Entretien avec Keshav Dhar, guitariste de Skyharbor

[Update] Skyharbor a annulé la totalité de leur tournée européenne, en raison de problèmes de visas qui n'ont pas été accordés pour le Royaume Uni, et de problèmes logistiques que ces contretemps ont provoqués. Très déçus, les membres du groupe ont présenté leurs excuses aux fans et aux groupes Hypno5e et Talia, qui devaient les accompagner, en promettant de revenir très vite en Europe. 

Skyharbor est un groupe de metal indien formé en 2011, qui s'est construit une solide réputation très tôt grâce à un son progressif singulier et ses collaborations avec les plus grands (TesseracT ou Deftones qu'ils avaient accompagnés en tournée en 2017 avec notamment un passage par l'Olympia). Les musiciens entament aujourd'hui une tournée européenne en tête d'affiche pour présenter leur troisième album, Sunshine Dust, et passeront par Paris au Backstage le 19 avril prochain. Le guitariste et membre fondateur Keshav Dhar s'est confié à La Grosse Radio sur l'évolution du groupe, les changements de line-up, et sur ce que l'avenir réserve à Skyharbor. 

La Grosse Radio : Bonjour Keshav, merci de répondre à nos questions. Dans quel état d'esprit êtes-vous, toi et le groupe, à quelques jours du début de votre tournée en Europe ?

Keshav Dhar : On est vraiment impatients. Cela fait deux ans que nous n'avons pas joué en Europe. À l'époque c'était pour la tournée avec Deftones. Nous sommes tous prêts, vraiment excités et très impatients de commencer la tournée !

Lors de cette tournée vous présenterez votre troisième et dernier album studio, Sunshine Dust, sorti à l'automne 2018, autrement dit quatre ans après le précédent, Guiding Lights (2014). Sunshine Dust est d'ailleurs le premier album avec un line-up partiellement renouvelé, à l'arrivée d'Eric Emery au chant et Adita Ashok à la batterie.... et pourtant, à l'écoute, on a l'impression d'un album solide et cohérent. Tu dirais que c'est l'album le plus abouti de Skyharbor ?

Oui, tout à fait. C'est vraiment l'album qu'on a souhaité faire. Je ne veux pas dire que c'est un album parfait, non. D'ailleurs, la perfection c'est très surfait ! [Rires] En fait, les morceaux étaient déjà prêts en février – mars 2017, pendant la tournée avec Deftones. On s'est posés et on s'est demandé : est-ce que ça nous convient ? Est-ce que c'est vraiment le son qu'on voulait créer ? Et on s'est rendu compte que la réponse était : pas vraiment. Donc on a retravaillé sur tout, on est repartis en pré-production. En quatre ans, tout change, de toute façon. Le climat change, les paysages changent, mais aussi les personnes. Nous avons tous changé, que ce soit d'un point de vue personnel, ou au niveau de la musique. Et maintenant, après tout ce travail, on est très contents et fiers de Sunshine Dust

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Le son de l'album est intéressant car on sent que vous avez voulu explorer des choses nouvelles. Est-ce que vous aviez décidé à l'avance que l'album rendrait ces nouvelles directions, ou est-ce que c'est venu comme ça ?

Je pense que c'est un peu des deux. On avait un nouveau batteur (Adiya), qui malheureusement n'est plus avec nous aujourd'hui, mais au moment de l'écriture de l'album, il venait d'arriver dans le groupe, et il a vraiment un background complètement différent du nôtre. Il faisait davantage de musique électronique, avec un son plus expérimental basé sur le duo basse / batterie. Si tu écoutes nos deux premiers albums, Guiding Lights et Blinding White Noise, tu te rends compte que notre musique était plutôt centrée sur les guitares. Ce sont surtout les guitares qui entraînent le reste des compositions, tu vois. 

