Scardust – Strangers


Ceux qui pensent que prog et symphonique sont deux genres très différents voire incompatibles n'ont qu'à bien se tenir : Scardust, quintette mené par la vocaliste Noa Gruman, fait voler en éclat ces barrières et démontre aujourd'hui que complexité des structures et envolées mélodiques peuvent s'unir pour le meilleur effet. Strangers, second opus de la formation israélienne, met la barre très, très haut, en proposant à l'auditeur onze morceaux riches et impressionnants techniquement, percutants et mélodiques. 


 
La découverte de ce qui fait l'identité et la particularité de Scardust peut passer par une métaphore, celle d'un orchestre symphonique. En effet, il est difficile de réduire la formation originaire de Tel-Aviv au simple dénominatif de "groupe" tellement les voix, sons et ochestrations sont multiples. Procédons donc par pupitre pour faire ressortir les innombrables atouts de ce deuxième album, Strangers, qui succède à Sands of Time (2017). 

Scardust, Strangers, metal progressif, symphonique, opéra, prog, heavy, 2020

Première étape par les cordes complétées par les claviers, et arrêtons-nous sur la virtuosité et la technicité époustouflantes des musiciens. Chaque morceau est agrémenté d'une solide dose de soli fous, d'arpèges complexes, de syncopes et autres ruptures de rythme. Indissociable de la section rythmique, la guitare et la batterie s'envolent de concert, laissant à la basse de Yanai Avnet l'ampleur de s'adonner ça et là à un solo, du slapping ou une ligne mélodique, loin des sentiers battus.

C'est du prog d'école avec un franc côté Dream Theater, mais en même temps, les morceaux ne sont pas à rallonge, et il y a de l'efficacité dans les mélodies et les refrains que l'on ne peut que retenir. En navigant entre heavy, symphonique et prog, Scardust trouve sa formule magique et réconcilie technicité et efficacité, décrochages et mélodies. Complexe et bien construit, redoutable et rythmé, "Tantibus II" donne à voir la virtuosité du guitariste Yadin Moyal et d' Itai Portugali aux claviers, ainsi que la superbe performance vocale de Noa Gruman, du clean au guttural. 

Côté chant, il faut évidemment saluer l'interprétation exceptionnelle de la talentueuse Noa Gruman, dotée d'un timbre unique, capable de transmettre beaucoup d'émotions et à l'aise dans tous les registres. Les morceaux aux univers et tonalités variées dans l'album font vibrer sa performance inspirée, du chant clair au growl somptueux et puissant (sur le très lourd "Over" qui fait irrésistiblement secouer les têtes), de l'opéra au swing-jazz intimiste (dans "Under" où elle passe du piano bar au rap growlé sans sourciller) ou encore sur des lignes très propres rappelant les comédies musicales ("Break the Ice"). Dans Strangers, la voix de Noa est un instrument comme les autres, se mêlant même à la guitare de Yadin, sur certains morceaux où les envolées lyriques et lamentations de guitares ne font qu'un ("Concrete Cages").

On aurait tort d'oublier le dernier membre du groupe, à savoir le chœur, omniprésent dans l'album. La chorale Hellscore, fondée par Noa et officiant déjà sur le précédent album (on a pu également l'entendre sur les albums d'Amorphis ou Orphaned Land), livre une prestation variée, prenant le lead dans certains refrains, en association avec des passages techniques (comme pour adoucir et réchauffer ces prouesses instrumentales), pour répondre aux growls de Noa sur l'inquiétant "Over", ou encore en équilibre avec le solo de guitare et les lignes de clavier baroque dans l'opératique "Break the Ice". Sur le morceau lourd et rythmé "Huts", le contraste avec la prestation vocale hallucinante de Noa est encore plus saisissant (et magique), puisque cette fois-ci il s'agit d'un chœur d'enfants, le Westbrook Hay Prep School Chamber Choir enregistré au Royal Albert Hall à Londres. 

