Union Jack – Supersonic

C'est en 1997 que se forme le trio francilien Union Jack, avec la ferme intention d'exploiter  l'héritage tardif du punk des années 90. Un son à l'américaine, un flirt appuyé auprès des divers arts du contre-temps jamaïcains, conférant à la rage latente une dimension étrangement joyeuse et sautillante, une attention à l'aspect énergique autant qu'au mélodique, voilà ce que Union Jack a eu à cœur de travailler ces vingt dernières années, aboutissant à l'album sur lequel nous nous penchons à présent, sixième publication du groupe, sorti sur Beer Records / Guerilla Asso / Sick My Duck / Riot Ska / No Time Records.

C'est avec leurs textes sous les yeux, puisque ceux-ci nous ont été transmis en même temps que l'album, comme trop rarement par ailleurs, que nous découvrons les quatorze morceaux constituant Supersonic. Et c'est heureux : leur lecture semble tout simplement indispensable à l'appréhension de l'univers du groupe. C'est probablement le cas pour n'importe quel artiste chantant, sur ses bandes, autre chose que quelques onomatopées triviales, mais dans le cas de Union Jack, c'est encore plus évident, puisque leur fonction est double.

Ils permettent premièrement de se rendre compte que, s'il n'est plus vraiment « branché » aujourd'hui de verser dans le politique – on chante plutôt la fête, l'insouciance, d'une part, la décadence d'autre part – Tom, Ben et Antoine s'en foutent un peu, demeurent résolument optimistes puisqu'ils ne jugent pas vain de s'engager, de porter un message d'alerte, et non pas un message désespéré, comme si tout n'était pas encore foutu ; il y a quelque chose de réconfortant dans ces manières de punk conscient, dans cette utilisation suivie de la seconde personne, de l'impératif, cette adresse directe et récurrente à un toi à la fois ciblé et universel... Alors, évidemment, on ne se frotte guère qu'à du premier degré, du pragmatique, et certaines idées semblent avoir été déjà trop exploitées pour attirer notre attention (ce point de vue subjectif d'un sans-abri, un peu conventionnel peut-être, sur "Bitter Taste").

Mais étonnamment, de ce même type de sujets peuvent parfois émerger quelques charmes inattendus : on pense à "Oh Boogie", à "Wordaholic", respectivement éloges des arts musicaux et des arts littéraires (une apologie de la lecture dans un album punk, c'était d'une audace parfaitement nécessaire) où l'on milite pour leur accession au statut de remède miracle, où l'on clame leur efficacité supérieure à tous ces médicaments qui « just fuck you up ». On pense également à "Human Zoo", où le terre-à-terre du texte cesse d'être gênant, où il nous prend même de court. La cause féminine y est défendue par de grosses voix viriles de vilains punks, introduisant un décalage dans le ton, voire une valeur plus ou moins humoristique, rendant du même coup son message bien plus touchant. Le titre du morceau quant à lui, référence à ces fameuses expositions en France d'individus extraits des peuples colonisés, les zoos humains du XXème, place la lutte pour la condition féminine sur un plan tout aussi révoltant, sur un degré d'urgence équivalant ; l’annonce comme étant l'un des véritables enjeux de ce début du XXIème.

Union Jack, Supersonic, Paris, Black Out, Summer Waves, punk

La seconde fonction de la lecture de ces textes simultanée à leur écoute sera de se rendre compte du travail effectué sur la complémentarité des deux voix principales, incontestablement la grande force de Union Jack. Leur alliance fait merveille : une voix de docker grognon porté sur le bourbon, une voix plus aiguë de petit mec trapu et nerveux, deux voix surchargées d'énergie, parfaitement rythmées. Leur alternance rafraichit en permanence le morceau en écoute, dynamise l'ensemble avec une réelle efficacité. Comme l'attention portée à la mélodie est rigoureuse, c'est beau, mais c'est drôle aussi : sur "You And I", leur jeu de question-réponse évoque un Disney braillard, joyeux, fou. Une sensation d'unité s'en dégage également : les deux chants endossant, dans le texte, continuellement le même point de vue, comme s'ils n'étaient qu'un, et chaque voix est susceptible, à tout moment, de finir une phrase que l'autre aura commencé ; on a l'impression d'avoir enfin trouvé les meilleurs amis du monde, les vrais. C'est émouvant.

Notre attention est ainsi relancée tout au long de l'album, par cette dimension du fun, donc, ces passages ska parfaitement amenés, dynamiques et dansants comme il faut, ces influences surf tangibles dans le mordant de la basse, mais aussi par quelques moments plus sombres, comme pour "Bones", où la rage atteint son paroxysme, où la voix de Ben semble s'investir davantage dans la furie à l'occasion de cette lettre ouverte à un ami décédé.

Concluons : Union Jack a vingt ans ; vingt ans d'expérience, vingt ans de savoir-faire acquis dans le terroir punk-rock. C'est donc en toute logique, et avec une apparente facilité, que cet album fait montre d'une maîtrise impeccable des codes décryptés le temps de cette double-décennie.

Union Jack, Supersonic, Paris, Black Out, Summer Waves, punk

Crédits Photo : Romtomcat (1) et Meli-Photographie (2)
Sortie le 1er février chez Beer Records / Guerilla Asso / Sick My Duck / Riot Ska / No Time Records

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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