Pour ce nouvel album, on voulait bien sûr garder une certaine importance sur les guitares, puisque nous, les deux guitaristes, composons la musique, mais on ne voulait pas que ce soit uniquement orienté comme ça. Même si une guitare permet une multitude de possibilités en termes de sons, au final ça sonnera toujours comme une guitare [Rires] On voulait tester de nouvelles idées, apporter un peu de fraîcheur et de nouveauté au processus. On n'a jamais été le genre de groupe, comme Animals As Leaders, vraiment centré sur la virtuosité à la guitare. Nous ce qui nous plaît c'est de créer un son capable de nous surprendre ou de surprendre l'auditeur, et pas juste la performance technique. C'est pour ça qu'on a voulu utiliser pas mal de synthés avec des influences électroniques. On aime tous la musique électronique et on tenait vraiment à l'intégrer à ce qu'on composait, donc c'est ce qu'on a fait !

Et justement, pour créer ce son inédit, vous avez changé votre façon de travailler, que ce soit pour l'écriture ou l'enregistrement ?

Pas vraiment... la seule différence, à vrai dire, c'est qu'on avait de nouveaux jouets avec lesquels bosser ! [Rires] Mais à part ça, non, on a fait comme d'habitude. Chaque membre du groupe a son petit studio d'enregistrement chez lui, ce qui est vraiment important car nous vivons dans des régions du monde différentes. C'est donc important que chacun puisse enregistrer ses propres compositions de son côté avant de les présenter au reste du groupe. Et donc, on a fait comme ça, ça s'est bien passé, et on s'est dit « Génial, ça fonctionne encore bien, on peut encore faire comme ça ». Ce n'est pas parce qu'on avait décidé d'aller dans une direction  nouvelle qu'on a eu du mal avec le processus de création. C'est resté le même processus. Comme si on avait utilisé les mêmes pinceaux, mais pour peindre des couleurs différentes...

Très belle comparaison ! D'ailleurs les nouvelles « teintes » sur cet album viennent de l'identité vocale d'Eric avec des screams plus marqués. [Eric Emery a repris le rôle de vocaliste au sein de Skyharbor en 2015, succédant à Daniel Tompkins, officiant dans TesseracT ndlr]. Accueillir un nouveau chanteur n'est jamais facile pour un groupe. Peux-tu nous en dire plus sur ce qui fait la particularité d'Eric, et ce qu'il a apporté à Skyharbor ?

Oui, bien sûr. Comme tu viens de le dire, Eric est très différent de Dan, c'est le jour et la nuit ! Ils ont peu de choses en commun, à part leur capacité à chanter très haut. Ils ont des façons d'aborder l'écriture radicalement différentes. Tu dois probablement savoir que Dan est plus progressif, plus aérien dans son chant, il tient les notes hautes très longtemps, il a un grain un peu « ambiant » qui flotte au-dessus de la musique. Eric, d'un autre côté, a une voix qui sonne plus comme une voix forte de chant lead, plus traditionnelle. Sa voix claire aussi flotte au-dessus de la musique, mais il apporte une tension supplémentaire. Sa voix chantée est très différente, et bien sûr, en plus il maîtrise le scream metal et en use plus que Dan. Et voilà, en fait on ne parle pas de qui fait mieux dans tel domaine, il s'agit juste de deux chanteurs différents. La voix, c'est quelque chose de particulier car toutes les voix sont différentes. Quand un groupe remplace un guitariste, une nouvelle personne va sûrement réussir à avoir un son très similaire à celui de l'ancien guitariste. Forcément, quand c'est un nouveau vocaliste qui arrive, il y a une différence énorme. Donc, quand on a accueilli Eric, on a d'abord cherché à comprendre quelle était son identité, sa « vibe » . Plutôt que d'essayer d'en faire un imitateur de Dan, ce qui aurait été une très mauvaise idée car personne n'aurait été satisfait, nous avons décidé de nous adapter, nous, à son nouveau style.

Sinon, l'effet n'aurait pas été naturel...

