El Cuervo de Poe – Ex-Libris

Un jour, votre mamie, désireuse de vous faire plaisir, vous offre le plus beau cadeau du monde : le dernier opus des néerlandais d'Epica ! Que, bien sûr, vous vous empresserez de ranger dans la poubelle des incommensurables disques nauséabonds de l'année 2012 (on dit qu'un certain Manowar régnerait d'ailleurs en maître sur ces terres hostiles). Après tout, comment lui en vouloir, après que, devant elle, lors d'un repas de famille, vous déclariez votre flamme au genre metal symphonique / gothique à chanteuse ? Non, le bon metal de ces styles investis par moult demoiselles ne se trouve aujourd'hui pas ici, ni même aux Pays-Bas. Et puis, mamie elle n'y connaît pas grand chose, après tout, elle n'est donc nullement fautive. Elle ne savait pas qu'aujourd'hui, c'est hors de l'Europe que nous trouverons la formation qui nous intéresse. Aux États-Unis, au Japon, en Australie ? Encore raté. Ce sera le Mexique, cette fois-ci, pour y découvrir El Cuervo de Poe.

Si l'on regarde de plus près l'historique de cette jeune formation d'outre-Atlantique, que peut-on apprendre ? Qu'ils ont été témoins de moult changements de line-up, notamment le départ de leur ancienne chanteuse, que l'on peut entendre sur leur premier brûlot, dénommé Vox Corvus La Voz del Cuervo. Oh, et, bien sûr, est-il nécessaire, important de préciser que le nom de la formation nous vient d'un célèbre poème d'Edgar Allan Poe, le corbeau ? Car oui, comme la formation souhaite garder une certaine fidélité à ses racines latines, le nom en langue espagnole est de circonstance, ce qui ajoute un certain charme à tout cela. Ainsi, 4 ans après l'opus précédent, et l'arrivée de Brenda en tant que frontwoman, peut-on espérer d'Ex-Libris un disque de qualité ? C'est tout le défi que va devoir relever cette jeune formation, si elle souhaite rivaliser avec les ténors européens.

Alors que, précédemment, le groupe accusait encore quelques revers d'influences un peu trop présentes dans leur musique, force est de constater qu'ici, même si la partition n'est pas spécialement originale et ne renouvelle pas le style, ce défaut est aux abonnés absents. Manque de renouvellement du genre ? Là, ce n'est pas si sûr … Car El Cuervo de Poe a su opérer un grand changement, en incluant notamment des rythmiques plus incisives, et, s'ils œuvrent toujours dans un metal gothique plutôt traditionnel, la formation mexicaine parvient à tirer son épingle du jeu grâce à son jeu surprenant consistant à mélanger à la fois une touche nostalgique fort intéressante, et une réelle énergie, parfois même un aspect beaucoup plus positif, apporté notamment par des guitares qui savent mener leur barque, ou un chant qui, lui, peut faire gagner en intensité à la musique si besoin est. A ces éléments du metal gothique, on retrouve quelques riffs nous faisant penser à des styles plus rock, une lourdeur que ne renieraient pas moult grands noms, et l'introduction d'une identité hispanique, latine très bien construite, et donnant réellement ce petit quelque chose qui fait toute la différence. En utilisant une recette maintes fois vue et revue, la formation incorpore sa propre touche, son épice à elle, cet élément tout sauf perturbateur, secret détenu jalousement dans un coffre dont les membres du groupe sont les gardiens. Voilà qui donne une impression plus que positive.

