Entretien avec Tarja Turunen

C'est au début du mois de juin et dans le cadre intimiste d'un hôtel parisien que la Grosse Radio a pu s'entretenir avec la célèbre chanteuse lyrique mais pas moins rock, Tarja Turunen. En plus de la promotion de son septième album solo, In the Raw, l'ancienne chanteuse de Nightwish en a profité pour parler avec passion et humour de sa vie d'artiste, de ses projets, ou encore d'autres anecdotes croustillantes au détour d'une tasse de thé. 

Bonjour Tarja et merci de nous accorder cette interview. Pourrais-tu pour commencer nous raconter ton histoire et nous expliquer comment une chanteuse lyrique peut-elle se retrouver à faire du rock et du heavy metal ?

Oui, c’est une très bonne question. Je ne me serais jamais imaginée devenir un jour une chanteuse heavy metal. J’ai appris à jouer de la musique classique très tôt. A l’âge de 6 ans j’ai commencé le piano, puis je suis allée au conservatoire et j’ai poursuivi mes études de musique classique à l’université. J’ai vraiment su que je voulais être chanteuse à l’âge de 15 ans en fait. Mais lorsque je me suis rendue compte que je n'arrivais pas à faire ce que je voulais avec ma voix, j'ai voulu prendre des cours. Malheureusement, le fait est que dans mon petit village en Finlande, il n'y avait qu'un seul professeur de chant, et ce dernier n'enseignait que le chant lyrique. C'est donc comme ça que tout a vraiment commencé.

Et puis lors de mes années à l’université j’ai eu l’opportunité de pouvoir chanter sur une démo qui n’avait rien à voir avec le metal, c’était un morceau acoustique avec du clavier. Et c’est là que le producteur qui avait un background plutôt metal a été super surpris d’entendre ma voix qui n’était pas la voix lyrique ou angélique à laquelle tu pourrais t’attendre. On peut dire que c'est comme ça que ce projet de devenir à la fois une chanteuse lyrique et une chanteuse rock metal a commencé.

Tu sais, on dit souvent que l’herbe est plus verte ailleurs. Oui peut être, mais le plus important c’est bien d’aller vérifier par toi même. La vie est faite de challenges et quoi de plus beau que de voir qu’elle nous mène vers des chemins qu’on n’aurait jamais pensé emprunter. Je pense vraiment qu’il faille rester ouvert et être prêt à saisir toutes les opportunités qui s’offrent à nous dans la vie.

As-tu du temps encore aujourd’hui d’écouter de la musique classique ?

Et bien je dirais que j’écoute plus de la musique de films que de la musique classique. J’écoute vraiment de la musique quand j’ai besoin de me détendre en avion ou dans une chambre d’hôtel. Pas quand je suis dans la voiture, sinon j’aurais un accident dans les minutes qui suivent ! (Rires) Mais aujourd’hui, j'irais jusqu'à dire que je n’ai même plus le temps d’écouter de la musique. Mon esprit et tellement imprégné de musique que ce soit avec mes propres productions ou mes concerts. Même à la maison, je travaille tout le temps. Être mère c’est aussi un grand travail. 

Peux-tu maintenant nous présenter ton album In the Raw et nous parler de son concept autour de l’or ?

Déjà la première idée de l’or c’est que c’est quelque chose qu’on associe avec le luxe, de rare, voire même inaccessible. Je n’ai vu ma mère en porter qu'à la fin de sa vie. Mais en fait dans son état naturel, l’or est un élément très brut et très pur. C’est au centre de la terre, les gens en veulent à tout prix. Dans mon album, j’ai vu l’or à travers un des morceaux, "Golden Chamber". Cela représente l’or au milieu de la terre et mon voyage dans les tréfonds de mon esprit, au fond de moi-même.

Et j’ai voulu montrer cela sur la pochette de l’album. Tu peux me voir porter de l’or dans cette cave majestueuse qui existe vraiment, à Gibraltar. Cette recherche d’or dans les profondeurs et les ténèbres, c’est en fait la métaphore de ma recherche spirituelle, le fait d'être dans mes pensées les plus profondes pour retourner à un état brut. J’ai vraiment voulu penser cet album comme une sorte de voyage, voir chaque chanson comme une étape. C’était même assez douloureux et très fatiguant de faire ce travail aussi personnel. J’ai travaillé cinq mois sur la production de cet album. D’une certaine manière je pense que pour faire un album, il faille toujours souffrir d’une certaine manière. Sinon la musique ne serait pas aussi profonde et complexe. C’était dur, mais maintenant c'est fini et je suis pressée de voir la réaction des gens. Wait and see !

Pourquoi donc avoir été aussi personnelle sur cet album ?

