Après une édition 2024 marquée par la diversité et une ambiance toujours aussi chaleureuse, le festival Terre de Couleurs revient en 2025 avec une programmation qui ne laisse aucun doute sur ses ambitions. Entre rock abrasif, reggae engagé, fusion électrisante et fanfare déjantée, cette nouvelle édition confirme que le doyen des festivals ariégeois n’a rien perdu de son souffle, ni de son âme.
Installé depuis 2022 dans le cadre bucolique de Saint-Ybars, le festival continue de tisser sa toile avec conviction, fédérant public, artistes, associations et bénévoles autour d’un projet culturel, écologique et profondément humain. Labelisé « Manifestation Verte d’Ariège », Terre de Couleurs cultive depuis plus de trente ans une démarche responsable : circuits courts, toilettes sèches, gobelets réutilisables, accueil chez l’habitant... Ici, chaque détail compte.
Porté par une équipe de bénévoles passionnés et une programmation audacieuse orchestrée par Thomas, son programmateur de longue date, le festival ne cesse de se réinventer sans trahir ses valeurs. Avec des artistes comme Tiken Jah Fakoly, Lofofora, Gong, Sidilarsen, La Poison ou Les Touffes Kretiennes, cette 31e édition s’annonce aussi explosive que métissée.
Et une chose est sûre : à Terre de Couleurs, on ne vient pas seulement pour écouter de la musique — on vient pour vivre une expérience. Engagée, festive, accessible. Authentique.
La Poison

Mine de rien, ça fait pas loin de 10 ans que La Poison, le projet électro punk « retro-futuriste » de Moon (chant) / David Menard (batterie) du Maximum Kouette et du guitariste Fugu Shima (Daniel Jamet - Mano Negra, Les P@tron$, Flor Del Fango, ...) continue son petit bonhomme de chemin et pas loin de 10 ans que le groupe monte en puissance avec deux albums au compteur et des prestations scéniques très visuelles. On attendait donc avec impatience, la venue du trio par chez nous !
Il est à peine 19h lorsque La Poison fait son apparition sur la grande scène de Terre de Couleurs. Le soleil cogne encore fort sur les rives du lac de Saint-Ybars, et le public arrive au compte-goutte en ce vendredi soir. Ambiance clairsemée, donc, pour ce premier concert du festival… mais qu’importe : Moon et sa bande ne sont pas du genre à se démonter.
Sans leur guitariste habituel, Fugu Shima, remplacé pour l’occasion par Ben, le groupe démarre pied au plancher avec "Humain Humain". Robe blanche futuriste, oeil habité et accent russe toujours aussi savoureux, Moon investit la scène comme si elle jouait devant un Zénith bondé. Elle harangue la poignée de festivaliers déjà sur place, joue avec l’espace, occupe chaque mètre carré du plateau avec une gestuelle robotique et assurée. Derrière elle, Lars Sonik enchaîne les séquences batterie et claviers avec une précision chirurgicale et très vite, la dynamique se met en place sur des titres accrocheurs et dansants comme "Besoin De Réconfort", "Juste Un Kiss" ou "Reach Out".

Petit à petit, l’électro-punk débridé du trio commence à faire effet. Les sons acides, les beats martelés, les slogans scandés comme autant de cris du cœur — tout converge pour attirer les curieux vers la scène, intrigués par cette étrange capsule venue d’un autre temps... ou plutôt d’un autre futur. Car oui, La Poison vient de l’an 2169 et sa mission est claire : réveiller les consciences avant qu’il ne soit trop tard.
Même sans leur guitariste fétiche, le set tient parfaitement la route, porté par des morceaux redoutablement efficaces comme « La Poison », « Smash You Up », « Open Your Eyes » ou l’explosif « Le Monde Va Mal ». Le dernier album Décadanse Générale est évidemment à l’honneur avec pas moins de sept morceaux ("Humain Humain", "Juste Un Kiss", Décadanse Générale", "Je Danse Pour Toi", "Les Mauvais Garçons", ...) , et la machine est bien huilée : synthés clinquants, riffs acérés, textes mordants, chorégraphies millimétrées.
En l’espace d'une bonne heure, La Poison a réussi le tour de force de transformer un parterre presque vide en un véritable noyau dansant, posant les bases d’un week-end qui s’annonce bien chargé. Mission accomplie pour le trio rétro-futuriste qui, même au travers d'un créneau horaire difficile, n’a rien perdu de son mordant ni de sa folie scénique. Et comme toujours, Moon règne en reine du chaos pop avec présence magnétique et second degré permanent.
Un démarrage en douceur sur le papier, mais un démarrage électrique dans les faits. À peine le festival commencé que le ton est donné : ici, La Poison n'a pas fait semblant.
Lofofora

