Listening Session : Ihsahn – Arktis

" Il n’y a pas une note de guitare basse sur cet album ! "


Ihsahn. La simple évocation de ce nom est sans doute l’une des plus fertiles de l’inconscient collectif metal. D’un côté, il y a son passé, forgé dans les ténèbres de la région de Telemark en Norvège : Emperor, devenant l’un des groupes les plus respectés de l’histoire du black metal, et, presque paradoxalement, aussi un des plus vendeurs du genre. Mais l’empereur n'est plus, et cela fait bien longtemps qu’Ihsahn regarde ailleurs artistiquement, comme le montre sa discographie solo, aussi fertile qu’intentive. Et c’est pour écouter en avant-première son sixième effort, Arktis, que nous nous sommes rendus aux Studios Angel (NDLR : un hommage à angL ?) à Londres.

 

Ihsahn, Arktis, 2016, Candlelight records, Emperor, Einar Solberg, Matt Heafy, Jorgen Munkeby,


Entrés dans le studio, nous tombons face à un Ihsahn un peu timide, avec une apparence qui se rapproche presque du stéréotype du nerd : caché derrière ses lunettes et sa barbe imposante, portant un t-shirt Star Wars. Une Corona à la main, il nous présente brièvement son nouvel album :


« Alors que Das Seelenbrenchen avait un flux globalement abstrait, Arktis pourrait être considéré comme son opposé rythmique. Mon objectif pour cet album était d’écrire dans un cadre plus traditionnel de structure de chanson, tout en donnant à chaque titre une forte identité individuelle, que ce soit par une mélodie récurrente, un refrain, une conception sonore particulière, ou un bon vieux riff. Direct et immédiat. Je voulais aussi explorer ceci du côté de la production, en mélangeant des sons rock organiques avec des outils plus modernes.

Thématiquement, l’album est placé dans le Grand Nord avec un environnement plutôt sombre, et ceci se reflète également sur la pochette de l’album.

Avec les contributions de plusieurs de mes talentueux amis, et les incroyables compétences de mixage de Jens Bogren, je sens que le résultat final est exactement aussi varié, mais cohérent, que je l’espérais. De fait, je n’ai pas le souvenir d’avoir eu autant de plaisir à faire un album auparavant, et peut-être que cela aussi se ressentira. »

Après cela, Ihsahn lance l’écoute et part se cacher derrière la dizaine d’amis, fans et journalistes présents, avec son manager et l’attaché de presse de Candlelight records.
 


1) Disassembled (avec Einar Solberg de Leprous, chant)

Boum, l’album commence avec un gros riff qui tache. Ihsahn n’a pas menti, ça envoie ! Comme d’habitude, il y a quelques virages surprenants, ici, vers un riff plus torturé. Le refrain est très mélodique, comme on peut l’entendre dans les compositions d’Ihsahn depuis… In The Nightside Eclipse. A la batterie, Tobias Ornes Andersen (S  hining  ) fait un travail impeccable, et ce n’est encore une fois, pas une surprise. Il est rejoint sur le pont du morceau par son ancien chanteur dans Leprous, Einar Solberg. Sa contribution est plutôt mélancolique, en bon lien avec l’instrumentation délicate du passage.

2) Mass Darkness (avec Matt Heafy de Trivium, choeurs)

Le climat de cette chanson est plutôt bien décrit par son titre : lourd et sombre. Certains pourraient être surpris d’y entendre Matt Heafy de Trivium aux chœurs, mais cela serait ignorer que lui et Ihsahn sont de très bons amis depuis un bon moment. Ihsahn a d’ailleurs composé l’introduction du dernier Trivium, Silence in The Snow.
 

3) My Heart is of The North

Ce titre est déjà connu, car joué pendant la tournée des festivals d’Ihsahn cet été. Il donne un bon aperçu global l’orientation musicale d’Arktis, en plus d’illustrer une fois de plus l’intéressante dualité entre agressivité et mélodie dans la musique d’Ihsahn.

4) South Winds

A l’écoute de l’introduction de cette chanson,  l’audience éclate de rire. Car c’est sur un beat entre electro house et musique industrielle à la Laibach que commence « South Winds ». Voilà donc les « outils modernes » dont il nous parlait. La surprise passée, force est de constater que la composition est excellente, servie par une production soignée. Ihsahn est comme le bon vin, il se bonifie et s’étoffe avec le temps. Tobias se fait remarquer avec un jeu à la fois technique et bourré de finesse.

5) In The Vaults

Cette fois, Ihsahn va flirter du côté de Porcupine Tree, dans un registre qu’on pourrait qualifier de « poprog ». L’accent est toujours mis sur la mélodie, avec l’utilisation de synthétiseurs vintage. Un morceau très accrocheur.

