Entretien avec Neige d’Alcest

 "Alcest c’est une musique très visuelle, épique"

Kodama, le cinquième album d’Alcest vient de sortir, c’est donc l’occasion pour nous d’aller une nouvelle fois à la rencontre de Neige, leader du projet qui nous a accordé une riche interview. Au menu, le nouvel album évidemment mais aussi les tournées à venir, les différents projets du musicien ou encore les meet&greet payants.

Salut Neige et merci de nous accorder un peu de ton temps. Tu t’orientes explicitement du côté de la culture japonaise pour la première fois sur cet album, comment cette culture t’a influencé dans la construction de Kodama ?

En fait ce n’est pas un album avec une thématique entièrement japonaise, c’est plutôt un style que je voulais lui donner. Ce n’est pas du tout un album-concept sur le Japon ou sur Princesse Mononoké comme j’ai pu le lire dans certains articles. Il y a seulement quelques références qui sont faites et elles prennent leur origine dans le fait que j’ai grandi avec les mangas et les univers typiquement japonais, j’ai été bercé par cela depuis tout petit. Avec Alcest on a eu la chance d’y aller deux fois et d’avoir le temps de faire les touristes, s’intéresser à la culture, la nourriture, on a visité des temples à Tokyo, Kyoto… Cela a confirmé ma passion pour le Japon et m’a beaucoup inspiré, donc cela a logiquement fini par apparaitre dans le nom de l’album, la pochette et quelques petites références comme des gammes asiatiques dans le morceau « Kodama » par exemple.

Mais c’est vrai que le déclencheur de l’album a été en quelque sorte Princesse Mononoké la dernière fois que l’ai vu. Le côté plus sauvage, l’opposition entre la nature et le monde des Hommes, plusieurs morceaux en parlent sur cet album.

Est-ce que tu es influencé par les compositeurs de BO japonaise comme Joe Hisaishi ou Takagi ?

Oui quelque part, c’est vrai. Justement sur le morceau « Kodama » je pense que cela se ressent vraiment. Après on n’a pas voulu faire quelque chose de trop caricatural, trop influencé par le Japon parce qu’on n’est tout simplement pas un groupe japonais et on ne va pas prétendre faire un album de musique japonaise. C’est l’aura que possède ce disque.

Un morceau comme « Onyx » est très cinématographique par exemple. As-tu déjà été tenté de composer de la BO pour un film ?

Evidemment j’adorerais, c’est quelque chose que je n’ai jamais fait et je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est cinéma et BO. Mais je préférerais que quelqu’un fasse appel à des morceaux d’Alcest comme celui que tu cites, ou d’autres comme « Délivrance » qui s’y prêteraient bien. Faire une BO de film de A à Z, cela voudrait dire prendre beaucoup de temps, d’investissement et pour l’instant je préfère me concentrer sur Alcest. Sur le long-terme cela m’intéresserait et si un jour on a un morceau dans un film, je serais vraiment content, c’est clair. Alcest c’est une musique très visuelle, épique parfois donc cela s’y prêterait bien.

Neige, Stéphane Paut, interview, kodama,

A propos de Shelter, tu nous disais dans la dernière interview il y a deux ans que la page du metal était définitivement tournée, donc c’est assez surprenant de te voir revenir avec ce genre de son et un chant black plus fort que jamais, non ?

Je vais simplement répondre qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis et j’ai changé d’avis, c’est clair et net. Avec Shelter, j’avais eu le sentiment d’avoir fait le tour du côté metal d’Alcest parce qu’on avait fait trois albums dans ce style-là. La composante metal m’a un peu lassé parce que j’écoute très peu de metal, quasiment pas à vrai dire et je n’ai pas ressenti le besoin d’en inclure dans Shelter. A l’époque je pensais que cela allait continuer ainsi.
Donc Shelter est sorti et j’ai beaucoup réfléchi, pour savoir si ce côté metal ce n’était pas aussi quelque chose qui a fait le son d’Alcest. J’en suis arrivé à la conclusion que cela a toujours fait partie de notre son et quelque part, l’enlever cela a un peu dénaturé notre musique et l’a peut-être rendu moins personnelle.

D’une part cette réflexion et d’autre part la spontanéité avec laquelle je compose m’ont amené à revenir à un son beaucoup plus dur, après Shelter qui était très aérien et solaire. Je me suis concentré sur la batterie et les riffs qui étaient un peu noyés sous la reverb sur Shelter.

C’est vrai que Shelter a été accueilli plutôt en demi-teinte et c’est assez inédit pour Alcest. Comment tu l’as vécu ?

