Three Days Grace au Bataclan : la ferveur s’exprime enfin après plusieurs décennies d’attente (+ Ashen), 15.12.2025

Il est mi-décembre et l'heure des derniers concerts de l'année sonne. En ce lundi soir, le Bataclan a déniché une rareté, le groupe de heavy rock canadien Three Days Grace, pour lequel il s'agit presque le premier concert en France, et en plus avec le retour de son chanteur d'origine. De quoi égayer ce morne lundi soir.

La file d'attente s'étire sur plusieurs dizaines de mètres le long du boulevard Voltaire, et ce bien après l'ouverture des portes. Three Days Grace est manifestement attendu sur le sol français. Dans la fosse, des trentenaires et des quadras essentiellement, probablement venus revive leur adolescence - le groupe a été au sommet de sa gloire dans les années 2000.

Ashen

La première partie est assurée par le jeune groupe français Ashen, qui a cette année sorti son premier album et effectué sa première tournée française. La foule est déjà très compacte. Cinq musiciens sont sur scène, le chanteur principal Clem Richard est secondé au chant par le bassiste Thibault Poully, et les deux guitaristes Niels Tozer et Antoine Zimer assurent aussi parfois des chœurs. Sans compter un cameraman très fréquemment présent sur scène.

Si l'esprit de Noël a déjà envahi vos pensées, nous vous dirons que le groupe est au point techniquement (le batteur Tristan Broggia offre vers la fin un petit solo pas déplaisant), qu'il joue une musique très efficace, et qu'il sait diantrement bien jouer avec le public. Le chanteur est survolté et s'adresse à la foule presque entre chaque morceau, le groupe est manifestement à l’aise sur scène, et à voir sa façon de faire marcher le public, on lui donnerait plus de bouteille qu’il n’en a réellement. Clém Richard va jusqu’à faire applaudir sa grand-mère venue le voir, « la doyenne de la soirée ».

En revanche, si c'est plus l'esprit du Grinch qui vous habite, nous vous dirons que le groupe joue un metalcore cliché au possible, sans une once d'originalité, avec des structures de morceau très prévisibles (couplets clairs - refrain screamé ou l'inverse), des titres vite redondants les uns par rapport aux autres et surtout des voix claires horripilantes et bourrées d'effets qui rendent l’ensemble artificiel. Et on passe sur la faute de goût qui consiste à faire acclamer "les Américains de Three Days Grace"... Alors que le groupe est canadien.

Cette tension est parfaitement illustrée par la reprise de "Smells like Teen Spirit" : le morceau culte de Nirvana est en soi interprété correctement, et la foule réagit au quart de tour... Mais c'est infiniment trop propre et trop lisse, avec en même temps des effets sur la voix assez affreux, pour susciter notre intérêt et s'approprier l'esprit d'origine. Il faut reconnaître cependant que le groupe n'essaie pas de singer l'original mais en fait une version entièrement metalcore.

Ashen a parfois quelques éléments un peu plus singuliers que son metalcore de base : une rythmique plus martiale et des étrangetés sonores sur « Oblivion », un passage plus groovy sur « Sacrifice », un passage rappé, une fin a capella tout en harmonie sur « Meet Again », avec laquelle le groupe rend aussi hommage aux "victimes de la barbarie, aux victimes du Bataclan". Certains titres, surtout vers la fin, apportent par ailleurs plus de lourdeur, ce qui est assez plaisant et fait oublier tous les effets inutiles. C'est prometteur, mais trop fragile pour vraiment retenir l'attention sur la longueur.

Mais si le groupe ne nous convainc pas vraiment, il en est tout autrement de la fosse, qui suit à la lettre les injonctions des musiciens, met le genou à terre puis se relève d’un bloc, saute, allume ses lumières, se lance dans des pogos effrénés et même des walls of death. Et à la fin du set, le public est chaud comme la braise. Au final, c'est ce qu'on attend d'une première partie.

Three Days Grace

L'affluence augmente encore si c'était possible. Le Bataclan n'est pas tous les soirs aussi plein ! Il faut dire que ce n'est que la seconde fois que le groupe se produit en France... Et la précédente, c'était juste une semaine auparavant. Cela peut sembler étonnant car il avait tout de même eu un certain succès dans les années 2000. Mais cela explique que ses fans, qui ne l'ont visiblement pas oublié, exultent autant ce soir. Avec quelques minutes de retard, le noir se fait, et des écrans sur scène diffusent le message "Time to fucking go". Puis les cinq musiciens arrivent sur scène, le batteur Neil Sanderson se perche sur sa batterie très en hauteur, et ils entament « Dominate », issu du dernier album Alienation, paru cette année.

Ce qui marque le plus, dès l'entame et sur l’ensemble de la soirée, c’est la ferveur surexcitée du public. Il ne chante pas les paroles, il les hurle. Les titres les plus connus sont récités du début à la fin par l’auditoire, et il arrive ponctuellement que les chanteurs s’entendent moins que la marée humaine qui leur fait face. Les acclamations fusent souvent dès le premier riff. On sent que cela fait longtemps que les fans attendent ce moment.