6) Until I Dissolve

Sur celui-ci, les racines musicales de Vegard Tveitan ressortent. Eh oui, le bougre a grandi dans les années 80, âge d’or du hard rock sirupeux et de la NWOBHM. Vous ne serez donc qu’à moitié surpris d’entendre le riff très Van Halen sur lequel est basé cette chanson, avec toujours son lot de sons de claviers étonnants.

7) Pressure

Celle-ci fera plaisir aux fans d’Emperor, avec un riff qui rappelle une époque révolue sur le break. Pour le reste, on peut entendre qu’effectivement, chaque chanson de ce nouveau manifeste a son identité propre et une direction précise. Un morceau très accrocheur, encore une fois.

8) Frail

« Frail » démarre sur une partie de guitare acoustique plutôt délicate, avant de partir d’un coup dans du metal progressif du meilleur aloi, où on reconnaît encore la patte d’Ihsahn qui s'est particulièrement développée dans ses albums depuis angL.

9) Crooked Red Line (avec Jorgen Munkeby de Shining, saxophone)

C’est le saxophone de Jorgen Munkeby qui nous sert l’introduction de ce morceau. Ceci dit, on a du mal à le reconnaître, car il joue dans un style très éloigné de celui qu’il déploie avec Shining depuis des années. Cette chanson révèle la nouvelle mue musicale d’Ihsahn. Quoiqu’on reconnaît encore sa signature, et elle est plus que convaincante.

10) Celestial Violence (avec Einar Solberg de Leprous, chant)

Conclusion de l’album, Ihsahn y fait encore une fois appel à un invité. Et le chant d’Einar Solberg est ici méconnaissable, bien loin de ses contributions dans Leprous. Comme si les compositions d’Ihsahn appelaient d’elles-mêmes les artistes à explorer de nouveaux territoires.

NDLR : Nous n'avons pas écouté la chanson bonus "Til Tor Ulven (Soppelsolen".
 

Ihsahn, 2016, Arktis, Candleligt records, progressive metal, Einar Solberg, Jorgen Munkeby, Matt Heafy,


Voilà ce qui pouvait être dit sur ce sixième album d’Ihsahn après une écoute. Après celle-ci, il a laissé quelques minutes à l’assemblée pour une séance de questions/réponses :

Peux-tu nous parler de la pochette de l’album, qui est une fois de plus assez surprenante ?

Ihsahn : C’est une très vieille photographie de Fridtjof Nansen, un explorateur norvégien qui a été le premier à faire une traversée du Groenland à ski avec une équipe, et a fait une tentative ratée de rejoindre le pôle Nord avec un équipier. L’histoire et le courage de cet homme m’ont beaucoup inspiré, et cette pochette est un moyen de lui rendre hommage.

Est-ce qu’il y a des chansons sur cet album dont tu es particulièrement fier ?

Eh bien, j’ai fait de mon mieux pour que chaque chanson ait sa propre individualité, avec sa petite touche personnelle et brutale pour se démarquer des autres. A ce stade du processus, c’est très difficile à dire, car je suis très subjectif.  Mais nous avons choisi « Mass Darkness » comme single, car elle illustre bien ce que représente l’album.

Sur cet album, tu dis être retourné vers de un style de composition plus traditionnel. Est-il plus difficile pour toi d’écrire de cette manière ou bien écrire avec une ouverture plus extensive et expérimentale, comme sur Das Seelenbrechen ?

Je pense que c’était plus facile cette fois. [sourire] Das Seelenbrechen a été difficile pour moi parce que je suis un monstre de contrôle, et c’est aggravé par le fait que de nos jours, tout est séquencé, édité en studio, tu peux tout façonner comme tu l’entends. C’était de la composition improvisée, et je n’avais aucune expérience là-dedans, exactement comme quand nous avions fait le premier Emperor : tu enroulais tes bandes et faisait de ton mieux pour l’enregistrement. Pour Arktis, ça a évidemment été un défi se caler sur une structure de chanson standard, trouver un bon refrain… C’est une forme d’artisanat, et ça demande du travail.

Qu’on le veuille ou non, tu es une incône du metal aujourd’hui. Est-ce que de ce fait, tu ressens de la pression extérieure à faire du metal/rock, alors que tu pourrais avoir envie de faire autre chose ?

