Entretien avec Rodrigue

Après "Le jour où je suis devenu fou" et "L'Entre-Mondes", l'artiste lillois Rodrigue sort son troisième album "Spectaculaire Diffus", dans lequel il adresse une critique à la société du spectacle. À l'occasion d'une session acoustique, cet amoureux des mots (français) nous reçoit pour parler de son disque, de franglais et de chatte, toujours avec l'authenticité en zèbre de bataille.

Photos : Elise Schipman. Tous droits réservés.

Quel message adresse Spectaculaire Diffus à la société du spectacle ?

R : Aujourd’hui, tout devient spectacle, on ne dépasse plus les apparences. Même ce qu’on montre de nous même est une vision fantasmée de ce que nous sommes réellement. À travers mes rencontres, j’ai l’impression qu’il faut de plus en plus apprendre à creuser et gratter pour voir quelle est l’authenticité d’une personne. Ce thème est porté par deux chansons en particulier : « Un petit mot de travers » et « Sa chatte ». 

Tu sembles agacé par la société du spectacle, et pourtant tu es toi-même artiste…

R : J’en fais partie, c’est vrai. Je suis le premier à être un artiste 2.0, 3.0… De toute façon, on est obligé de composer avec ces nouvelles façons de faire notre métier. Mais je ne veux pas juger, et ça depuis mon premier album. Je n’aime pas les artistes qui portent un jugement. Je veux juste observer et montrer, simplement.

Je te trouve quand même très virulent, dans « Un petit mot de travers » par exemple.

R : Pour ce morceau, la virulence sert à montrer la réalité. Quand je regarde certaines émissions de téléréalité, qui font passer leur programme pour de la musique, je dis « Non ». Pour moi, c’est du divertissement musical, je dis bien du « divertissement ». La musique, c’est des mecs qui suent dans des cafés, et qui, à force de suer, montent d’échelon en échelon. Moi c’est comme ça que je vois la musique, d’une façon plus noble.

Je prends un groupe comme Skip the Use, qui a émergé récemment. Moi je les ai vu il y a 10 ans, ils s’appelaient Carving, et ils suaient à La Cave aux Poètes à Roubaix. J’ai de très bons souvenirs de ce mec au micro. Et quand je les vois aujourd’hui au Zénith, bah… pour moi, c’est ça la musique !

Le 27 septembre dernier, c’était le concert du lancement de « Spectaculaire Diffus ». Comment ça s’est passé ?

Rodrigue : Pas forcément comme on l’attendait, il y a eu plein de surprises, notamment des problèmes techniques au début. Mais finalement, ça m’a permis de créer une convivialité particulière avec le public. On a bossé sur un set nouveau, qui me plaît vraiment bien. Il y a moins de mise en scène, mais on a travaillé sur l’intégration de vidéos, et mon ingénieur lumière n’arrête pas de progresser.

Certaines personnes du public ont remarqué que c’est un peu plus distant. En effet, on tend désormais vers un spectacle plus élaboré, plus sophistiqué.

Ton album précédent, L’Entre-Mondes, était une vraie comédie musicale. Spectaculaire Diffus est plus standard…

R : Oui L’Entre-Mondes était vraiment pensé comme ça, avec l’ambition de créer un univers par chanson, pour former une sorte de parc d’attractions à thèmes. Cette fois, mon but était d’avoir une unité sonore, une cohérence d’album. Je pense qu’on l’a trouvé. Quand j’écoute le disque, je trouve que c’est …fluide.

Sur cet album, on retrouve des chansons que tu joues en concert depuis des années (Mi ange mi démon, L'attache) Pourquoi ne sont-elles pas sorties avant ?

R : « Mi ange mi démon », je l’ai composée durant l’enregistrement de l’album précédent. Je ne pouvais pas reprogrammer une séance de studio, mais je voulais la tester en concert. J’ai vu que les gens avaient le smile en l’écoutant, donc je l’ai gardée pour l’album suivant.

Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours été en train de composer. Maintenant, j’essaie d’avoir des cycles plus professionnels, c’est à dire : enregistrement, promo, concert, puis retour en phase de composition. Je pense qu’on y arrive plus facilement après un troisième album. Avant ça, on se lasse des chansons, on aime passer à autre chose.

Pourquoi avoir illustré cet album autour du zèbre ?

R : C’est une idée qui est venue au fur et à mesure. Déjà, j’aime bien les animaux, je ne sais pas pourquoi, ça me rapproche de la nature. (Rires) Le zèbre, c’est un animal contradictoire. J’ai appris que c’est un animal indressable, parce qu’il a ses humeurs. Et ça reflète bien l’homme dans ses contradictions. Car effectivement, rien n’est blanc, ni noir. Je pense que le monde n’est pas manichéen, on a toujours des faces. C’est pour ça que j’aime bien cet animal.

Justement, je trouve ton album assez pessimiste sur la condition humaine.

R : Je ne pense pas qu’il soit pessimiste, juste malheureusement lucide. Je n’ai pas un message dégradé. Je pense simplement qu’avec un peu de lyrisme et de poésie, on affirme des choses avec l’espoir que ça fasse remuer un peu… Même si, je l’avais déjà dit sur la chanson « Square Morisson », je suis absolument convaincu que l’art ne changera pas le monde. Mais ce sont des petits jalons qui peuvent faire du bien, éviter de se sentir seul. En tout cas, ce n’est pas un album plombant, c’est un album lucide. De l’optimisme désespéré.

