en fait taillé à l’image de son titre et de sa pochette. Anthems For Doomed Youth : peut-on encore assumer un titre pareil en 2015 ? Second degré, me direz-vous peut-être. Mais l’histoire du punk n’a-t-elle pas usé cette thématique jusqu’à la corde, et dès l’origine avec une mordante ironie ? « Blank Generation » aura bientôt 50 ans... La pochette quant à elle est le parallèle policé de celle d’Up The Bracket : semblable esthétique punk, mais le fond bleu a remplacé le rouge, la graphie brouillonne et bon ton le collage, et les CRS à boucliers ont cédé la place aux silhouettes du quatuor. A se demander si le groupe désormais star ne se préoccupe pas davantage de sa propre survie que de l’incandescence de sa musique.
 

libertines, up the bracket, 2002

Plus apaisée, la poignée de ballades de l’album est aussi plus convaincante. « You’re my Waterloo » - comble pour un Anglais - avec son accompagnement langoureux au piano, est séduisante dans son mélange doux-amer. « Dead for Love », si elle ne brille pas par son originalité, clôt l’album de manière plutôt touchante. Le titre éponyme, léger, nous renvoie au charme imparable d’un hit comme « What Katie Did » (sur l’album The Libertines). Dans la lignée de l’album solo de Peter Doherty, le très élégant Grace/Wasteland, la piste de la pop désenchantée et de la ballade mélancolique, présente dès l'origine du groupe, n’était-elle pas la bonne pour assurer le futur des Libertines ? On continue à vouloir l’espérer.

Les Libertines seront à l'Olympia en mars 2016 --->

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NOTE DE L'AUTEUR : 6 / 10



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