Entretien avec Apocalyptica au Hellfest 2025 : “Jouer du metal avec des violoncelles, c’est mission impossible… mais on adore ça !”

Ovni de la scène metal, Apocalyptica s’est imposé depuis la fin des années 90 avec une formule unique : trois violoncellistes formés à la musique classique qui jouent du metal pur et dur. Pour cette édition 2025 du Hellfest, le groupe finlandais revient avec un set spécial reprise de Metallica, dans le cadre de la sortie de leur album Plays Metallica Vol. 2 : un retour aux sources qui fait écho à leurs débuts. Quelques heures avant leur concert, nous avons rencontré deux des musiciens de la formation, Eicca Toppinen et Paavo Lötjönen, pour un entretien passionné mais aussi plein d’humour.

Bonjour et merci de prendre le temps de répondre à nos questions sous cette canicule.  Avec cette chaleur étouffante, j’imagine que jouer du violoncelle risque de ne pas être évident… 

Eicca : De rien, nous sommes arrivés hier soir et on profite du soleil et de la chaleur comme tu peux le voir (rires) !

Paavo : En fait, c’est assez compliqué pour nous. La résine (le colophane) qu’on applique sur les crins d'archet (Ndlr : la partie de l’archet qui frotte les cordes) fond avec la chaleur. Du coup, ça devient soit collant ou au contraire très glissant, et ça affecte énormément la qualité du son. Peut être que ce soir, il n'y aura aucun son qui va sortir de nos violoncelles…

Eicca : Mais on nous sommes des Finlandais très forts, on n’abandonne jamais, donc on va gérer !

Paavo : Au pire on pourra improviser en pizzicato ! (ndlr : une technique de pincement de cordes avec les doigts sans utiliser l’archet). 

 

Jouer du metal avec des violoncelles en festival, au-delà des aspects techniques, c'est un vrai défi non ? Qu’est ce qui est le plus difficile à prendre en compte lorsque vous jouez du metal avec des instruments classiques ?

Eicca : Complètement ! Après avec tout ce temps, je pense qu’on a su s’habituer à tous les challenges possibles relatifs au fait de jouer du metal avec des violoncelles. Le plus dur c’est vraiment l'acoustique très variable, l'humidité et les températures qui affectent directement les instruments. Toutes les conditions sur scène peuvent vraiment avoir un impact sur les instruments et il faut s’avoir s’adapter.

Paavo : C'est une mission presque impossible, donc ne faites pas ça chez vous, surtout si c’est avec votre petit(e) ami(e) ! Je ne recommanderais à personne de faire ce qu’on fait (rires).

 

Avez-vous les mêmes rôles que dans un groupe de metal (un équivalent bassiste, un équivalent guitare rythmique, guitare solo) ? Et si oui, pourriez-vous changer les rôles facilement ?

Paavo :  Oui, aujourd’hui Perttu fait principalement les solos et pour ça il a besoin de réglages spécifiques sur son violoncelle, et les pédales à effet sont très spécifiques sur son installation en live. J’assure les basses, et Eicca s’occupe surtout des riffs principaux, avec quelques solos. On se focalise sur ce qu’on fait de mieux pour garantir un super son en live.

Eicca : A l’époque ça n’a pas toujours été le cas et on faisait un peu ce qu’on voulait et on changeait les rôles. Mais au fur et à mesure, pour rendre les albums encore meilleurs, il a fallu se spécialiser pour faire ce qu’on savait faire le mieux. Venant de la musique classique, chacun avait aussi ses spécialités et ses techniques. J’espère que ça marche bien ce fonctionnement. Au moins on a la chance de rejouer au Hellfest (rires).

Paavo : Tous nos set-ups sons sont différents. Il y a plein de petites différences entre nous. Par exemple, Perttu utilise des archets normaux avec du crin blanc, qui apporte de la brillance au son. Au contraire, Eicca et moi, on utilise du crin noir, qui apporte de la puissance et de la profondeur. C’est nous qui sommes les plus metal. En plus, le noir, ça fait très “enfer et maléfique”, ça nous va bien. Il nous faut du crin noir (rires).

Vous avez prévu un set spécial Metallica pour votre set au Hellfest, en lien avec le volume 2 de reprise de Metallica sorti l’année dernière.

Paavo : Oui absolument ! Il y aura principalement des morceaux de notre album Plays Metallica Volume 2. Il y a nos chansons favorites de Metallica qui nous ont inspiré pour faire ce qu’on fait aujourd’hui.  On commence fort avec « Ride The Lightning », suivi de « Enter Sandman », « St. Anger »,  et « Blackened ». On a pensé cette setlist pour mettre en avant les riffs emblématiques du groupe.

Eicca : Pour l'occasion, on va jouer des morceaux très dynamiques surtout qu’on ne joue que 40 minutes. Tout est metal, très metal, c’est parfait pour le Hellfest. Et même si on a été formé de manière intensive aux violoncelles et à la musique classique lorsqu’on était jeune, on est avant tout des metalleux, fans de Metallica depuis les années 80. Donc c’était une parfaite occasion de leur rendre hommage.

