Temples – Volcano

Les éphèbes célestes de Temples reviennent avec un second album très attendu. L'exercice est périlleux : la nostalgie psychédélique sur laquelle le groupe avait surfé pour se faire une place au soleil à l'époque de Sun Structures semble avoir aujourd'hui perdu de son élan ; dès lors, s'obstiner dans cette voie pourrait s'avérer contre-productif, exposerait le groupe à un désenchantement global, et à la redite ; on hurlerait au scandale. Mais d'un autre côté, s'éloigner trop brutalement de son registre de départ dérouterait probablement le public de la première heure – le plus précieux, en même temps que le plus soupe-au-lait.

Dès les premiers instants, c'est la bousculade : du synthétiseur partout, de la basse qui tape et de la batterie en plastique, l'album démarre avec un morceau aux qualités de tube pop évidentes, noyé sous d'épaisses couches d'électronique. Un tel départ est audacieux, pourrait être interprété de mille manières différentes, comme une mise au point intransigeante, un message aux fans de vintage qui avaient pu être séduits, à l'époque de leur premier album Sun Structures, par l'aspect rétro du son de Temples : vous n'y étiez pas, on parlait de pop universelle, vous êtes bloqués dans les sixties, idiots – à moins que le destinataire ne soit pas le fan mais bien le groupe lui-même, une sorte d'auto-conviction à la Coué, non on n'est pas un groupe revival, on vaut mieux que ça, on vaut mieux que ça.

La frustration liée à la réception de leur premier album avait déjà été mise au jour lorsque le groupe avait décidé d'en publier une « réanimation », orchestrée par Beyond The Wizards Sleeve, qui se vêtait alors d'un psychédélisme plus moderne, plus électronique. Ici, Temples ressent apparemment le besoin de muscler encore le son, de l'épaissir, mais en croquant le fruit à même l'arbre-à-hormones. Le rendu est extrêmement épais et assez peu naturel, parfois difficilement audible sur des enceintes standard (au casque en revanche, ça s'éclaire), des strates et des strates de synthétiseurs que les archéologues galéreront évidemment à déchiffrer dans quelques siècles.

Pour les extrémistes du rock'n'roll, le passage à l'électronique est souvent synonyme de perversion, de mercantilisation. Cet album saurait en constituer un exemple flagrant, mais pourrait tout aussi bien jouer en conscience sur ce décalage, se présenter comme une provocation masquée ; et jeu il semble y avoir, à différents niveaux : dans la structure de l'album (débuter avec un hit aussi évident que "Certainty", et rompant aussi parfaitement avec ce qu'ont été les hits précédents du groupe...), mais aussi dans la structure-même des titres. Ce décalage est entre autres exploité, uniquement pour nous énerver, avec "I Want to Be (Your Mirror)", son introduction flûte, clavecin et tambourin angélique, répétée plusieurs fois jusqu'à ce qu'une violente basse ne vienne faire fuir les vieux hippies. S'en suit un morceau à mi-chemin, composition pop et arrangements modérément synthétiques ; les flûtes ne reviendront qu'au refrain, comme forcées de s'adapter à leur temps, mais trouvant finalement leur place dans le mix – ce qui veut dire, s'y rendant nécessaires. Cette réflexion touchant à une partie de l'album devrait pouvoir fonctionner pour le tout ; l'harmonie trouvée, en même temps que générée par les flûtes au sein du refrain de "I Want To Be (You Mirror)", se fait le miroir de l'équilibre recherché par le groupe entre héritage et contemporanéité via Volcano ; "I Want To Be (Your Mirror)" est une synecdoque.

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Si "Certainty", premier titre de l'album et premier single, était bien trop ostensiblement un tube, présentait une mélodie trop réussie et des arrangements trop efficaces pour que l'on puisse admettre qu'on l'aime bien, ce titre, plus humble, moins tape-à-l'oeil, constitue le check-point idéal. Le morceau pour lequel on reviendra quoi qu'il arrive à l'album. Avec "Oh The Saviour!" qui le suit, une petite bulle d'air se crée, nous permettant de nous placer, un temps, dans une position plus confortable pour regarder en arrière, en direction du premier album (soit exactement la position dans laquelle on aimerait naturellement se placer, à tort ou à raison, lorsqu'on écoute un deuxième album). Il se fait le relais entre ces éléments qui avaient su nous toucher précédemment et ceux qui nous toucheront peut-être demain, conservant la candeur première, qui correspondait mieux à l'image que l'on se faisait de Temples, celle d'un groupe humble, sensible et un peu timide, avant de nous balancer "Born Into The Sunset", image de leurs nouveaux-eux, décomplexés boulimiques de la production.

C'est véritablement sur ce schéma que va fonctionner Volcano : par l'organisation çà et là de quelques retours en arrière, jamais définitifs, jamais entiers, permettant à l'auditeur de retrouver ses repères pop ("In My Pocket"), avant de repartir dans la grandiloquence électronique ("Celebration", son introduction puissante). Et l'on est pris à chaque fois, en tant qu'auditeur, entre deux dynamiques : celle du deuil de la naïveté, qui nous pousserait à appuyer sur eject à coups de poings, rayer le CD avec les dents et se précipiter à l'extérieur pour courir nu en hurlant à la lune, ou simplement prêter attention au chant des sirènes, dodeliner de la tête et se laisser séduire par l'hypnotisme qui émerge tout de même inmanquablement des compositions.

On en parlerait des heures, et c'est bien là que s'active la ruse de Temples : cet album suscite tellement de questionnements et de vexations qu'on se sent forcé d'y revenir pour élucider ces mystères, pour évacuer ces frustrations. Au fil des écoutes, l'oreille se détend, s'imperméabilise un peu à ces arrangements bourratifs, si bien qu'il ne reste au final que les mélodies nues, magnifiques, dépouillées entièrement de leurs oripeaux, se frayant tranquillement un chemin vers notre sensibilité, sans difficulté, avec la légèreté d'une nymphe sautillant sur un gazon épais et dès lors, nous sommes charmés. Exactement le même processus que pour Sun Structures, quand il avait fallu passer outre ces arrangements sixities redondants que l'on entendait partout, écœurants à la longue, pour s'acoquiner avec les mélodies ; précisément ces mêmes arrangements détestés que l'on se languissait de retrouver en attendant Volcano.

Bref, que Temples tapine ou non, le groupe reste, sous le maquillage, la plus jolie des filles du bordel – celle que l'on fréquentera tous en secret, mais sans l'avouer jamais, tout pudiques que nous sommes.

Sortie le 3 mars 2017 chez Heavenly Recordings
Crédits photo : Ed Miles

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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