Il est 20h45 lorsque Lofofora monte sur les planches du chapiteau de Terre de Couleurs, et cette fois, le public est bien là. Pas encore le grand rush du samedi soir, mais une fosse déjà bien garnie et prête à en découdre. Reuno, fidèle à lui-même, s’empare du micro avec l’aisance d’un vétéran des scènes alternatives, à mi-chemin entre le tribun punk et le grand frère bienveillant. Et comme souvent avec Lofo, pas de tour de chauffe : ça rentre directement dans le dur dès l'opener "Apocalypse".
Fidèle à sa réputation de bête de scène, Reuno focalise toutes les attentions tant son jeu de scène est nerveux. Ainsi, l'homme occupe bien l'espace et délivre une prestation plus que convaincante. Il faut dire que le frontman est bien en voix et se donne à fond sur des titres comme "Bonne Guerre" ou "La Chute" qui font bouger le pit. Visiblement content d'être là, le chanteur ne manque pas de titiller "la génération perdue" et "les hippies ariégois" au fil de ses interventions et ce, avec pas mal d'humour et de second degré.
Mais plus qu’un simple show de rock, le concert de Lofofora est un moment de parole et d'engagement. Ainsi, le chanteur prend souvent la parole entre les morceaux pour fustiger les travers de notre société, parle de féminisme avec conviction avant d'introduire avec force le morceau « Macho Blues », appelle à la conscience politique du public en évoquant la pétition contre la loi Duplomb, à signer sans tarder. Les revendications du groupe sont toujours intactes, portées haut et fort.

Sur scène, le reste du groupe déroule avec puissance. La section rythmique basse / batterie, toujours aussi solide, imprime ce groove plombé qui caractérise si bien les compositions du groupe, même si Vincent derrière sa batterie, a des problèmes de son dans son retour. Lofofora envoie du lourd sur des titres comme "La Machette", "Konstat 2024" ou encore "Laisse Pas Faire", qui tapent là où ça fait mal. Le public, visiblement conquis d’avance même s'il n'est pas le coeur de cible du festival (habituellement plus tourné vers les musiques du monde), répond présent : ça pogote gentiment, ça scande les paroles, et ça répond à toutes les sollicitations de Reuno entre deux vagues de décibels.
Comme on pouvait s'y attendre et malgré les années, Lofofora n’a rien perdu de sa verve, ni de sa pertinence ("Les Gens", "Dur Comme Fer", "Autopilote", ...). Pas de nostalgie appuyée ce soir, même si quelques classiques sont glissés ça et là comme "Justice Pour Tous" ou un bout de "L'Oeuf", le set fait la part belle aux morceaux les plus récents, notamment ceux de l’album Cœur de Cible. Le groupe prouve une fois de plus qu’il ne vit pas sur ses acquis et qu’il continue, envers et contre tout, à avancer ("Maladie Mortelle", "Apocalypse", ...).
Dans la chaleur du chapiteau de Saint-Ybars, le quatuor parisien a livré une prestation intense, engagée et profondément humaine. À l’image du festival qui l’accueille, d’ailleurs. Un concert sans esbroufe avec la forme, mais aussi avec du fond, du fond, et encore du fond. Et ça, ça fait du bien !
Les Touffes Krétiennes

Il est 22h45 quand une déferlante cuivrée s’abat sur le chapiteau de Terre de Couleurs. Et quelle déferlante ! Les Touffes Krétiennes, formation complètement déjantée qui fête, en ce moment-même et depuis mars, ses 25 ans dans les entrailles de la scène alternative française, débarquent avec leurs valises de reprises explosives et parfois improbables comme "Rock Lobster" des B52's ou "This Is Not A Love Song" de PIL. Résultat : un joyeux bordel parfaitement orchestré, à mi-chemin entre fanfare punk, un cabaret sous acide et une fête de village sous stéroïdes !
Il faut dire que sur scène, les musiciens venus des quatre coins de la galaxie alternative (Les Hurlements d’Léo, Les Ogres de Barback, Babylon Circus, Têtes Raides, Raoul Petite, Fils de Teuhpu, …), mettent en place une dynamique imparable. Ainsi, on se retrouve devant une sorte de all-stars band informel et mouvant, où tout le monde chante, tout le monde souffle, tout le monde danse, et surtout, tout le monde s’éclate. La connexion n'a donc aucun mal à se faire avec les festivaliers de Terre de Couleurs qui entrent tout de suite dans l'univers cuivré du groupe.

