Bernard Lavilliers

« Je voulais un album qui ait du souffle », dit Bernard Lavilliers. Le vingtième album de sa carrière a mieux que du souffle : une ampleur, une vision, une densité singulière. Après le tumulte et les plaisirs de Carnet de bord, de Samedi soir à Beyrouth puis de Causes perdues et musiques tropicales, Lavilliers explore des sentiments, des réalités, des souvenirs qui exigent autant de douceur que d’audace, autant de liberté que d’enracinement.
Jamais on ne l’avait entendu concilier ainsi l’urgence des mots et la clarté de la musique, le vacarme de l’humain et la sûreté d’arrangements aussi vastes. Il a voulu que cet album ait des couleurs de musique de film, de chanson française classique, de pop à grand orchestre. Il fallait ces larges vaisseaux de cordes et ces nobles mouvements des mélodies pour embrasser toute l’humaine condition et toute la force de la vie. Car Baron Samedi est un vingtième album qui explore le monde d’aujourd’hui et sa mémoire, les grands mythes et le cœur de chaque homme.
L’album s’ouvre par Scorpion, adaptation d’un poème de Nazim Hikmet, le plus grand poète de langue turque au XXe siècle, mort en 1963 à Moscou, rejeté par son pays et exilé dans la nationalité polonaise. Et l’album s’achève avec Villa Noailles, évocation d’un lieu mythologique où se sont croisées toutes les avant-gardes – « Il n’y a pas plus moderne », note Lavilliers en se souvenant des artistes qui se sont retrouvés là, de Cocteau à Buñuel, de Chagall à Delaunay…
Scorpion est un travelling à la fois noir et plein d’espoir, cruel et généreux, avec un tempo irrésistible de marche en avant, mais aussi un ciel de violons dans lequel le soleil perce de lourds nuages noirs. Et, immédiatement après, Vivre encore rappelle que les hommes savent surmonter l’Enfer. Cette chanson d’espoir et de souffrance a été écrite au retour d’Haïti, le lieu d’où est né cet album.
Au commencement, Bernard Lavilliers est parti à Port-au-Prince quelques temps après que la ville a été ravagée par le tremblement de terre de janvier 2010, pour rendre visite à ses amis artistes. Installé chez le peintre et musicien Grégory Vorbe, il voit sur le mur d’un cimetière la figure du Baron Samedi, personnage important du panthéon vaudou haïtien, avec son haut-de-forme blanc et ses lunettes de soleil dont un verre est cassé. « Quand je suis arrivé, le Baron Samedi régnait sur la ville. Comme un grand silence... »
De ce voyage résultent plusieurs chansons comme Tête chargée, qui demande tout droit : « Que peut l’art contre la misère noire ? / La musique contre la solitude ? / Les artistes contre les habitudes ? » Lavilliers avoue volontiers que « ces questions se posent vraiment là-bas, mais moins ici, en Europe. » Avec son tempo rock steady, c’est d’ailleurs la chanson la plus urbaine de l’album.
Mais les couleurs musicales qui courent tout au long de Baron Samedi sont – une fois n’est pas coutume – peu nourries par les voyages du chanteur. Il y a souvent des pastels, des aurores limpides, de lents crépuscules méditatifs. La production de Romain Humeau (le frontman du groupe Eiffel), sur la plupart des titres, rassemble d’un vaste geste la puissance du rock, les larges ailes de Léo Ferré, la finesse de la pop actuelle, le sens du panoramique de la grande musique de film.
Même quand il retourne vers le funk de la fin des années 70 sur une musique de Teofilo Chantre et Fred Pallem dans Y a pas qu’à New York, il ne joue pas le premier degré musclé. Car partout, la voix de Bernard Lavilliers fait sonner les chansons comme des confidences, des confessions, des aveux – « un tournant dans le son », dit-il.
On rêve avec lui à un retour de l’Éventreur dans Jack (« une goualante des années 30 chantée par un aveugle au coin de la rue de Lappe, sur un type baisé par la Bourse qui liquide les brokers pour se venger »), on s’envole vers la Réunion de l’ange foudroyé Alain Peters dont il adapte le génial Rest’là Maloya avec des amis capverdiens et antillais et son complice de toujours, Georges Baux, on redécouvre les sortilèges des révolutions artistiques d’avant-guerre avec le quatuor Ébène dans Villa Noailles, on décolle dans une pop intime avec Vague à l’âme… Et Bernard Lavilliers se livre avec une infinie pudeur dans une chanson pour sa mère défunte, Sans fleurs ni couronnes – « une petite berceuse que mon père m’a dit de mettre sur l’album quand je la lui ai faite écouter ».
Mais ce vingtième album est un double album : dix chansons sur une galette et, sur l’autre, un monument : l’adaptation de Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Blaise Cendrars – « depuis le temps que j’en parle », sourit Bernard Lavilliers.
Un siècle exactement après sa publication, il met en scène le long poème évoquant la course folle du train à travers les convulsions de l’Asie centrale. Bernard Lavilliers a pris à bras le corps cette œuvre légendaire, qui symbolise à la fois l’aventure, le dépaysement et la modernité. Pendant un an, il a mené de front la Prose et ses chansons d’album. Et tout s’est interpénétré, les références et les allusions se croisant d’un chantier à l’autre.
Quelle musique pour le chef d’œuvre de Cendrars ? « Comme une bande originale de film, avec trois thèmes successifs. Et tous les musiciens sont montés dans le train » : la contrebasse de Renaud Garcia-Fons, les cordes audacieuses du Quatuor Ébène, les multiples instruments de Xavier Tribolet et Olivier Bodson – qui joue du bugle si troublant au début de l’immense voyage de vingt-sept minutes. Et des images sonores subliminales, comme du riz frotté sur un tom basse…
Ce texte fondateur pour Bernard Lavilliers, écrit par Cendrars à vingt-six ans, est « dédié aux musiciens » – une annonce de music-hall écrite dans le texte original. Les interprètes avaient le livre sous les yeux comme une partition. On y entend à la fois jazz, musique classique, musique contemporaine et électronique… « Un son d’électricité ou de vent, un bruit qui se déplace », résume Lavilliers. Peut-être le plus prodigieux de ses voyages…

chanson rock
Label : Barclay

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