Cela a beaucoup dépendu des pays, je sais qu’en France la réception a été catastrophique alors qu’il a très bien marché dans d’autres pays. Il y a aussi régulièrement des gens qui nous disent que c’est leur album préféré d’Alcest. Il y a des gros écarts de réception à travers le monde mais c’est vrai qu’en France on s’en est bien pris plein la gueule.

Cela ne fait jamais plaisir, c’est sûr. Après quand je compose un disque, je ne pense jamais à comment il va être reçu donc cela ne m’a pas influencé pour composer Kodama, j’avais spontanément envie de revenir à un truc plus dur, comme je te l’ai dit.

A l’époque, Winterhalter m’avait dit « C’est la musique qu’il avait besoin de faire à ce moment-là ». Tu es d’accord ?

Exactement, il l’a très bien dit. C’est une époque où j’en avais un peu marre, je sentais qu’on était mal compris par une partie du public metal. Au début les gens nous cataloguaient dans le black metal alors que dans le fond cela n’a aucun rapport même si on emprunte certains éléments. Il n’y a rien de malveillant, de misanthrope ou d’occulte par exemple. Ce sont des éléments fondamentaux du black donc on ne peut pas être catalogué dans le style, il y a eu une incompréhension des gens par rapport à cela.

A l’époque de Shelter, j’écoutais beaucoup de shoegaze, dream pop en particulier Slowdive et donc j’avais envie de faire en quelque sorte l’album shoegaze d’Alcest.

Dans quelques morceaux du nouvel album, j’ai perçu quelques riffs qui m’ont fait penser à Solstafir, est-ce que c’est un groupe que tu apprécies et qui t’influence ?

Ah oui, je les connais très bien, on a joué quelques fois avec eux et on s’était vus pas mal de fois en Islande lorsqu’on avait enregistré Shelter. J’aime beaucoup leur musique mais je ne pense pas que ce soit un son qui m’ait particulièrement influencé par contre.

Après généralement les personnes qui écoutent Solstafir nous écoutent et vice-versa donc il est très possible qu’il y ait des connexions.

Pour revenir à la thématique du Japon, vous allez jouer avec Mono qui sont des monstres respectés du post-rock japonais, c’est une super opportunité pour vous non ?

Carrément oui, surtout que l’on est en co-tête d’affiche et c’est un bel honneur pour nous. Cela s’est mis en place suite à notre concert à Tokyo, ils sont venus nous voir et on a pu sympathiser un petit peu et envisager une tournée ensemble. Comme on est sur la même agence de concerts, cela a été plutôt facile à monter. Mono, c’est un groupe que j’ai découvert il y a très longtemps, un des premiers groupes de post-rock que j’ai connu mais je ne les ai pas autant écouté qu’Explosions In The Sky par exemple, dont je suis vraiment très fan. Mono je suis un peu passé à côté mais je connaissais leur musique et j’aime beaucoup certains de leurs albums.

C’est d’autant plus cool de jouer avec eux parce qu’avec Kodama, la thématique, cela fait sens donc c’est le bon moment.

Pas mal de formations dans le même style que la tienne ne s’intéresse pas trop au live. Avec Alcest vous tournez vraiment beaucoup en revanche. Qu’est-ce que cela représente pour toi la scène ?

Comment dire… Je ne me suis toujours pas fait à la scène, ce n’est pas ma zone de confort. Elle ne l’a jamais été, je pense qu’elle ne le sera jamais. Il y a des gens qui sont faits pour cela, par exemple le chanteur de Soror Dolorosa quand il arrive sur scène il est chez lui, c’est son territoire. Moi, tout va dépendre de mon état d’esprit, du déroulement du concert… Si dans les trois premiers morceaux on fait des pains, il y a de fortes chances pour que je ne sois pas à l’aise. Si tout déroule bien, cela peut être vraiment cool mais cela a été pendant longtemps quelque chose de très difficile pour moi, l’approche de la scène. Je dois gérer beaucoup de choses : la gratte, le chant, les pedal boards, l’accordage donc c’est très difficile de se laisser aller. 

D’un autre côté, on a la possibilité de jouer partout dans le monde et c’est des expériences qui ont été très belles. C’est ce qui nous pousse à tourner, les rencontres avec les gens et les choses que l’on va voir autour de nous comptent presque plus que la scène.

Indria et Zero sont partie intégrante d’Alcest en live depuis longtemps maintenant. Ils ne vous accompagnent toujours pas en studio ?

En fait Indria a enregistré la basse de Kodama en studio avec nous, donc c’était la première fois qu’on avait un membre live en studio. On voulait un album plus rythmique et on avait besoin d’un vrai bassiste pour travailler en correspondance avec la batterie. D’habitude je le fais mais je ne suis pas bassiste de formation donc c’était bien mieux comme cela. Zero on ne l’a pas inclus mais ce ne serait pas impossible qu’il fasse des backing vocals ou ce genre de choses. On est une bonne équipe soudée et cela commence à faire longtemps qu’ils sont dans le groupe en effet, le temps passe vite.