C’est vrai que cette pression existe, mais j’essaye de ne jamais considérer ce que les gens attendent de moi. Je viens du black metal, et ce genre n’a jamais été pensé pour plaire à quiconque. C’était même tout le contraire, nous faisions tout notre possible pour déplaire au plus grand nombre. [rires] Je fais ça depuis vingt ans, et j’ai la chance d’avoir toujours des gens aujourd’hui qui prennent du temps pour écouter ma musique, aller à mes concerts, et je crois que mon rôle est juste de donner le meilleur de moi-même à chaque fois. Si je commençais à me poser des questions sur les réactions du public, ça détruirait tout l’intérêt de ce privilège que j’ai l’honneur d’avoir. Ce serait me trahir, et trahir les gens qui continuent de me suivre. J’espère avoir construit une forme confiance avec ceux qui m’écoutent. Peut être que cet album ne sera pas ce que tu préfères en musique, mais tu sais que ça a été fait avec honnêteté. Je n’essaye pas de vous tromper. En ce qui concerne le fait de faire du metal ou non, il se trouve que mon état d’esprit est radicalement différent à chaque fois que je commence à écrire un nouvel album. Je veux avant tout garder cela intéressant à faire pour moi. J’ai grandi dans les années 80, et je crois d’ailleurs que ça s’entend sur certaines chansons ! [rires] La guitare électrique compte énormément dans mon expression musicale. Tout comme le chant, je ne peux pas y échapper à ces hurlements rauques. Pour garder le tout authentique, je dois utiliser les outils avec lesquels je suis le plus à l’aise.
 


On a l’impression d’entendre toujours plus de sons électroniques dans ta musique. Est-ce que c’est quelque chose que tu souhaites incorporer encore plus dans ce que tu fais aujourd’hui ?

C’est plus une coïncidence en fait. Il se trouve que je suis devenu de plus en plus accro au matos ces dernières années. J’ai un Moog chez moi, et j’ai récemment acheté un vieux synthé analogique. Ma femme en possède deux autres que j’ai utilisé sur l’album. Je me suis vraiment bien amusé à triturer des filtres, des oscillateurs, etc… Et c’est pour ça qu’il y en a beaucoup sur l’album. Je fais ça depuis un moment maintenant, et j’écoute beaucoup de musique avec de vieux synthés chez moi. J’adore la profondeur et la chaleur du son de ces instruments. Pour Das Seelenbrechen, la moitié des parties de basse étaient faites à base de Moog. Mais cette fois, j’ai décidé de n’utiliser que ça ! Il n’y a pas une note de guitare basse sur cet album ! C’est aussi probablement du au fait que j’écoute pas mal de pop music. Ces gens là font aussi des albums, et chaque chanson a souvent un arrangement très spécifique. Je trouve que c’est plus intéressant de procéder ainsi.

Es-tu un tyran de studio ?

Oui, totalement ! [rires] C’est malheureux. A l’époque, j’accusais les autres membres des groupes dans lesquels je jouais, mais j’ai réalisé que c’était difficile de travailler avec moi en studio. Ce n’est pas quelque chose de volontaire, c’est juste que j’ai besoin de mettre en oeuvre mes idées, faisant qu’il arrive que je n’écoute pas ce que les autres veulent. Ce n’est pas très positif. Mais j’en ai tiré les conséquences en débutant une carrière solo ! [rires]

Peux-tu nous parler du concept d’isolation arctique qui a l’air d’être le thème central de l’album ?

Je suppose que ça vient de l’âge. [rires] Je viens d’avoir quarante ans, et je n’ai pas arrêté de regarder vers l’extérieur. J'ai eu la chance de voyager autour de monde, de rencontrer plein de personnes de culture différente. Tout cela contribue aussi à te renvoyer à ta propre identité, d’où tu viens. Par exemple, je suis allé jouer en France récemment, et c’est là je me rends compte que je suis très norvégien dans mes manières. Faire la bise, s’empoigner, etc… C’est un exemple idiot, mais ça montre bien qu’il y a des différences culturelles. Le concept d’Arktis n’a rien à voir avec du nationalisme ou ce genre de chose, c’est juste que j’aime l’hiver, et tout ce que cela implique. Et symboliquement, le black metal a toujours été proche de cela. Le fait d’avancer seul, avec un univers hostile autour de toi. C’est le lien avec l’aventure de Fridtjof Nansen. Il a laissé son bateau se faire prendre par la glace dans la mer au dessus de la Russie, parce que selon sa théorie, il flotterait avec la glace qui l’amènerait plus près du pôle Nord, lui permettant de l’atteindre. C’était très courageux et dangereux à la fois. C’est une célébration du fait de saisir ta chance d’aller là où aucun homme n’est allé, un peu comme dans Star Trek. Je trouve que cette attitude se rapproche de l’attitude black metal : laisser la conformité derrière soi et explorer quelque chose de nouveau, le fait de tracer ta propre voie. J’ai donc été très inspiré par ces idées, particulièrement au niveau des paroles.

Voilà ce qu'Ihsahn avait à nous dire sur Arktis. La suite au prochain épisode pour la chronique de l'album, qui sortira le 4 mars 2016.

Chronique par Tfaaon (Facebook)

Remerciements : Håkon Grav et Darren Toms de Candelight Records
 

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