Ainsi, un instrument viendra évidemment mettre son grain de sel, pour une cuisine plus onctueuse tu meurs. Le violon, sixième membre de la formation, qui, lui, est tout sauf la cinquième roue du carrosse. Car Adán Madrigal est utilisé de manière très judicieuse, et c'est ce qui aide, une fois de plus, à montrer que le groupe a de la suite dans les idées. Si l'utilisation de cet instrument à cordes frottées commence à devenir de plus en plus courante (déjà popularisée par des formations comme Ashes You Leave ou encore Lyriel), El Cuervo de Poe a cette volonté d'en faire un élément de contraste. A la lourdeur du riff (la guitare possédant aussi une belle part du lion) s'oppose la légèreté et la délicatesse de ce jeu envoûtant et subtil, créant ainsi un contraste plaisant, entre énergie et nostalgie, enthousiasme et tristesse. Les opposés ne font qu'un, dans une valse tourmentée mais maîtrisée jusqu'au bout des doigts. Sur une piste comme « Eclipses », ce jeu entre les deux protagonistes est visible, et apporte une intensité non négligeable à ce morceau de grande qualité, dont les ambiances latines viennent parfaire le tableau. Et si les ficelles sont utilisées encore et encore, jamais nous ne tombons dans la redondance, la surenchère et les répétitions. De plus, tout dégage un naturel et une spontanéité qui ne laissera ni insensible, ni indifférent. Tant de finesse dans l'utilisation des instruments relève tout simplement de l'ambition, mais aussi du talent, celui-ci étant plus que présent dans la composition en général.

El Cuervo de Poe

"Cachez ce sein que je ne saurais voir"

Car El Cuervo de Poe n'est pas de ces groupes qui transpirent l'amateurisme, en se rangeant sagement dans des cases et des repères, et ne tentant nullement de laisser sa trace. Ces jeunes mexicains évitent, à chaque fois, tous les pièges du metal gothique, en ne laissant nullement la lassitude nous gagner. Les morceaux sont diversifiés du début à la fin, une très grande partie d'entre eux incluant son petit quelque chose qui lui donne de l'intérêt, et nous emporte dans l'univers si particulier d'Ex-Libris. Ils montrent aux détracteurs qu'au Mexique aussi, on sait pratiquer le metal avec brio et talent. Que ce soit par la guitare dont les lignes sont variées, tout comme le chant très modulé, l'apport de violon, et même la variation des styles, ils savent où ils vont en ne laissant rien au hasard. De l'énergie ? Vous en avez, tout comme de la tristesse, de l'émotion (la mid-tempo « Nostalgia de Tí » est somptueuse), et même des structures plus progressives. Ils n'hésitent pas à inclure moult variations et ruptures du rythme, pour donner un peu d'aération à leur musique. Et ça marche, très bien, même. Un effort appréciable, qui sera récompensé sur un long titre plutôt captivant à la fin : « El Jardín ». Et si l'usage de l'espagnol en tant que langue de l'opus pourra peut-être déstabiliser ou déranger certains, l'effort se révèle plutôt payant, non seulement pour l'audace de ne pas utiliser l'anglais dans un genre où celui-ci reste extrêmement majoritaire, mais également de trouver les parfaites mélodies et ambiances pour accompagner toute la mélancolique qu'apporte la langue. Un défit osé, que l'on ne pourra ni défendre comme qualité, ni comme défaut, car cet aspect sera vraiment soumis aux goûts et affinités de chacun. Mais la broderie pour embellir l'aspect linguistique est fort bien amenée.

Si la production n'est pas parfaite, elle reste malgré tout très acceptable. Elle n'égale pas les gros sons bien huilés de Delain, Lacuna Coil, Sirenia et compagnie, mais, en plus d'être tout à fait audible, elle possède aussi une certaine authenticité, qui exclu encore, à notre grand bonheur, ce sextet mexicain des carcans habituels. Le mixage est même plutôt bien réalisé, encore mieux que dans le Requiem for the Indifferent d'Epica, car au moins ici, la guitare n'est pas entièrement effacée par rapport au chant. Il semblerait que notre combo d'outre-Atlantique a compris que, justement, la dame à cordes doit jouer un rôle assez primordial dans ce type de metal, et la place donc plutôt en avant, pour qu'elle puisse, tout comme le violon, délivrer ses prouesses, surtout dans l'instrumentale « Lamento Romaní ».