Justement, leur intégration définitive au groupe n’est pas encore à l’ordre du jour ?

Non, parce que je tiens quand même à enregistrer toutes les parties de guitares en studio et comme j’écris les textes et je compose la musique, je trouve cela plus logique que cela se fasse comme cela.

Tu me parlais de l’attention portée à la rythmique et c’est vrai que les parties de batterie en particulier semblent revenues plus que jamais au premier plan dans les compositions.

Oui, on voulait quelque chose de plus sauvage, plus rythmique. Même par rapport au son, on a enregistré dans notre salle de répétition qui est une espèce de grenier d’une très grande maison, avec une belle reverb naturelle. Et l’album a été enregistré par le producteur du Drudenhaus Studio, qui avait mixé Ecailles de Lune et Les Voyages de l’Âme. On a donc enregistré la batterie sur bande, et il a dû transporter son enregistreur à bande quasiment de Bretagne jusqu’en Lorraine où se trouvait notre local de répétition.

Ce que tu entends sur le disque, c’est simplement le son et la reverb de la pièce. Il n’y a aucun effet ajouté au compresseur ou en plug-in, c’est juste le son de la pièce et on en est assez content.

Neige, Stéphane Paut, Alcest, interview, Kodama

Au Prophecy Fest vous avez joué Ecailles de Lune en entier, c’est quelque chose que tu as apprécié ? Que tu pourrais refaire ?

C’était vraiment chouette. On était assez stressés parce que c’était la première fois et qu’Ecailles de Lune comme Souvenirs d’un autre monde ont un statut particulier chez les fans. Ils y sont très attachés. Ils ont beau ne pas être nos plus gros succès en termes de vente, il y a un vrai truc sentimental. On a vu énormément de personnes avec des tatouages de la pochette d’Ecailles de Lune par exemple. On ne voulait surtout pas décevoir donc on a beaucoup répétés, c’était assez stressant mais une fois montés sur scène, tout s’est bien passé. C’était un bon concert et on a eu de très bons retours donc c’est cool. Si on nous proposait de faire la même chose pour un autre album comme Souvenirs, ce serait envisageable.

Plus globalement, avec autant d’albums maintenant, ce n’est pas trop difficile de construire la setlist, surtout que vos morceaux sont longs ?

Oui carrément ! C’est quelque chose que l’on a remarqué seulement cette fois-ci parce qu’avant, on piochait dans nos quatre albums les morceaux qui se prêtaient le plus au live, et cela passait. Avec cinq albums, il a fallu enlever des morceaux « phares » de nos anciennes setlists surtout qu’il y a beaucoup de titres de Kodama qu’on voudrait jouer en live. Cela n’a vraiment pas été facile et ce sera de pire en pire, forcément.

On a des chances de vous voir en festival l’année prochaine ?

Oui ! Surtout avec la sortie de l’album on va sûrement pouvoir faire pas mal de concerts pendant l’été, je n’ai pas encore le droit de dire où bien sûr. J’espère plus de dates en France surtout, parce qu’on n’y joue vraiment pas assez à mon gout.

Je t’avoue qu’à chaque fois que j’ai vu Alcest en live, ce n’était jamais en France !

Oui, c’est toujours compliqué la France pour nous. Pas mal de gens ne sont pas forcément hyper sensibles à ce qu’on fait et j’ai l’impression qu’avec Kodama cela va un peu changer parce qu’on a déjà eu pas mal de bons retours de la France. J’espère que cela pourra aboutir à des concerts plus nombreux chez nous. Cela nous ferait plaisir en tout cas. 

Empyrium a joué au Hellfest cette année, tu n’aurais pas aimé en être ?

Je pense que c’était une question de budget pour eux parce qu’avant on était beaucoup sur scène, quasiment une dizaine dans mes souvenirs. Là ils ont réduit les effectifs dans le groupe donc ils m’ont dit que ce n’était malheureusement plus possible pour eux de me payer ne serait-ce que le défraiement du transport même si je ne prenais pas de cachet. Du coup je ne pense pas rejouer avec eux mais c’était très bien, de belles aventures aussi. Je pense être vraiment occupé avec Alcest ces prochains mois de toute manière.

C’est vrai que tu as vraiment beaucoup de projets en dehors d’Alcest…

Oui et encore cela s’est calmé un peu, il y a quelques années c’était pire.

Parmi tous ces projets du quel tu es le plus fier ?