 

C’est vrai que vous avez réussi pour la première fois à inviter Robert Trujillo et même James Hetfield de Metallica sur cet album ? Comment êtes vous arrivés à les amener sur l’album ?

Eicca : Oui c’était incroyable, on n'y croyait pas vraiment au départ. Lorsqu’on a commencé à travailler sur le volume 2, cette idée n’était pas du tout prévu.  Et après un certain temps on on s’est dit que ça serait vraiment bien d’avoir une basse sur « The Four Horsemen », et pourquoi pas la basse de Rob (ndlr : Robert Trujillo). Surtout sur ce morceau, la basse est tellement fondamentale qu’il fallait quelqu’un d’important.

On a appris à les connaitre depuis quelques années. Du coup on les a juste contacté, et on a commencé à montrer à Lars Ulrich ce sur quoi on était en train de travailler. On a ensuite été les voir en Suède pendant leurs tournées pour continuer à discuter sur le sujet. Ils étaient vraiment très enthousiastes sur le projet et ont vraiment voulu que ça se fasse.

Paavo : C’était un immense honneur pour nous d’avoir les musiciens sur l’album !

 

Vous avez choisi surtout des morceaux anciens de Metallica pour l’album, pourquoi cette préférence ? Que pensez-vous de la période post Black album ?

Eicca : Sur les derniers albums (depuis la période Load), les compositions et l’écriture sont vraiment différentes, plus répétitives. Ce sont plus des morceaux qui rendent hommage aux performances originales de Metallica, surtout depuis Saint Anger. Cela dit on les apprécie quand même beaucoup. Quand on met notre jeu de violoncelle sur ces chansons plus récentes, on se rend compte qu’il manque quelque chose, il y a un manque de mélodies et de riffs. Sur les derniers albums il y a trois riffs par chanson alors que dans les anciennes, tu avais limite 10 riffs géniaux par chanson.

Paavo : Et puis c’est une période qui nous touche profondément, ça rappelle notre jeunesse, le moment où on est tombé amoureux de leur musique. Cet album et nos reprises de Metallica en live, c’est un peu comme une machine à remonter dans le temps.

Eicca : On a bien essayé leurs nouvelles chansons, mais on a toujours manqué de temps pour les adapter. Et d’ailleurs il en reste encore beaucoup d’anciennes qu’on a pas encore réussi à faire. Très souvent, on essaye d’en reprendre plein, mais le résultat ne nous plait pas. Vu que nous sommes très critiques sur nos productions, on a souvent mis de côtés certaines reprises qui ne nous convenaient pas. On a vraiment choisi celles qui rendaient le mieux.

 

Dave Lombardo, votre batteur historique (ex-Slayer) a aussi rejoint l'album sur "Blackened", n'est-ce pas ?

Eicca : Exactement ! Dave est notre tout premier batteur, il a participé aux premiers albums avec nous. Quand il est dispo et dans le coin, on adore qu'il nous rejoigne en studio, c’est un musicien formidable et humainement génial.

Paavo : Ce n'était pas nos premiers. C'était sur les quatre premiers albums pour lesquels on a commencé à avoir de la batterie, depuis Reflections en 2003, pour être exact ! 

Votre musique est souvent entre classique et metal, comment décidez-vous de la direction musicale sur chaque morceau (plus heavy, plus électrique, plus doux, plus classique)  ?

Paavo : On a grandi avec ces deux influences et on aime beaucoup jouer sur les contrastes. Notre jeu c’est de flirter entre le rock et le classique. Tout se fait instinctivement, sans règle stricte. Je pense que c’est une marque de fabrique d’Apocalyptica.

Eicca : Je pense que ce qui fait qu’une musique est bonne, c’est l’excitation qu’on a à attendre qu’il se passe quelque chose. Margaret Atwood, qui est une grande romancière canadienne, enseigne que la base d’un bon roman est qu’il doit se passer quelque chose. On essaye de retranscrire ça dans nos chansons. Il faut que ça soit puissant et beau à la fois. La beauté fait autant la puissance que la puissance fait la beauté. Sans ce contraste, les émotions qu’on ressent à écouter de la musique ne peuvent pas s’amplifier.

 

Vous avez fait aussi des chansons en featuring avec des artistes de tous horizons (Simone Simmons d’Epica, le chanteur de Sabaton, Joakim Broden, et même une collaboration avec Nina Hagen dans un autre registre). Il y'en a une que vous retenez en particulier ?

Eicca : Oui, dur de choisir. Ces collaborations étaient super sympa, mais je dirais celle avec Joe Duplantier de  Gojira. Car c'est mon groupe de metal préféré de la scène metal actuelle.  Ils ont un son et une production tellement massive, qui dépasse l’entendement. On a fait le  morceau “Bring Them To Light" avec Joe Duplantier il y a longtemps. C’était super, même si ça remonte à plus de 15 ans déjà sur 7th Symphony.

 

Vous réfléchissez déjà à un prochain projet ? C’est quoi la suite pour vous après cette période 100% Metallica ?

