Jonathan Pierce et Jacob Graham de The Drums


Petit imprévu en ce début septembre, l'interview qui devait se dérouler dans un hôtel se fera finalement en terrasse, peut-être à cause du beau temps.

C'est d'ailleurs de météo dont parle Jonathan Pierce en premier. Puis, après cette entrée en matière digne des plus grands dialogues du cinéma français, il explose de rire et explique qu'il trouvait rafraichissant de ne pas parler du groupe pendant cinq minutes. Dommage pour lui !

Cela fait trois ans que le dernier album est sorti. Que s'est-il passé entre temps ? Beaucoup de choses j'imagine?

Jonathan Pierce :  Oui et non. On a pris un break. On a décidé de faire chacun de la musique de son coté. Et puis il y a un an, on s'est retrouvés pour faire un nouvel album. On hésitait un peu au début et je pense que c'est ça qui nous pris le plus de temps. Deux membres du groupe étaient partis et on avait connu à la fois une célébrité de rock-star se sentant très seuls et puis tout ce qu'il y a entre les deux...On était juste assez désorientés quant à notre place dans le monde aussi bien en tant que groupe qu'en tant qu'individus. Bon, disons que c'était putain de déroutant (rires) Surtout le fait que les deux autres soient partis, mais après un an, Jacob et moi avons réalisé que c'était peut-être une chance de réaliser l'album qu'on avait toujours eu envie de faire. Tu peux aller plus loin dans la musique quand il y a moins de participants. Ca peut vraiment mettre de l'eau dans ton vin, parce que tout le monde a une opinion et tient à ce qu'elle soit prise en compte. Jacob et moi sommes très similaires de plusieurs manières, ça nous a permis d'être plus spécifiques et plus honnêtes. C'est facile de dire "Oh, j'ai voulu être honnête avec cet album", mais tous les membres d'un groupe n'en sont pas au même point dans la vie et ne ressentent pas nécessairement les même choses. Il y a cette chanson, "Face Of God", qui est en quelque sorte mon hymne de rebelle athée, et Jacob ne sait pas trop comment la prendre. Mais il a été assez sympa pour la laisser sur le produit fini. Je pense qu'il apprécie l'esprit qu'il y'a derrière.

Jacob Graham : Je comprend la motivation.

JP : Donc on a été capable d'unifier tous ce qu'on pouvait proposer; et c'était très positif !

JG: On s'est permis aussi de pouvoir être ridicule, je pense à tous les petits ajouts, ou les arpeggios débiles qui traînent. Avant les gens auraient dit "ce n'est pas très cool" et ça ne l'est pas, c'est ridicule mais on adore ça.

Vous avez aussi changé de label ?

JG : Les labels, ça va vient, ça ne fait aucune différence pour nous.

JP : Mouais, on est quand même reconnaissant !

JG : Tout à fait.

JP : Bien sur qu'un label fait la différence. (rires)

Quelle est votre méthode de travail ?

JG: Il y en a plusieurs. On se retrouve, on réunit les chansons ensemble et on essaye de savoir quel sera le son et on s'assure aussi d'être sur la même longueur d'ondes. Après, chacun va naturellement travailler dans son coin, puis on présente ce que chacun a fait à l'autre en lui disant "rajoute ce que tu veux".

Et est-ce que par exemple tu participes à l'écriture des textes ?

JG : Eh bien, c'est lui qui écrit les paroles.

JP : Il va falloir que je les chante, je préfèrerais me tuer plutôt que de chanter les pensées d'un autre. C'est tellement déprimant ! Surtout quand tu ne gagnes pas d'argent (rires). Tu as intérêt à être honnête.

D'autres groupes le font.

JP : Oui, c'est vrai, mais on n'a aucun respect pour eux.(rires)
 


Pourquoi appeler l'album Encyclopedia ?

JG : On aimait bien la sonorité du mot. On a aussi essayé d'avoir le plus de variété possible sur l'album. Nos précédents albums étaient cohérents, tout était assez enlevé, alors que là on s'est dit qu'il fallait aller vers quelque chose de plus aventureux, avec des détours, que chaque chanson soit une surprise, ou comme un volume d'encyclopédie.

Oui, il y a des chansons assez agressives comme "Magic Mountain", puis d'autres plus mélancoliques comme "I Hope Time Doesn't Change Him".

JG : Oui, c'était ce qu'on voulait faire, comme une encyclopédie qui réunit de nouvelles et d'anciennes informations, parce qu'on ne souhaitait pas non plus se débarrasser du son de The Drums. On a mis du temps à élaborer ce son et à se l'approprier; donc on voulait s'aventurer sur des territoires inconnus mais aussi creuser encore plus notre musique; ce qui fait qu'une chanson comme "Break My Heart" peut faire penser à "Down By The Water" mais affublée de plusieurs couches et de plus de profondeur.

A ce titre, comment décrieriez vous votre musique ?

JG : C'est compliqué...

(longue pause)

JP : C'est la question que je déteste...