Tout simplement parce que j’en sentais le besoin. Cette fois, la musique est venue vraiment naturellement. Je me suis sentie libérée, je me suis affranchie des livres de musique classique. Et ça a rendu ma musique plus progressive. Je suis d’ailleurs toujours toujours très fan de rock progressif. Mais dans tous les cas, je ne pensais jamais atteindre ce degré d’intimité dans l’écriture de mes chansons. Et c’est ce processus d'écriture très personnel qui était pour moi le plus adapté. Tu sais, je suis dans l’industrie musicale depuis tant d’années. Tellement de personnes me suivent et me soutiennent. Mais j'ai toujours voulu me remettre en question et encore plus dans cet album. Je pensais que c’était la meilleure chose à faire.

Dans cet album, la présence du côté rock et du metal est peut être encore plus importante que dans tes précédents albums. Penses-tu que ces genres musicaux soient ceux qui permettent le plus aux artistes d’exprimer leurs pensées, de s’évader, d’être libre en quelque sorte ?

Oui tout à fait, je suis complètement d’accord. En fait c’est assez drôle que tu dises ça parce que c’est très similaire à ce que je dis quand je me décris en tant que chanteuse. Je compare ma musique avec deux mains. La première, la droite, c’est celle du travail et de la technique. Celle du chant lyrique. C’est ce que m’a apporté la musique classique, mon côté très perfectionniste à chercher dans les moindres détails. De l’autre côté, il y’a la gauche, celle du rock qui libère et qui me permet de m’amuser. C’est celle de la liberté d’expression. Et j’ai la chance d’avoir les deux. D’ailleurs je trouve que je manque un peu de main gauche. J’aimerais encore plus me libérer ! (Rires) Donc oui, c’est tout à fait ce que tu dis.

Tu as collaboré sur cet album avec trois chanteurs Björn Speed de Soilwork, Cristina Scabbia de Lacuna Coil et Tommy Karevik de Kamelot ? Comment cette collaboration s’est-elle faite ? As-tu choisi les morceaux pour eux ?

Ce sont tous d’excellents chanteurs. Je suis fan de leur carrière. Je suis donc très honorée qu’ils prennent le temps de faire partie de mon travail. J’aimerais d’ailleurs faire une mention spéciale pour Björn et Tommy. Ça n’a pas dû être facile de chanter sur des paroles écrites par une femme, et qui plus est, des paroles extrêmement personnelles. (Rires)

Ça n’a pas été de tout repos pour eux mais ils ont vraiment fait un super travail. Et le fait d’avoir Crisina Scabbia sur une de mes chansons, c’est génial. C’est comme avoir une amie à ses côtés et partager sa chanson avec elle. Mais encore une fois, je n’ai jamais pensé travailler avec eux avant d’avoir écrit les chansons. J’ai vraiment écrit les chansons pour moi. Et ce n’est qu’après que j’ai pensé qu’il serait intéressant de travailler avec ces trois artistes. Je leur ai donc proposé les chansons, puis j’ai attendu et croisé les doigts pour qu’ils acceptent. Et quand ça s’est fait, j’étais vraiment super contente, j’ai pleuré ! (Rires)

Une question à propos de ta voix, comment fais-tu pour l’entretenir ? Travailles-tu de manière particulière ?

Tu sais, c’est vraiment énormément de travail et d’entraînement. Mais surtout, je dirais que l’entraînement physique et sportif est tout aussi important que les exercices de chant. J’essaie de rester en forme et en bonne santé en allant courir jusqu’à cinq fois par semaine et je fais de la musculation trois fois par semaine. Je veux vraiment être en bonne santé puisque mon corps est mon instrument tout compte fait. D’autant plus que les tournées et tout ce qui tourne autour sont des choses vraiment fatigantes. J’en ai vraiment besoin.

Concernant le chant, j’ai vraiment vu les progrès lorsque j’ai concentré mes efforts sur le chant lyrique. Cela m’a vraiment permis de me libérer et cela, depuis quelques années. J’ai pu ainsi me concentrer davantage sur le chant rock. Bien sûr on ne m’entend pas chanter de manière lyrique tout le temps sur mon album. On me reconnaît bien sûr, mais je n’attrape des notes très hautes que quand j’en ressens le besoin. C’est véritablement libérateur dans le sens qu'on a la capacité de pouvoir monter haut sans faire d'effort. J’ai beaucoup progressé dans le chant des notes de milieu de gamme et même si tu ne l’entends pas forcément sur mes chansons, je suis également devenu un bien meilleur soprano. Je trouve cela  très amusant de pouvoir atteindre des notes toujours plus hautes (rires) !

Il y’a toujours une zone d’amélioration dans ma voix et c’est pour ça que je suis toujours chanteuse finalement.

Tu as véritablement l’air d’opposer chant lyrique et chant rock. Verrais-tu des similitudes entre ces deux types de chant ?