Paavo : Oui, on est en train de réfléchir et on a un peu travaillé sur la suite. Même si pour le moment on est en train de finir la tournée Metallica qui va encore durer une bonne année (plus de deux ans de promotion de l’album!).

Eicca : Lorsqu’on fait un album, on pense aussi au show et à la tournée qu’on veut faire pour le promouvoir. Tout doit être très connecté. On est en train de faire du Metallica avec cette esthétique très metal, très dynamique, très percutante. Pour la suite, on aimerait explorer quelque chose de différent, peut-être plus dynamique et subtil, avec plus de contrastes encore justement. On fera surtout quelque chose qui nous plait sur le moment, c’est le plus important. 

Si on est là avec Metallica, c’est surtout qu’on a eu une période nostalgie et ça nous a fait kiffer de refaire ces reprises. Cette période est exceptionnelle. Cependant, on préfère se concentrer sur notre propre musique en général. Les reprises comme Metallica, ce sont plus des exceptions maintenant pour nous. Même si on a commencé avec ça, on ne se voit plus comme un groupe de reprises. Il n’y a que trois albums (dont le dernier) qui sont des reprises dans notre discographie, le reste, tout est original.

Une question un peu geek. Vous avez aussi collaboré avec Hideo Kojima sur son jeu vidéo Death Stranding en 2019, et dont le deuxième épisode vient juste de sortir. Comment s’est passé cette collaboration ? 

Eicca : C’est surtout Kojima lui-même qui a choisi « Path », notre morceau sorti en 2000, pour son jeu. La chanson est tirée de l’album Cult, notre troisième album, mais aussi le tout premier album qui n’était pas un album de reprises. C’était une période qui a été une étape clé pour notre carrière, puisque c’est celle où nous avons commencé à créer nos propres morceaux. “Pathest vraiment le morceau symbole du moment ou l’on a montré qu’on était plus qu’un simple cover-band.

Hideo Kojima est d’ailleurs un fan d'Apocalyptica depuis toujours. On l’a rencontré la première fois à Helsinki, lorsqu’il visitait le studio finlandais Remedy là-bas. On a même visité son studio Kojima Productions à Tokyo lorsqu’on est allé au Japon, c’était un bon moment.

Ça a donné une deuxième vie au morceau grâce au jeu, et c’est vraiment super de voir que notre musique a pu renaitre sur un autre media. Kojima a vraiment une vision de l’art qui transcende les médias. Il ne veut pas faire seulement un bon jeu vidéo, mais il voit chacun de ses jeux comme une œuvre à part entière. Cet homme aime l’art sous toutes ses formes. Il a bon goût !

 

Vous êtes gamers vous-mêmes ?

Paavo : Pas vraiment, sauf Perttu qui joue beaucoup, il joue trop même !

Eicca : Paavo et moi venons plutôt de la génération Commodore 64, donc un peu avant que les jeux deviennent vraiment impressionnants ! (rires)

Plus généralement, pensez-vous que la musique classique est un peu plus accessible, grâce à des formations comme la vôtre ? Le classique serait-il devenu metal ?

Paavo : Aujourd’hui,  il y a ce nouveau mouvement musical de “nouveau classique”, qui est en train de devenir très populaire. On le voir surgir un peu partout sur les plateformes de streaming et les playlists. Avec ce courant, la musique classique est devenue mainstream elle aussi en quelque sorte. C’est le classique que les gens sont veulent écouter. Il y a vingt ans, la musique classique était trop complexe, trop mathématique. Il manquait vraiment une âme et de l’émotion à cette musique.

Eicca : Oui, il y’a vingt ans les œuvres classiques manquaient trop de mélodie, tout était axé sur la virtuosité. Ou alors il y avait encore les anciennes œuvres de musiques classiques pour ceux qui voulaient de l’émotion et de l’épique.

 

Pensez-vous qu’il existe aujourd'hui des groupes similaires à Apocalyptica  ?

Paavo : Honnêtement il n’y pas vraiment de groupe comme nous qui fait du metal violoncelle. Certains groupes utilisent aussi des cordes, mais notre façon de faire reste très spécifique. Par contre on a inspiré beaucoup de musiciens et c’est génial de voir qu’il y’a des reprises de nous un peu partout dans le monde. Surtout en Europe de l’Est.

Eicca : Apocalyptica est je pense assez unique. Nous sommes une sorte d’anomalie. Nous avons commencé à jouer du metal en groupe à 18 ans, alors qu’on était encore en train d’être formés au violoncelle de manière intensive. Depuis le projet a continué et beaucoup évolué depuis des dizaines d’années et c’est aussi ce qui nous permet d’être ce que l’on est aujourd’hui. Je pense que sans toute l’expérience qu’on a et ces circonstances, on n’aurait pas pu devenir un groupe comme Apocalyptica.

Le dernier album d'Apocalyptica, Play Metallica Volume 2, est disponible chez BMG rights management

Le live report du concert de Apocalpytica et de la journée du jeudi est aussi disponible ici.



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