Dani Filth, chanteur de Cradle of Filth

Tâche toujours délicate que d'aller réveiller un goth-boy de bon matin, pour lui extirper quelques justifications quant à son nouveau méfait discographique en date ... Ce serait vrai, si seulement Mr Dani Filth, de la légendaire confrèrerie des Cradle Of Filth, n'était si affable, sympathique et raffiné ! Visiblement très en-forme, et encore un peu plus enjoué que d'habitude, notre ami British s'est confié sur sa nouvelle oeuvre, Hammer Of The Witches, mais pas que : votre serviteur s'est efforcé de lui soutirer des confidences plus personnelles, pour tenter d'"entrer" un peu plus en lui, et saisir l'homme derrière la bête.
 


Dani Filth

Bonjour Dani ! Nous sommes réunis ici aujourd’hui car Cradle Of Filth sort bientôt un nouvel album, intitulé Hammer Of The Witches. Première question, évidente : pourquoi avoir choisi le Malleus Maleficarum (célèbre ouvrage de la fin du Moyen-âge, traitant de la chasse aux sorcières) ?

Et bien la première raison en est le fait que Cradle Of Filth est, à l’origine, du comté où la chasse aux sorcières a démarré ! Je suis le seul à y vivre désormais (Hadleigh, dans le Suffolk, Angleterre), car le reste du groupe est répandu, à l’heure actuelle, aux quatre coins de la galaxie. Adolescent, lorsque j’ai commencé à verser dans le monde occulte, je me suis rendu compte que Matthew Hopkins – que Vincent Price interprète d’ailleurs magnifiquement dans le film Witchfinder General (Le Grand Inquisiteur, 1968) – avait très souvent opéré dans mon quartier, voire carrément dans les bois derrière ma maison, pour te dire ! Il a même visité, à de nombreuses reprises, une maison que j’ai habitée … Tout a donc démarré de là. Quand nous commençons à écrire des chansons pour un album, il y a toujours un feeling global qui s’en dégage, et qui m’inspire des choses. Ici, ce fut un mélange de plusieurs conjonctions comme celles-ci. Attention, Hammer Of The Witches n’est pas pour autant un concept-album, cependant ! Je sais bien que l’artwork donne cette impression, mais c’est plutôt, comme notre album précédent, un recueil de chansons possédant une trame, un feeling commun. Nous parlons, par exemple, des Croisades sur un titre.

Laquelle ?

So, quelle croisade ou quelle chanson ?!

Quelle chanson porte sur une croisade ?!

« Onward Christian Soldiers » ! Et elle tisse un petit parallèle avec l’époque de remous religieux dans lequel nous nous trouvons. Cradle Of Filth n’a jamais été versé dans la modernité, tu l’auras remarqué ; nous ne sommes pas du style à parler de voitures, ou de l’espace !

Vous avez toujours eu une affinité avec le Moyen-âge, plutôt.

En effet. Après, il est sûr que mes paroles peuvent être abordées sous différents angles : tu peux les prendre au sens littéral, comme tu peux lire entre leurs lignes et y déceler des clins d’œil à notre époque et nos vicissitudes.
 


Tu parlais de la manière dont Cradle Of Filth compose ses chansons ; je voulais justement te demander comment vous procédez en général, et puis aussi sur cet album, pour composer ? Qu’est-ce qui arrive en premier : le squelette instrumental, ou bien tes paroles et / ou le concept que tu as choisi ?

J’attends toujours d’avoir au moins 95% d’un instrumental fini avant de commencer à dégager un thème dominant. Pour cet album, tout le monde y a mis sa griffe, et nous avions une vingtaine de titres en arrivant au studio. Ce fut très libéral, et à tel point, d’ailleurs, que mon titre perso préféré a été coupé à la sélection. Les gens disent souvent que je suis un dictateur, mais c’est loin de la vérité.

J’ai toujours voulu te demander : à part le chant, tu joues d’un autre instrument ?

Je joue de la guitare. Mal. Très mal. Si mal, que je suis persuadé qu’il s’agit d’un art ! Personne ne peut prétendre jouer aussi mal que moi !

Nous savons tous qu’il n’est pas question d’être forcément le meilleur guitariste, mais simplement d’avoir du style, et de la personnalité !

Blague à part, lorsque j’étais adolescent, j’étais devenu très bon au violon. Et puis, j’ai changé d’école, et lorsque je suis arrivé dans ma nouvelle école, les gamins ont commencé à me tailler : « ah, il joue du violon, le truc de bourge, comment ça craint ! ». Alors, j’avoue que comme je n’avais que treize ans, j’ai renoncé. Et puis, des années plus tard, lorsque j’ai voulu m’y remettre, j’ai trouvé très fastidieux de recommencer… Ce n’est pas un instrument aisé, alors ça m’a blasé. Et puis, j’ai découvert le metal !