Musicalement, cela reprend la formule qui a fait le succès du groupe : un heavy rock direct, qui peut emprunter selon les moments au hard rock, au rock alternatif, au post grunge, voire au metal alternatif. Si l’esprit de Noël et le Grinch (oui, ils sont restés après la première partie) sont toujours en train de se quereller, le premier vous dira que c’est diablement efficace, quand le second trouvera l’ensemble musicalement convenu et pas transpirant d’originalité.

L’un des deux chanteurs, Matt Walst, abuse un peu d’effets sur sa voix, qui donnent un côté inutilement artificiel à l’ensemble, alors qu’Adam Gonthier fait montre de plus de puissance – même s’il semble en avoir un poil perdu par rapport aux premiers albums du groupe, certes vieux de plus de deux décennies. Les rares fois où il utilise des effets, comme sur « Pain », cela donne un contraste intéressant, visualisé par des allers-retours entre son micro habituel (très esthétique, au passage), et un second micro qui donne des effets métalliques aigus sur le couplet. « I Am Machine » fait aussi une utilisation intelligente du vocoder, vu le titre.

On pourrait s’interroger sur la pertinence d’avoir deux vocalistes, qui ont certes des timbres différents, mais peut-être pas au point d’avoir une complémentarité permettant d’explorer des registres extrêmement éloignés. Cependant, ce serait méconnaître l’histoire du groupe : Adam Gonthier, l’un des cofondateurs du groupe, l’avait quitté en 2013. Il avait alors été remplacé par Matt Walst, cousin du bassiste et également cofondateur Brad Walst. Mais quand Gonthier est revenu en 2024, le groupe a décidé de garder ses deux chanteurs.

Ils chantent, selon les morceaux, de concert ou chacun leurs parties, l’un d’eux assure parfois le lead tandis que l’autre fait plutôt des chœurs (Adam Gonthier semble avoir un peu plus souvent le lead). Walst – comme très ponctuellement Gonthier – assure aussi régulièrement la seconde guitare. Peu à peu, on se laisse convaincre par cette dynamique. Ils se partagent les prises de parole et remercient abondamment le public, soulignant qu’il s’agit de leur première tournée à passer par la France. Les deux frontmen semblent par ailleurs bien s’entendre, Adam Gonthier prend la peine de retracer brièvement l’historique du groupe « pour ceux qui ne seraient pas familiers avec Three Days Grace » (y en a-t-il beaucoup ce soir-là ?) et de clamer sa gratitude pour Walst qui a pris sa suite. « S’il ne l’avait pas fait, nous ne serions pas ici maintenant ». Ils sont d’ailleurs quasiment les deux seuls musiciens à vraiment interagir entre eux et se déplacer sur scène. Mais on peut imaginer aux blagues de Walst que l’ambiance est bonne dans le groupe : « Vous savez probablement qu’on vient du Canada. Quand on était jeunes, il n’y avait pas grand-chose à faire. On pouvait faire du sport, prendre des drogues ou jouer de la musique. La plupart d’entre nous se sont concentrés principalement sur la musique… »

La musique du groupe est indéniablement efficace et fonctionne bien en live, malgré un peu de facilité, et un poil de mièvrerie sur certaines ballades comme « Kill Me Fast » ou « Don’t Wanna Go Home Tonight », toutes deux issues du dernier album. Certains titres, apportent une lourdeur bienvenue au set, comme « Mayday », dès son intro massive. Certains riffs de guitare (Barry Stock) sont aussi assez entêtants. « Apologies » issue du dernier album a de son côté une vibe metalcore et electro sans vraiment en être, montrant que le groupe cherche, plutôt bien, à insuffler un son plus moderne à sa musique.

Mais pour beaucoup, le plaisir réside surtout dans l’écoute de titres qui ont marqué une période importante de leur vie. Les hurlements assourdissants des fans sur « Pain » ou « My So Called Life » montrent à quel point ces titres sont des classiques à leurs oreilles. Arrive « I Hate Everything about You », les gens hurlent encore plus forts et une armée de téléphones se dresse. Le public chante même seul le dernier refrain.

Moment suspendu pour un autre classique… carrément culte. Une reprise de « Creep » de Radiohead, d’abord seulement par Gonthier en guitare – voix. Les téléphones s’allument en masse, et même quelques briquets. C’est bien chanté (à peine peut-être un peu de fragilité dans la dernière montée dans les aigus) et le frontman semble assez habité. C’est évidemment un succès auprès de la foule, mais il semble que ce serait le cas quoi que fasse le combo.

La fin du concert approche, les derniers titres s’enchainent, Matt Walst échoue à allumer un briquet sur « Don’t Wanna Go Home Tonight », littéralement toute la fosse saute sur « The Good Life », un moshpit se forme et Walst demande à l’ouvrir en deux. Arrive la poignante « Never Too Late », qui parle de désespoir autant que d’espérance, et les vociférations se font incontrôlables. Mais c’est un titre un peu triste pour clore un set. « Vous en voulez plus ? C’est la dernière chanson que nous jouerons en 2025. Répétez après moi ‘Riot’ ». Et c’est donc sur un « Riot » bouillant que se termine cette prestation. Les Canadiens de Three Days Grace n’ont pas démérité durant une prestation très agréable, même si le plus impressionnant aura probablement été la ferveur incandescente de toutes les personnes présentes dans le public.

Photos : Emma Forni. Reproduction interdite sans autorisation de la photographe



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