Je vous la pose parce que je serais moi même incapable d'y répondre.

JP : Et c'est le meilleur compliment qu'on puisse nous faire ! Souligner le fait que notre musique n'est pas si facilement identifiable. On ne connaît pas la réponse nous même, on ne sait pas comment décrire notre son. Tout ce que l'on sait, c'est qu'on entend quelque chose qui sonne bien dans nos têtes et qu'on le met sur bande. C'est tout simplement ça. Notre idée n'a jamais été de réunir quelques musiciens dans une pièce et de se dire "Ok, voyons ce qui va arriver". C'est toujours "J'ai cette chanson, allons rapidement l'enregistrer".

JG : Et puis particulièrement sur cet album, les titres sont assez différents les uns des autres. On aime bien avoir un aspect cinématique, comme si chaque piste représentait une scène. On aime l'idée d'une musique visuelle, qui vous transporte quelque part.

Donc oui, comme un film.

JP : ouais, mais calé dans le roc de la réalité. Surtout cet album. 

J'ai lu quelque part que vous vous étiez enfermé tout seul dans un petit studio lors de l'enregistrement et que vous étiez dans une situation plutôt déprimante.

JP : Bien, moi j'étais tout seul et un peu déprimé.

Mais vous pensez que c'est important pour faire de la musique ?

JG: C'est quelque chose que l'on s'impose nous même. Chaque fois qu'on essaye d'aller dans un studio assez branché, avec un producteur, ça ne marche jamais. Ca nous tétanise et coupe notre créativité; alors c'est pour ça qu'on a besoin d'aller dans une petite chambre crasseuse où personne ne s'intéresse à nous. A partir de ce moment là, tout coule de source.

JP: On comprend la solitude et elle ne nous gêne pas, même si ça peut sembler un peu malsain. C'est une manière pour nous d'ouvrir nos cœurs et permettre à notre créativité d'émerger. Quand quelqu'un est payé pour donner une certaine direction, on trouve que c'est un concept assez moche. Personne ne devrait être derrière le dos d'un peintre et lui dire quoi faire. Un peintre ne peint que ce qu'il veut.

D'accord, donc au final c'est plus un besoin d'être tranquille que d'être déprimé ?

JP: Et d'avoir la liberté sans aucune pression.

JG : Et d'être des tyrans du contrôle, être sûr qu'on a la main sur tous les aspects. Le travail d'un producteur est d'améliorer le son, mais on ne veut pas de ça.

JP : On tient simplement à sonner comme nous.

Vous êtes vos propres producteurs.

JP : Oui. Je ne sais pas si je dirais ça. On fait notre musique.

JG : Nous sommes nos propres...Non-producteurs ? Quelque chose dans ce genre. C'est juste de la musique non produite. (rires)

On ne dirait pas !

JG : Merci.

JP : Cet album sonne mieux que les précédents.

JG : On a essayé de faire du bon travail.

JP : Une fois enregistré, on l'a aussi envoyé chez un mixeur, pour qu'il s'occupe des niveaux; et on a eu du bol, parce qu'il y a eu peu d'aller retours entre nous; ça c'était nouveau. Mais tout le coté créatif est à mettre à notre crédit.
 


Avez-vous joué tous les instruments, notamment la batterie ?

JP : Ouais. Certaines ont été enregistrés en live et les autres sont des samples. Mais on a tout fait.

Et comment vont s'organiser vos prochains concerts ?

JG : Il y'a un petit groupe d'amis qui va nous suivre sur la tournée pour incarner en quelque sorte notre orchestre.

Vous pensez à les inclure dans l'enregistrement d'un prochain album, ou vous ne continuez qu'à deux ?

JP : Je pense qu'on est encore trop timoré pour ça; on est assez content d'être un duo maintenant, notamment parce qu'on a fait un enregistrement comme celui-ci. Jacob et moi discutions à l'aéroport l'autre jour, et je lui ai dit que je n'avais jamais pris autant de plaisir à être sur la route, et il était complètement d'accord, c'est très agréable. Alors pourquoi changer quelque chose qui marche ?

JG : Ca fait 18 ans qu'on se connait, et on a fait de la musique la plupart de ces années, donc on sait instinctivement ce que l'autre est en train de penser. On a essayé de faire de la musique avec d'autres personnes mais ça n'a pas vraiment marché. Pourquoi se forcer ? On a quelque chose qui fonctionne et on va rester là-dessus. 

Vous écoutez quoi comme groupes en ce moment ?

JG : Je n'écoute plus vraiment de groupes. Je crois que je me suis lassé de la musique dite "normale". Peut-être est ce dû au fait que je sois moi-même dans un groupe. Je préfère écouter de la musique orchestrale, ou des vieux jingles des années 30, tout ce qui est de la musique sans vraiment en être, c'est ce qui m'intéresse le plus en ce moment.