Qui dit instrumentale, dit forcément un morceau sans chant, et El Cuervo de Poe ne sera pas l'inventeur du metal gothique sans voix. Et quel joli brin de voix de la part de Brenda Gaviño, d'ailleurs ! Celle-ci se démarque nettement des autres chanteuses pouvant officier dans le style, avec un timbre assez aigu mais un chant dont la technique est très affirmée, modulée, et aux lignes de chant bien pensées, et donc bien accordées aux divers titres du brûlot. Si elle peut paraître déroutante au début, elle donnera tout son charme par son petit côté dramatique, et l'espagnol, également, qui donne un côté très naturel et très fluide à sa façon de chanter, ce qui ainsi amène un terrain propice à séduire pour notre chanteuse charismatique. Les lignes de chant de la fin du titre « Eclipses » sont à tomber dans des aigus plutôt séduisants, avant d'amorcer une descente bien pensée. Elle y met aussi tout son cœur sur la mid-tempo « Nostalgia de Tí », et sera accompagnée d'un grunt masculin sur « En el Laberínto del Nahuál », chant masculin pas mauvais, mais n'excellant pas non plus. Mais, ceci dit, permettant d'apporter un souffle de nouveauté dans la répartition des chants, sachant que l'opus est chanté du début à la fin uniquement (ou presque, donc) par Brenda. Ce qui évite le côté belle et la bête qui n'est intéressant que si réussi. Et Brenda s'en tire suffisamment bien seule pour n'avoir besoin d'aucun accompagnement. Il vaut mieux être seul(e) que mal accompagné(e), non ?

Petit reproche cependant : deux morceaux restent, eux, d'une qualité légèrement plus faible. Dommage, mais bon, ce n'est pas un drame. Candidat numéro un, c'est justement le premier (vrai) titre, « La Delgada Línea », au refrain manquant d'accroche et à la structure un peu trop banale, surtout si elle est comparée au reste. La piste semble ainsi faire bien pâle figure. La seconde, ce ne sera pas la mid-tempo, non non (une surprise n'est-ce pas ?). Nous blâmerons plutôt l'instrumentale « Lamento Romaní », un peu trop démonstrative, et, si elle apporte un peu de répit pour ceux qui n'accrochent pas au timbre de Brenda et à la langue espagnole, elle ne révèle pas entièrement les réelles capacités d'El Cuervo de Poe. Le corbeau va donc prendre son envol ailleurs …

On retiendra bien plus cette mid-tempo, justement, « Nostalgia de Tí », pleine d'émotions, où les lignes de chant sont magnifiques, avec un aspect éthéré très bien exploité, et les cinq minutes passent plutôt rapidement. « En el Laberínto del Nahuál » exploite ce côté grunt / chant féminin avec réussite, grâce à une composition intelligente, et encore une performance assez magistrale de la part de Brenda Gaviño et Adán Madrigal, les acteurs principaux de cette réussite. « La Llorona » et « La Semilla de la Vida » sont plus tubesques, mais là où la première nommée joue plutôt sur son aspect triste, la seconde compte sur son côté catchy et son refrain entêtant pour plaire. Et surtout, la pièce maîtresse qu'est « El Jardín » est plaisante du début à la fin. Neuf minutes, intenses et variées, d'un aspect progressif à des éléments ethniques, et des démonstrations vocales plus lyriques qu'à l'accoutumée. Prenant, avec un thème récurrent pour conserver la cohérence du propos, le titre, massif, montre que les mexicains peuvent servir leur talent à la hauteur de leur ambition. Applaudissements.

Aujourd'hui, les grands peuvent trembler et ne devraient pas se reposer sur leurs lauriers. Car, si la renommée n'est pour le moment pas du côté d'El Cuervo de Poe, le talent, lui, l'est assurément. Et aucun doute qu'ils ont toutes les armes pour s'imposer, aller encore plus loin, et peut-être monter sur le trône, eux aussi. Ex-Libris est un album riche, mature, puissant, mais attachant par ses atmosphères et son charme spécifique. C'est ce qui fait de ce sextet mexicain un combo original, à surveiller de très près.

Note finale : 8,5/10

 

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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