C'est ça. On ne voulait pas le forcer à rentrer dans un cadre qui n'était pas le sien. Et puis, même au niveau de la composition, nous laissons davantage de place au chant désormais. Quand tu arrives à l'étape du mixage et que tu te rends compte qu'il y a toutes ces parties complexes de guitares qui se superposent, ça peut paraître cool, mais tu dois encore rajouter une partie de chant par-dessus tout ça, or il faut que le chant soit fort. Enfin, pas fort au niveau du volume, mais plutôt clair, audible. Au niveau de la perception intellectuelle, l'être humain a tendance à se concentrer sur les mots, tu sais. Donc on s'est dit, toutes ces parties alambiquées de guitares, pleines de petits détails, on va en faire un peu moins, mais en garder quand même. De toute façon, au final ce qui importe c'est la chanson, et non pas les questions d'ego ou de fierté parce qu'on a mis deux cents parties de guitare superposées dans un titre ! Faire un bon morceau, voilà ce qui importe, alors si ça veut dire retirer quelques couches par-ci par-là pour mettre en valeur autre chose, eh bien allons-y ! Nous avons appris à avoir un peu de réserve et de maturité avec les années. On est capable de mettre les egos de côté et de se concentrer vraiment sur les morceaux.

En tout cas vous avez su trouver très vite un fonctionnement de groupe malgré les changements de line-up, et malgré la distance. Au sein de Skyharbor, vous avez une situation assez particulière puisque vous vivez dans des pays différents [ certains membres vivent en Inde, d'autres aux Etats Unis, ndlr ]. Tu dirais que c'est difficile de faire fonctionner cette collaboration à distance, un peu comme une relation amoureuse à distance ?

Je ne vais pas te mentir, ça n'est pas facile, mais d'après moi le problème n'est pas tellement la distance. Je pense que la distance ça peut faire du bien, pour éviter l'énervement ou l'exaspération qu'on ressent à force d'être tout le temps avec quelqu'un. Chacun a son espace. Ce qui est vraiment difficile, c'est le décalage horaire. Entre ici [Keshav Dhar vit à New Delhi, ndlr] et les Etats Unis, le décalage est énorme, c'est quasiment le décalage maximum qui existe sur Terre. En fait, quand la moitié du groupe se lève, l'autre moitié va se coucher ! Ces conditions compliquent beaucoup la communication. Souvent tu n'as qu'un tout petit créneau de deux ou trois heures par jour où tout le monde est réveillé, pour bosser ensemble. Il faut qu'on apprenne à bien optimiser ce court laps de temps ensemble.

Tu connais ce dicton « Loin des yeux, loin du coeur »... eh bien, ça peut arriver parfois. Ces périodes où il n'y a pas de tournée, pas de concert, où chacun est très occupé avec sa vie personnelle, eh bien de ne pas se voir et de ne pas être du tout dans le même fuseau horaire, on se dit « tiens, ça fait déjà une ou deux semaines qu'on ne s'est pas parlé ! » Mais le groupe doit avancer, alors on se parle, on s'y remet, et voilà. Ce sont nos difficultés à nous, tu sais. Je suis sûr qu'il y a d'autres problèmes au sein de groupes où tout le monde vit dans la même maison, et nous, on n'est pas embêtés avec ça ! [Rires] Les choses sont comme elles sont. On est conscients que ça peut être compliqué mais on y travaille.

À propos des membres du groupe, vous vous êtes récemment séparés (à l'amiable) de votre batteur Aditya. L'ancien batteur de Skyharbor, Anup Sastry, vous a aidés en janvier et février pour des concerts que vous avez donnés en Australie. Sera-t-il présent pour la future tournée en Europe ? Est-il de retour dans le groupe ?

Sur ce sujet, on fait au jour le jour. On s'est rendu compte qu'on ne voulait surtout pas précipiter les choses, parce que Anup est très occupé, il travaille sur de nombreux projets. On voudrait retravailler avec lui, mais ce n'est pas nécessaire de s'empresser de prendre une décision. Le plus important ce sont les albums. Pour les concerts, on peut toujours faire en sorte que ça fonctionne avec un autre batteur. Sur la tournée en Europe qui commence dans quelques jours, Anup n'était pas disponible, car il vient juste de se marier, donc ce ne sera pas lui à la batterie. Cependant, pour un prochain album, on voudrait vraiment qu'il collabore avec nous. On verra bien comment ça va se passer pour ça. Et pour les concerts européens, ce sera Théo, le batteur de Hypno5e, qui va jouer avec nous. Ce groupe nous accompagne pour la première partie sur toute la tournée. Ce sont des Français, et c'est vraiment un groupe fantastique !

Ça promet d'être une belle collaboration ! Parlons de cette tournée à venir, justement. Comment vous préparez-vous, avez-vous déjà choisi les titres à jouer sur cette tournée européenne où cette fois ci vous serez tête d'affiche, par rapport à votre dernière venue où vous avez ouvert pour Deftones ?