Avec un set qui a commencé pied au plancher sur un "The Yack" sans sommation, les musiciens des Touffes Krétiennes se sont vite mis dans le bain. Ainsi, chacun change de place, échange ses instruments, refile le micro comme une patate chaude pour mettre en place un set résolument énergique. C’est foutraque, mais incroyablement bien rodé. Et surtout, ça pulse ! Trompettes en avant, saxophones en embuscade, batterie nerveuse et guitares en soutien, le groove brass band est roi, et les reprises s’enchaînent avec une énergie communicative ("Shalala", "Groove Is In The Heart", "Guns Of Brixton", ...). Parmi les reprises inattendues mais diablement percutantes comme cette cover de "Know Your Enemy" de Rage Against The Machine à la sauce Kool & The Gang ("Know Your Jungle Boogie") ou encore "Walk Like An Egyptian" des Bangles métamorphosé en hymne de stade balkanique...
Le public ne s’y trompe pas. Après la tension rugueuse de Lofofora, cette parenthèse délirante fait office de soupape. Ça danse, ça saute, ça crie, ça rigole et le chapiteau se transforme en une sorte bal géant pour grands enfants, où l’on oublie tout sauf l’instant présent. Voilà un joyeux défouloir où règnent la musique, la sueur et la bonne humeur, sans le moindre faux pas.
Et si l’on sent parfois poindre un brin de nostalgie dans cette grande fête — celle des années punk, des festivals de l’époque des Bérus et des sound systems sauvages —, les Touffes Krétiennes rappellent surtout que la fête peut rester engagée, collective, et furieusement vivante. À 25 ans, cette fanfare pas comme les autres n’a rien perdu de sa verve ni de son bordel organisé. Mieux : elle semble plus libre que jamais !
Sidilarsen

Il est une heure du matin passée quand Sidilarsen investit la scène du chapiteau à Terre de Couleurs. L’horaire est tardif, le public clairsemé mais curieux et l’enjeu pour le groupe n'est pas anodin : il s'agit de faire vibrer un festival plus habitué aux musiques du monde qu’aux déflagrations électro-metal. Mais dès les premières secondes de "Comme On Vibre", le combo ariégeois montre qu’il est ici chez lui et qu’il ne fera aucune concession.
Originaire du coin, Sidilarsen est ici en terrain conquis dans la mesure où ce set prend la forme d'un retour aux sources. Ceci étant, le quintet aborde ce concert avec une présence scénique affirmée et une énergie intacte ("Money Game"). Ainsi, la scénographie, comme d'habitude très travaillée et accrocheuse, est soutenue par un jeu de lumières puissant : stroboscopes frénétiques, flashes syncopés... Tout concourt à renforcer l’intensité de la musique et à immerger le public dans un véritable mur sensoriel ("Retourner La France", "Intox", "On Revient Sur Terre").
Sur scène, le groupe fonctionne comme une machine bien huilée. Les riffs de guitare de Viber sont solides, tranchants et donnent beaucoup de peps à l'ensemble. La basse, sans fioriture, va droit à l’essentiel et soutient les morceaux avec un groove brut et efficace. Le tout donne une ossature claire, compacte, qui permet à chaque titre de frapper juste, sans dispersion à l'image du costaud "Du Sang Sur Les Fleurs".

Au chant, Didou capte immédiatement l’attention. Il est bien en voix, alterne les parties chantées et criées avec aisance, et surtout, communique beaucoup avec le public entre les morceaux. Il occupe l’espace avec fluidité, joue avec les lumières, bouge sans cesse, interpelle les spectateurs. Il devient très vite le point de fixation du show, fédérant autant par sa présence scénique que par sa capacité à maintenir une tension constante ("Sunburn", "Le Meilleur Est À Venir").
Derrière les fûts, Marvyn Palmeri, intégré au groupe en 2022, confirme sa pleine légitimité. Son jeu est nerveux, précis, énergique et parfaitement en phase avec la dynamique du groupe. L'homme apporte une fraîcheur rythmique bienvenue, sans jamais dénaturer le travail de Samuel Cancel, batteur historique de 1997 à 2022.
Comme toujours chez Sidilarsen, la musique va de pair avec un discours engagé. Le groupe profite du set pour rappeler son attachement aux valeurs féministes et dénoncer fermement les comportements sexistes et les frotteurs dans les concerts avant de lancer "Adelphité". Un message clair, assumé, salué par le public et cohérent avec l’esprit du festival, déjà porté plus tôt dans la soirée par Lofofora.
Même si le style du groupe n'est peut-être pas la tasse de thé des festivaliers, Sidilarsen livre un set frontal et cohérent, qui ne cherche jamais à séduire par compromis. En quittant la scène, le quintet laisse une impression forte : celle d’un combo fidèle à ses convictions, ancré dans son époque, capable de mêler puissance musicale, exigence technique et propos engagé. Une claque, oui — mais une claque consciente !
Crédits photos : Vincent BN. Toute reproduction interdite sans autorisation du photographe





















