Question challenge instrumental, nous sommes servis au niveau des guitares, sur votre nouvel album ! Quel est le sang nouveau injecté dans ton assemblée de sorciers ? Et quel est cet engouement incongru pour les gratteux ? A l’époque de la sortie de The Manticore And Other Horrors (leur album précédent, 2013), tu m’avais pourtant confié te tenir éloigné de cette espèce bizarre que sont les gratteux !

Paul Allender, notre guitariste précédent, nous a récemment quittés, tu le sais. Lorsqu’est tombée la proposition de faire une tournée en co-headlining avec Behemoth, Paul n’a pas souhaité la faire ; or, le reste du groupe voulait. Alors, nous avons décidé de le remplacer sur ce coup. Manque de bol, au même moment, James, notre autre guitariste live, a dû subir une intervention chirurgicale. Nous avons donc dû les remplacer tous les deux, par Marek et Richard. Richard est un Englishman, tandis que Marek est Tchèque – en fait, nous appelons même Martin (notre batteur) et Marek nos « checkmates », en référence au fait que nous ayons deux Tchèques dans le groupe ! Les deux guitaristes ont tellement bien fusionné entre eux, et avec le reste du groupe, que la musique actuelle du groupe s’en ressent : sur Hammer Of The Witches, il y a des plans complexes de guitare, du challenge, de belles mélodies, et des enchevêtrements, ce qui me rappelle beaucoup Judas Priest, ou encore Iron Maiden. J’aime cette nouvelle approche. Et puis j’ai adoré le travail de Scott Atkins, notre producteur (ndlr : producteur également sur l’album précédent), qui nous a tous énormément poussés. Il aime pousser les musiciens dans leurs derniers retranchements, et a fait de même avec moi. Ici, j’ai pu enregistrer mes parties vocales avec lui, dans le même studio – contrairement à notre album précédent. Il voulait que je chante très haut-perché, comme je le faisais par le passé.
 


Entretien avec le vampire

Comment fais-tu cela ? Tu utilises des filtres ou effets spéciaux sur ta voix, non ?

Absolument pas ! C’est totalement moi, partout ! En réalité, c’est tout simplement beaucoup de dur labeur. J’ai un laryngologue qui me suit, sinon. Je lui rends visite au moins deux fois par an. Mais pour cet album, dont l’enregistrement aura duré quatre mois, je suis allé le voir trois fois ! J’ai été poussé à un tel point … Même nos guitaristes : Scott les a tellement poussés à bout, qu’ils en sont venus, eux qui sont pourtant professeurs de guitare, à se remettre en question et se demander s’ils étaient vraiment à la hauteur …

Ca s’entend sur ce disque, à mon sens. Tu parlais de dictature, tout à l’heure : tu es une personnalité plutôt exubérante ; as-tu jamais pensé à une carrière solo, ou alors préfères-tu la dynamique d’un groupe pour t’épanouir ?

Beaucoup de gens m’ont suggéré cette idée, au fil des ans, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. J’ai un groupe parallèle, Devilment : au début, mes musiciens étaient persuadés que se nommer « Dani Filth » serait propice à générer un peu d’attention autour de nous… J’ai trouvé ça affreux. Ca mettrait trop d’emphase sur moi, et pourquoi donc ? Cependant, certaines mauvaises langues pensent qu’il s’agit de « Dani & the Filths »… Un de mes amis, Dom Lawson, qui écrit pour les revues Metal Hammer et Kerrang !, m’a fait remarquer il y a quelques jours que Cradle Of Filth avait vu passer trente-huit musiciens dans ses rangs ! Mon Dieu, j’ai l’impression d’être un manager de football !

Vous êtes un peu un collectif à la Toto (dans un autre style, certes), finalement, non ? Cradle Of Filth possède son identité visuelle et sonore, et elle perdure quels que soient les musiciens qui passent dans ses rangs. Et puis, toi, Dani, es le garant de la tradition, le maillon commun à tout ?

On peut voir ça comme ça, en effet. Et puis, il y a un facteur que les gens négligent : au fil de la carrière d’un groupe, les membres qui le constitue évoluent, et certaines fois dans des directions contradictoires, développent d’autres engagements, etc.

Et en temps que leader, tu as une mission à accomplir, une vision artistique à concrétiser ; ça laisse finalement peu de place pour l’ego. Au contraire, tu dois sacrifier ton petit ego au service d’une cause qui te dépasse nettement.

Absolument. Et puis, il faut toujours un anti-héros dans l’histoire, un type sur lequel tout le monde a envie de cracher pour se défouler. Et bien tu sais quoi ? Ca ne me pose aucun problème d’être ce gars-là, je peux vivre avec cela !
 

 

His Witches' Master

Puisque tu verses dans l’occulte, Dani, je dois te demander : crois-tu en la réincarnation ? Tu as toujours été passionné de Moyen-âge : penses-tu que tu as pu, par exemple, être un de ces personnages que tu décris dans tes chansons ?