Oui, on s'est déjà bien préparés. On a déjà sélectionné les titres que nous allons jouer. On voulait vraiment faire un mélange sympa de morceaux issus des trois albums de Skyharbor, parce que beaucoup de nos fans en Europe ont commencé à nous soutenir dès le début, dès notre premier album [Blinding White Noise en 2012 NDLR]. On tient vraiment à jouer des morceaux qui peuvent plaire à tous ceux qui vont venir nous écouter dans les prochaines semaines.

Et puis, pour le début de la tournée, comme tu viens de dire, ça fait un moment qu'on n'est pas venus en Europe, et on a vraiment hâte ! Ça va être super de voir comment les gens vont réagir aux nouveautés, et de voir si le public européen nous aime encore ou pas... on ne sait pas trop à quoi s'attendre,  on garde l'esprit ouvert et on ne part pas avec des a priori. Il vaut mieux qu'on garde les pieds sur terre : nous n'avons pas des attentes complètement folles, mais bon, notre fanbase en Europe nous a toujours beaucoup soutenus, plus que dans les autres endroits du monde (à l'exception bien sûr de notre pays d'origine, l'Inde). Si on existe encore aujourd'hui, sept ou huit ans après la création du groupe, c'est en grande partie grâce au public en Europe. On a fait plus de concerts là-bas que dans n'importe quelle autre région du monde... donc on a vraiment hâte, parce que ça fait longtemps qu'on n'est pas venus vous voir !

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Le public français a également hâte de vous retrouver ! Vous aviez fait forte impression lors de la tournée avec Deftones en 2017...

Ah bon, c'est vrai ? Ça fait vraiment plaisir !

Oui, d'autant plus que le set du deuxième soir s'est fait sans votre chanteur, Eric, qui était souffrant ce soir-là.

Oui, il n'a pas pu faire le second concert à l'Olympia. C'est vraiment incroyable ce que tu me dis là. C'est vrai que pour nous, sur cette tournée avec Deftones, les deux concerts à Paris restent de loin les plus marquants, les plus mémorables. De notre point de vue, c'était deux soirées exceptionnelles.  Le public a été tellement bruyant, les deux soirs, et l'Olympia est vraiment une salle mythique, on était extrêmement honorés de jouer dans un lieu incroyable comme ça. Et pour être honnête avec toi, le concert précédent que nous avions fait à Paris, qui remonte à 2016, je ne me rappelle plus le nom de la salle, mais on avait joué avec Sithu Aye et Modern Day Babylon [c'était au Gibus en octobre 2016, NDLR], était aussi un show fantastique ; je crois qu'en plus c'était la dernière date de la tournée, à l'époque et c'était vraiment une super soirée. De toute façon, on a toujours été bien accueilis en France, et on a vraiment hâte de venir chez vous.

Si tu aimes le public bruyant et les petites salles, je pense que vous allez être aux anges en jouant au  Backstage en avril !

Ça va être super !

Tout à l'heure tu as parlé brièvement du prochain album de Skyharbor. Avez-vous déjà commencé à travailler sur des nouvelles chansons ?

Oui, on a plein d'idées. En fait, on avait entre quinze et vingt morceaux prêts il y a quelques mois, et quand on a sélectionné ceux pour Sunshine Dust, on en a laissé quelques-uns de côté. En plus, sur cette longue période, on a écrit pas mal de morceaux qui sont restés inachevés. Donc pour l'instant je dirais qu'on a au moins cinq ou six chansons, enfin des versions provisoires, et de la matière pour travailler sur le prochain album. Une chose que je peux vous promettre, c'est qu'il ne faudra pas attendre quatre ans pour qu'il sorte ! [Rires

C'est une très bonne nouvelle ! Merci beaucoup Keshav d'avoir répondu à nos questions. Bon courage pour la tournée et à bientôt à Paris en avril.

Merci à vous.

Entretien réalisé par Skype le 15 mars 2019

Skyharbor se produira au Backstage By The Mill à Paris le 19 avril 2019. Ils seront accompagnés de  deux groupes français, Talia et Hypno5e

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