Non, je pense que les deux sont vraiment différents. Comme je l’ai dit, le classique, c’est vraiment de la technique, alors que le rock, pour moi, c’est quelque chose qui m’est venu vraiment naturellement. Je n’ai jamais eu de références musicales ou d’artistes rock auxquels je pouvais m’identifier. Quand j’ai commencé à chanter du rock, c’était vraiment pour faire quelque chose de différent, pour me libérer. Mais cela m’a pris des années pour être à l’aise avec ce type de chant. Je devais trouver la bonne manière de chanter, faire les choses à ma façon. Par exemple au début de Nightwish, j’étais effrayée à l’idée de devoir chanter les parties rock. Il n’y a que sur le dernier album que j’ai fait avec eux, Once, que je me suis vraiment sentie à l’aise. C’était vraiment un travail de longue haleine ! Et même encore aujourd’hui, c’est difficile car il faut pouvoir chanter en toute circonstance malgré la fatigue…

Parlons maintenant de la composition de cet album. Combien de temps cela a-t-il duré ? Et as-tu eu des inspirations particulières pour l’occasion ?

J’ai écrit les chansons et la musique sur une durée de deux ans. J’avais même commencé à composer pendant que j’étais en tournée pour l’album précédent. Je n’ai pas tout écrit pendant une période très courte comme une ou deux semaines. Parfois la musique m’est venue instantanément et cela a été très rapide de composer. Dans d’autres cas j’ai préféré revenir sur ce que j’avais fait pour retravailler mes compositions déjà entamée des semaines auparavant…Cela dépendait vraiment, mais je dirais que tout le processus a été très progressif.

Pour ce qui est des paroles, cela a été beaucoup plus rapide par contre. Tout en un mois et demi ! Et comme je le disais, cela a été très intense et douloureux. Selon moi, la musique est vraiment l’élément fondateur dans une chanson. Je ne me vois pas écrire des paroles et composer la musique après. Je trouverais ça bizarre, mais d’un autre côté ça serait sûrement très intéressant de le faire juste pour voir le résultat. 

Tu as beaucoup parlé de ta musique en termes de composition. Mais que représente la scène pour toi et comment te sens-tu lorsque tu joues en concert ?

Je me considère vraiment comme une artiste de scène. Pour moi, la scène c’est un peu comme ma deuxième maison, c’est ce moment de transe où on se sent intouchable comme une « power woman ». C’est vraiment magnifique, même si c’est dur.

En tant qu’artiste, je veux que les gens qui viennent à mes concerts repartent heureux et leur faire vivre une vraie expérience, ainsi que leur faire sentir ce qu’est la musique pour moi : un partage d’émotions. C’est pour ça qu’une fois sur scène, je ne pense qu’à la musique, je n’ai pas envie de me perdre dans les détails, à regarder le public ou d’autres détails qui pourraient me distraire. Et ça m’est déjà arrivé d’oublier des paroles, ou de faire tomber le micro (rires). Mais en tout cas, la scène a ce quelque chose d’orgasmique. Il y a une sensation indescriptible de ressentir la musique, de voir les gens nous applaudir. Ressentir l’énergie de la scène, c’est incroyable.

A-t-on des chances de te voir tourner en Europe, et plus particulièrement en France dans les prochains mois ?

Oui bien sûr, la sortie de l'album étant le 30 août, je pars en tournée en Russie en septembre, puis en Amérique du Sud en octobre. Ensuite, en novembre et décembre, je donne une série de concerts en Finlande et en Europe centrale. C’est devenu d'ailleurs un peu une tradition chaque année, ces tournées de Noël. On reprendra les tournées en début d’année prochaine au mois de février, avec l’Europe de l’Ouest. Ce qui veut dire que la France est sûrement concernée ! J’espère revenir très vite en tout cas !

Pour finir, pourrais-tu nous raconter un de tes souvenirs les plus marquants en France ?

J’ai vraiment beaucoup de très bons souvenirs ici en France. Des fans fous et passionnés. Mais s’il fallait garder une anecdote, ça serait celle de mon dernier concert en France au Casino de Paris. Je me souviens très bien de mon bassiste, Kevin (rires) ! Il s’avère que ce jour-là, Trump venait d’être élu aux États-Unis. Je crois qu’il n’avait jamais été aussi déprimé de toute sa vie (rires). On venait de se réveiller en plein cœur de cette magnifique ville de Paris, et Trump est élu. Kevin s’est excusé d’être américain pendant toute la journée, vraiment ! En plus c’est drôle cette histoire car Trump est venu hier en France, donc je ne sais pas s’il me suit ou si c’est moi qui le suis, mais il doit y avoir un signe !

Interview réalisé le 7 juin 2019. 
In The Raw, déjà disponible chez Ear Music. 

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