Je dirais Amesoeurs parce que c’est le seul projet en dehors d’Alcest où je composais quasiment tout, avec Fursy (Teyssier) aussi. Quand je vais juste enregistrer un peu de chant ou de la batterie ce n’est pas pareil, je me mets à disposition en tant que musicien, c’est tout. Amesoeurs on m’en parle toujours souvent pour savoir si on se reforme donc j’imagine que cela a plu à quelques personnes et j’en suis assez fier. Mais c’est définitivement fini.

Au niveau de Lantlôs, je sais que tu n’es plus dans le groupe mais les relations semblent rester bonnes puisque vous les avez emmenés en tournée. Il y a toujours une possibilité de te voir avec eux pour un concert spécial ?

Je ne sais pas, cela va dépendre de Marcel mais effectivement on reste en très bon termes ! Il m’a envoyé des morceaux du prochain Lantlôs et je lui avais fait écouté Kodama, on s’échange des mails encore régulièrement. Cela ne m’étonnerait pas qu’un jour il soit amené lui aussi à jouer un album comme .neon en entier donc si il a besoin de moi pour cela, c’est clair que je serai là.

L’an dernier tu avais aussi guesté sur l’album de Déluge qui pour le coup est bien plus black metal. C’est eux qui t’avaient approché ?

Oui, c’est FT de Déluge qui m’avait approché par l’intermédiaire de Valnoir, leur graphiste pour savoir si j’étais intéressé. Il m’a fait écouter leur musique que j’ai trouvée cool, donc j’y suis allé. Faire des featurings c’est quelque chose que j’apprécie parce que cela me change des responsabilités d’Alcest par exemple, cela ressemble plus à des vacances pour moi. Au final on est restés assez amis avec FT et c’est un bon groupe, si ils continuent sur cette voie je pense qu’ils arriveront à faire un truc en France et à l’étranger, sans aucun doute.

Quand de jeunes groupes qui ont acquis une grosse notoriété comme Deafheaven citent Alcest comme une source d’inspiration, cela te procure une petite fierté ?

Bien sûr, le fait d’inspirer les gens cela vaut tous les compliments du monde. Je suis hyper content pour eux du succès qu’ils rencontrent, d’autant que j’avais fait un featuring aussi sur Sunbather (NDLR sur le morceau « Please Remember »), c’était sympa. Je suis hyper flatté et si on m’avait dit cela il y a dix ou quinze ans je ne l’aurais pas cru. Quand tu débutes tu ne t’imagines pas que tu vas tourner partout dans le monde, influencer d’autres groupes, c’est complètement irréel.

Pour terminer, comme je sais que tu es un artiste vraiment proche de tes fans, je tiens à te poser une question : qu’est-ce que tu penses des meet&greet payants qui sont de plus en plus monnaie courante de nos jours ?

Alors effectivement on a eu à en faire un au Brésil il y a quelques semaines. Parce qu’au Brésil la scène rock/metal est énorme et beaucoup de gens viennent aux concerts, pas seulement pour Alcest d’ailleurs. Pour nous, il y avait 1200 personnes donc tu ne peux pas arriver au milieu des 1200 personnes sinon cela devient le chaos total. C’est le promoteur du concert qui a décidé de faire le meet & greet payant, pas nous. Je pense que lorsqu’il y a trop de monde cela permet surtout au groupe de faire les choses de manière plus organisée mais sur le principe je trouve cela vraiment pourri, oui. Du coup après le meet & greet on est quand même redescendu pour parler aux gens parce qu’on se sentait un peu coupable.

On n’est pas du tout dans le délire rockstars, on aime bien parler aux fans et c’est même l’un des trucs que l’on préfère. Rencontrer les gens, entendre leurs histoires, savoir d’où ils viennent, cela nous touche. On considère qu’on a énormément de chance de faire ce boulot parce que cela nous permet de voir des pays et rencontrer des gens qu’on aurait jamais vus ou rencontrés autrement. 

Quand tu me parlais des concerts, c’est à cela que j’ai pensé en premier. Tu découvres des cultures totalement différentes de la tienne. La première tournée en Chine par exemple, on avait fait douze dates et on n’en menait pas large mais cela s’est vraiment bien passé et on est tombés amoureux de ce pays. Quand on sera vieux et qu’on parlera de cela à nos proches, je pense que c’est ce qui restera : les rencontres qu’on a faites, les endroits qu’on a visité, bien plus que les concerts en eux-mêmes.

Quel est ton plus grand souhait pour la fin de l’année et 2017 ?

J’espère que la tournée sera un succès et que du monde viendra nous voir. Après j’espère continuer comme cela, que la sortie de l’album se passe bien et que les gens l’apprécie. Et faire plus de concerts en France, surtout !

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