Il y a quelques années, huit ou neuf ans, un de mes amis est allé faire ce qu’on appelle la « thérapie par régression dans les vies antérieures », et s’est fait hypnotiser pour avoir accès à sa mémoire enfouie et entrevoir une éventuelle vie antérieure. Il s’est avéré qu’il s’est vu sur un champ de bataille, mais attention : il ne s’est pas vu important, du style : « je suis le Roi d’Angleterre, ou Alexandre le Grand ! », mais simplement, un humble soldat. Seulement, la description qu’il a faite était si animée, si vivante, que ça m’a impressionné. Il décrivait la bataille comme s’il y était, les odeurs, etc.  Alors j’ai tenté de me faire hypnotiser aussi, mais en vain : personne n’est jamais parvenu à m’endormir. J’étais comme un gamin à la veille de Noël. Mais je suis quelqu’un qui a du mal à dormir, de base. Il me faut des heures avant d’envisager le sommeil, car je suis en constante activité, création, mon esprit est tout le temps en ébullition. J’ai cependant envie de croire : je crois en cette notion de grande âme collective, et en même temps, j’essaye d’être terre-à-terre. Je suis très partagé.

Ta protection est peut-être trop forte, c’est pour cette raison que personne n’arrive à passer à travers toi ?

Tu veux dire, comme une sorte de carapace de crabe ?!

Non, une aura forte, peut-être ? Tu fais forte impression aux gens, en tout cas, d’ordinaire. Un de mes confrères, Nicolas Radégout, ancien rédacteur chez Hard Rock Magazine France (avant que cela ne devienne Rock Hard) ne tarit pas d’éloges à ton sujet : il dit qu’à chaque fois qu’il t’a rencontré / interviewé, tu lui faisais davantage penser à un aristocrate, qu’à un metalleux lambda. As-tu des origines aristocratiques, ou est-ce une légende ?

Oh waouh ! Merci ! Et bien, ma mère a des origines nobles, en effet. Mes oncles, ses frères, ont toujours eu des positions distinguées, du style : diplomate au Sri Lanka, délégué à Hong Kong puis en Tanzanie, etc. Je pense que mon amour pour l’art africain vient  d’ailleurs de là, car cet oncle me ramenait tout le temps des masques africains, et toutes sortes d’œuvres singulières. Un  perroquet, aussi, une fois ! Sinon, un de mes meilleurs amis, qui a presque soixante ans, s’appelle Mark Howard de Fairfax, comme le fameux général (ndlr : grand général parlementaire de la première Guerre Civile Anglaise), dont il est descendant. Alors, effectivement : à défaut d'être sûr de descendre de l'aristocratie, je fréquente des aristocrates, du moins !

C’est un peu à l’image de ton groupe, non ? Cradle Of Filth a su attirer des gens très variés : de l’intellectuel, féru de littérature, au metalleux de base.

Le « metalleux de base » ? Ah c’est tellement condescendant, j’adore ! « Nous attirons toutes les espèces : de la personne très intelligente et raffinée, au metalleux petit, trapu et au cheveu gras ! ». Blague à part, nous sommes chanceux d’attirer un public varié, en effet. Mais nous sommes à l’image de notre époque exigeante : de nos jours, si tu es dans un groupe, tu as intérêt à être multi-talents et multi-facettes. Tu dois savoir t’exprimer correctement, déjà, et surtout avoir plusieurs cordes à ton arc. Ca fait partie intégrante du job, à mon sens. Quand j’étais gamin, les groupes que j’adulais avaient le packaging complet : une super musique- la base – mais aussi un superbe artwork, un look de folie, des vidéos éloquentes, etc. Nous essayons juste de nous inscrire dans cette trajectoire, humblement. Et puis, je suis, pour ma part, quelqu’un qui a toujours adoré écrire de bonnes paroles, fouillées. Ton auditeur doit pouvoir y trouver ce qu’il y cherche.

Ma toute dernière question : que se passe t’il dans le pan droit du triptyque du Jardin (la chanson "Right Wing Of The Garden Triptych") ?

C’est une référence au tableau de Hyeronimous Bosch, le Jardin Des Délices Terrestres (The Garden Of Earthly Delights en anglais). J’ai toujours adoré ce tableau, et à chaque fois que je me rends à Madrid, je traîne mes musiciens au Museo Del Prado où il est exposé. Je vais voir son triptyque Haywain (le Chariot de Foin) également, moins connu. Et puis The Triumph Of Death de Pieter Brueghel. Je suis un grand amateur d’univers pictural. Le pan droit du triptyque de Bosch est celui qui dépeint l’Enfer et l’Apocalypse (tandis que les deux autres dépeignent respectivement le Paradis et le Purgatoire). Lorsque nous étions encore en studio, un journaliste allemand est venu nous interviewer, et tu sais ce qu’il m’a sorti ? « Bon alors, c’est quoi cette histoire de right wing ? » (ndlr : comprendre ici « extrême droite »). Peut-on vraiment être plus allemand que ça ?! Sérieux ?!

Liens utiles :

Le site officiel de Cradle Of Filth

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