© Elise Schipman

Depuis quelques temps, tu deviens de plus en plus trash. En témoigne ton morceau très cru, « Sa chatte »

R : J’ai toujours voulu étonner. Je pense qu’à un moment, le spectateur a besoin d’être agrippé. Et moi aussi j’aime bien, de plus en plus, les choses corrosives, un poil dérangeantes.

Arnaud : Quand Rodrigue m’a fait écouter « Sa Chatte », au début je n’ai pas compris. Je me suis dit : « Qu’est ce que c’est que ce truc ?! » Et en la jouant en live, tu comprends. Au final, j’aime bien ce côté un peu dénonciateur, bourrin mais en même temps subtil. Si tu prends du recul, tu comprends le message.

Rodrigue : Sur cette chanson, il y a deux lectures. La première, absolument pas subtile. La deuxième : montrer que quand il y a un concept nouveau dans le marketing publicitaire, on l’utilise à fond jusqu’à arriver à saturation. Alors qu’au départ, le concept est juste beau, mais on le galvaude complètement à force de l’utiliser. Donc cette chanson raconte ça, mais ça pourrait être autre chose qu’une chatte. (Rires)

Mais c'en est une, car ça part aussi de l’idée de vendre du sexe. Je pense qu’on finit par avoir une dépréciation du sexe en le voyant partout. Déjà dans les années 1990, une femme qui mangeait un yaourt, ça avait une connotation sexuelle. Ca ne me posait pas de soucis. Mais là, on montre le sexe partout, avec Youporn et ce genre de trucs. Je pense qu’on est en train de dévaloriser quelque chose qui est très beau à la base.

Donc, tu es contre le porno ?

R : (Rires) Je suis pas absolument contre le porno ! J’aime bien cette question, je vais y réfléchir. Est ce que je suis contre le porno ? Sûrement contre le porno avec des zèbres. Je suis certain que ça se trouve.

Dans ton album, il y a « International », un OVNI en deux parties avec du chant dans plusieurs langues.

R : C’est une chanson un peu fleuve qui me plaît dans un album, parce qu’elle a une vraie prise de position. Je pense que toutes les langues vont devenir folkloriques, comme le breton ou le corse… tout ça par rapport à l’anglais. On voit de plus en plus de choses écrites en anglais dans les vitrines, on commence un peu a parler franglais, parce que c’est plus classe. Mais le gros problème, c’est qu’on est en train de détruire nos racines, notre culture.

Si j’écrivais en anglais, je ne serais pas authentique, je serais dans le spectaculaire. Un Français qui écrit en anglais, ce ne sera jamais comme un Anglais qui écrit comme un Anglais. Quand j’écris en français, j’ai l’impression d’être rattaché à ce qui s’est fait les siècles précédents, à la culture française.

Et donc que penses-tu des artistes français qui chantent en anglais ?

R : Je n’ai rien contre. Moi-même, j’écoute beaucoup de chansons anglaises. De toute façon, on comprend et on parle de plus en plus l’anglais. Mais une chanson française que j’aime me touchera toujours dix fois plus qu’une anglaise, tout simplement parce que je la comprends vraiment.

© Elise Schipman

Qu’est ce qui a changé depuis tes débuts en 2006 ?

R : Plus d’expérience et d’exigence artistique. Artistiquement, les productions sont bien meilleures. J’ai rencontré plein de gens, je me suis diversifié. L’intermittence du spectacle c’est très ouvert, ça rebondit. On commence par un projet qui nous tient à coeur, et on finit avec une dizaine qui nous tiennent à coeur. Dans le groupe, a tous une bonne main de projets. Mais c’est notre métier qui veut ça. Si demain on avait une tournée de Zénith, on s’y consacrerait entièrement ! (Rire)

Tu regrettes que ton projet n’ait pas encore explosé ?

R : On est tellement tous dans le même bain, avec les indépendants, contrairement aux majors qui sont sur d’autres sphères. Elles ont les médias, les radios, les salles de spectacles… Donc la ruche des indépendants se tape les miettes, qui sont quand même nombreuses.

Si tu pouvais signer avec un major, maintenant, tu le ferais ?

R : Oui, totalement. Peut-être que je l’aurais pas fait… enfin si, je l’aurais tout le temps fait. Avec les deux premiers albums, j’ai fait des choses qui étaient très personnelles. Mais cet album là, je trouve qu’il est fait pour être signé en major. Il y a des titres forts, une cohérence d’album, c’est un projet qui pourrait être national et avoir un grand succès.

Si Rodrigue était n°1 des ventes, tu serais le même ?

R : Oui, avec du sexe et de la coke en plus ! (Rires) Non, je pense que quand on s’est pris des parpaings, on a la lucidité nécessaire. On sait que tout est très éphémère. On connaît la « célébrité Kleenex » : l’effervescence et puis plus rien. D’ailleurs, on le remarque tous quand un artiste qui monte trop vite n’a pas ce recul. Je pense que c’est un monde assez volatile.

rodrigueweb.com


© Elise Schipman

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