Scardust, Strangers, metal progresssif, prog, 2020, symphonique, heavy

L'estrade du chef d'orchestre, enfin, est doublement occupée par Noa Gruman et le cofondateur du groupe, Orr Didi, qui ont composé et arrangé Strangers. Ce concept-album est doté d'une construction symétrique avec les morceaux qui vont par deux, chaque diptyque présentant des perspectives (et orchestrations) différentes mais complémentaires sur le thème de la séparation, de l'éloignement, affectif ou plus intérieur. Il y a beaucoup d'ingéniosité et d'échos entre les titres : ainsi, le refrain de "Stranger" se retrouve dans l'intro au synthé de "Gone", qui lui est associé. De même, l'album s'ouvre sur "Overture for the Estranged" qui introduit tous les thèmes musicaux présents dans les dix morceaux suivants, et s'apprécie donc encore davantage après plusieurs écoutes. 

Le collectif est impressionnant d'harmonie et d'équilibre, et la virtuosité de chaque musicien est mise en valeur sans que jamais les autres ne soient oubliés, notamment grâce à l'excellente production de Yonatan Kossov (Orphaned Land, Amorphis) et Jens Bogren (Opeth, Devin Townsend). Le début épique où mélodie, chant et choeurs ont la part belle, mène à des passages instrumentaux groovy et bondissants dans "Addicted", avant un final à la basse qui laisse sans voix.

Le morceau le plus long et prog est d'ailleurs une nouvelle surprise du point de vue des arrangements et de la mise en avant des artistes : sur "Concrete Cage", Scardust a invité l'artiste folk Patty Gurdy au chant et surtout avec son instrument de prédilection, la vielle à roue (hurdy-gurdy en anglais). Les deux voix féminines s'entremêlent, les riffs entêtants et les lignes denses de claviers font un écrin idéal pour mettre en valeur l'instrument traditionnel qui s'exprime sur le lead au même titre que le chant, s'adonnant même à un solo ! Les vocalises magistrales de Noa, à la Freddie Mercury,se posent comme ultime solo osé de ce morceau fou, entre moderne et folk, œuvre collective magistralement arrangée.

Strangers présente un groove, une énergie de chaque instant, qui met en avant les mélodies accrocheuses et les refrains qui entrent dans la tête pour ne plus en ressortir. La solide prestation de Yoav Weinberg derrière les fûts permet à l'ensemble de trouver une cohérence, entre décrochages fous et jazzy, rythme effrené, passages subtils ou très lourds. Le single "Gone", tout en puissance, s'appuie sur la palette vocale hallucinante de la vocaliste qui jongle aisément entre chant clair et guttural. Très subtil dans les rythmiques, avec des lignes de guitares retro-eighties, ce morceau ne fait pas que mettre la meneuse en avant, bien au contraire il fait rayonner la force du collectif avec l'enchaînment de soli successifs, superbe démonstration de la virtuosité de chaque musicien, sans exception.

La troupe parvient à rendre accessibles des compositions très complexes, à malaxer prog, heavy et symphonique avec éclat, dans un dosage toujours juste. Avec ce pouvoir de séduire autant les metalleux curieux que les amateurs de styles très variés, d'Epica à Dream Theater en passant par Arch Enemy ou Orphaned Land, Scardust maîtrise la formule qui n'est jamais purement démonstrative, ni dans l'excès d'émotion ou de théâtralité. Tout fonctionne dans Strangers, qui ne ressemble à rien mais se révèle accrocheur, foisonnant et admirable techniquement. Scardust signe ici de superbes compositions, et réussit la prouesse de se hisser vers les plus hautes sphères, et ce dès son second opus ... magistral !
 

Strangers - Liste des titres

1. Overture for the Estranged
2. Break The Ice
3. Tantibus II
4. Stranger
5. Concrete Cages (feat. Patty Gurdy)
6. Over
7. Under
8. Huts
9. Gone
10. Addicted
11. Mist

Scardust - Line-up

Noa Gruman : chant
Yanai Avnet : basse 
Yadin Moyal : guitare
Itai Portugali : claviers
Yoav Weinberg : batterie 

Strangers, second album de Scardust, sort le 30 octobre 2020 via M-Theory Audio.  

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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