JP: Je n'écoute pas vraiment de musique. (rires) Par exemple, si je pars en voyage avec des amis dans une voiture, tout de suite quelqu'un va vouloir mettre de la musique. C'est pourtant la dernière chose à laquelle je penserais. Peut-être que je l'aurais fait quand j'étais gamin, mais là j'apprécie la paix et le silence. Je pense que c'est une bonne chose, car quand je fais de la musique je ne suis pas influencé par une multitudes de choses. Si on veut écrire quelque chose d'original, je pense qu'il vaut mieux se laisser de l'espace et ne pas être tout le temps parasité.

Mais vous vous tenez un peu au courant de ce qui se passe sur la scène, vous allez voir des concerts ?

JP : Les seules fois où j'entends parler de groupes, c'est quand mon manager m'envoie des liens pour choisir nos premières parties. Sinon, je ne cherche jamais de musique sur le net; je ne sais pas, peut-être que je suis trop occupé par le groupe pour vraiment m'en soucier; et je n'ai pas l'impression de passer à coté de quelque chose. (rires)

JG : Si quelque chose est fait pour nous, l'univers nous le transmettra.

Vous avez une opinion sur internet ? Le buzz, le téléchargement, etc...?

JG : C'est quelque chose de bien trop énorme pour y penser. C'est une épée à double tranchant. Si internet n'existait pas, nous n'en serions pas là avec le groupe aujourd'hui, et ça a aidé les gens à se connecter entre eux. Je crois que les gens en sont sortis plus intelligents et paradoxalement plus débiles. C'est aussi une raison de la mort de l'industrie de la musique.

JP : Il y'a une plus grande connaissance du monde, ce qui est bien, surtout si on habite dans des petites villes, où l' on peut être maintenant exposé à n'importe quel coin de la planète. Mais ça amène  les gens à se créer leur petite célébrité en ligne, sur les réseaux comme Twitter, d'un coup les gens pensent qu'on fait attention à tout le monde. Les gamins arrêtent de sortir et de se rencontrer, les gens sont connectés et restent chez eux.

JG : Ca draine la créativité, parce que tout le monde est au courant de ce qui se fait.

JP : Je ne sais pas pour Paris, mais à New York, c'est mort. La scène artistique est morte, la scène musicale est morte, les soirées sont mortes parce que personne ne sort ! la nouvelle génération ne connaît pas mieux, alors ils restent chez eux et chattent. On draine toute la culture dans cette espèce de vide, et le pire c'est que ces gamins ne savent même pas ce qu'il ratent. Mais bon, c'est peut-être qu'on est oldschool, et que c'est le merveilleux nouveau "way of life". Ca n'a pas l'air si génial.
 


J'ai aussi vu que vous aviez fait pas mal de vidéos pour vos deux derniers albums, et beaucoup de jeunes groupes le font, notamment à cause d'internet. Qu'en pensez-vous ?

JP : Il y'a toujours une pression du label pour que tu produises plus de contenu. Plus tu as de vidéos, plus tu as de chances que des personnes t'écoutent et partagent entre eux. C'est assez moche. Heureusement pour nous, l'aspect visuel a toujours été important à nos yeux. On aime que chacune de nos chansons soient presque comme des scènes de film; même si les paroles peuvent paraître plus enracinées dans la réalité. A un moment, on pensait même que notre aspect visuel était plus important que la musique.

Et vous  aimeriez faire un vrai film ?

JG : Je ne sais pas, je pense que nous aimerions bien le faire, je ne sais pas si on aura le temps ! (rires) Peut-être qu'une fois qu'on aura fait le tour de la musique, on arrêtera notre carrière avec un film ou quelque chose dans ce genre là...

JP : Je ne sais pas. On a toujours parler de réaliser un film, une comédie avec un ton assez particulier.

Quels sont vos projets ?

JG : La tournée. Aller tout autour du monde, encore et encore. Nous sommes très excités à l'idée du prochain album, on a beaucoup d'idées, faire Encyclopedia a vraiment ouvert notre inspiration. En général, on a plus d'idées après avoir fait un enregistrement, mais là c'est l'inverse, donc j'espère qu'on pourra s'y atteler aussi vite que possible.

Donc vous vous sentez très inspirés ?

JG : Oui, on a une idée très claire.

JP : Ce qui est un soulagement, car après les deux premiers albums, on se disait "Pfiuuu! On l'a fait! Je ne sais pas si ou pourra recommencer." C'était une démarche épuisante, aussi dû au fait qu'on tournait et enregistrait sur la même période. Alors que nous travaillions sur Encyclopedia, on rêvait déjà du prochain album, c'est la meilleure chose qui puisse arriver.

Quelle direction prendra ce nouvel opus ?

JG : On ne peut pas le dire.

C'est un secret ?

JG : Il est bien trop tôt. Mais ce sera bien.

JP : Et si on te le disait, personne ne l'achèterait; les gens se diraient "là où ils vont, je ne risque pas de les suivre !"

JG : Des mots ne suffiraient pas. Il faudra attendre la sortie et l'écouter. Sinon, ça ne fait aucun sens.

Merci aux Drums et à Him Media pour cette interview !
 

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