Entretien avec Mark Tremonti (Alter Bridge)

Alter Bridge est de retour avec un sixième album, Walk The Sky, à paraître le 18 octobre 2019 via Napalm Records. À cette occasion, le guitariste et membre fondateur du groupe, Mark Tremonti, nous a accordé un entretien en toute décontraction. Ce prolifique génie de la guitare réputé et renommé dans le monde du rock et du heavy metal fait pourtant preuve d'une humilité incomparable. Ses yeux brillent : l'interview se déroule au beau milieu d'un showroom parisien aux murs décorés d'une multitude de guitares prestigieuses. Rencontre avec un passionné à la sérénité et la simplicité déconcertantes.

Bonjour Mark, merci de répondre à nos questions. Myles Kennedy et toi vous êtes aujourd'hui à Paris, entourés de guitares légendaires. Il y a quelques jours, vous étiez dans la maison de Jimi Hendrix à Londres, toujours pour de la promo. Jamais loin des guitares, on dirait …

Eh oui, on a eu cette chance, mais c'est vrai que je ne me sens pas bien sans guitare autour de moi !

Sachant que vous êtes très occupés tous les deux (tu as ton projet solo, Tremonti, Myles Kennedy, quant à lui, tourne beaucoup avec Slash), ça n'a pas été trop dur de revenir à Alter Bridge, et à peine l'album terminé, de partir en promo un peu partout comme aujourd'hui ?

Myles et moi on adore être comme ça, entourés de guitares. Quand on a du temps libre, on écrit, on compose, on joue de la guitare... ce n'est jamais vraiment du travail pour nous. Le travail, c'est de voyager. Pour nous, c'est dur de voyager, mais pas de s'asseoir et de créer. Ce qui est épuisant, c'est d'être sur la route, à bord de trains, de bus ou d'avions, mais tout le reste n'est pas vraiment difficile.

mark tremonti, alter bridge, walk the sky, 2019

Vous sortez le nouvel album d'Alter Bridge, Walk The Sky, le 18 octobre. Il semble que vous avez travaillé sur ce disque d'une façon un peu différente de d'habitude, pour l'écriture et l'enregistrement.

Tout à fait ! Nous n'avons eu un créneau que de cinq semaines pour enregistrer l'album, donc Myles et moi avons écrit et fait des démos, chacun de notre côté, avant d'entrer en studio. Habituellement, on fait plutôt des petites ébauches de compositions puis on se retrouve pour terminer les morceaux ensemble. Cette fois-ci, en revanche, ses morceaux étaient complets, les miens aussi, et on s'est retrouvés en studio pour bosser sur la touche finale avant d'enregistrer, donc c'est vrai que pour l'étape qui précède le studio nous avons été beaucoup plus organisés que d'habitude. Ensuite, on a décidé d'ajouter des sons nouveaux à nos morceaux, de la synthwave que tu peux retrouver sur certaines chansons, et voilà, on est assez contents du résultat !

C'est vrai que sur certains morceaux de l'album, comme "Godspeed" par exemple, on entend bien le synthé très retro. C'est toi qui as eu l'idée d'intégrer ces sonorités à Walk The Sky ? Et pourquoi ce style ?

J'ai toujours adoré la synthwave, en particulier les bandes originales de vieux films de John Carpenter ou de cette époque-là, comme The Warriors (Les Guerriers de la Nuit) qui est l'un de mes films préférés. Tu vois, ce genre de bande-son qui tient en haleine, une musique vraiment étrange et inquiétante à la fois. Je suis tombé sur un morceau, "Tech Noir", par un groupe de synthwave qui s'appelle Gunship, et ça m'a rappelé à quel point j'aimais ce style. J'ai appelé Myles et je lui ai dit « j'aime beaucoup cette chanson, va l'écouter, j'ai envie d'essayer d'intégrer ça à notre album », et il a tout de suite été partant pour faire ça. On a incorporé ce son dans deux chansons essentiellement, dans "Pay No Mind" et "Godspeed", comme tu l'as dit.

Justement, "Pay No Mind" et "Wouldn't You Rather" sont les deux premiers extraits que vous avez sortis pour présenter ce nouvel album. Ces deux morceaux sont très différents mais portent bien la patte Alter Bridge, reconnaissable entre mille. Pourquoi avoir choisi ces deux titres ?

On trouvait que "Wouldn't You Rather" véhiculait beaucoup d'énergie, et puis ce morceau convient bien au format radio, tout en gardant l'esprit de titres plus anciens que l'on a pu faire. D'un autre côté, "Pay No Mind" est un bon exemple de cette nouvelle direction que l'on a envisagée pour Alter Bridge. Tu vois, avant la sortie du single, j'ai fait quelques interviews où j'essayais de parler de ce son synthwave, et les gens se grattaient la tête, l'air de dire « Mais qu'est-ce qu'ils ont bien pu faire avec leur musique ? » [Rires]. Une fois que l'on a sorti "Pay No Mind", les choses ont été plus claires. C'est un bon échantillon du nouveau son que l'on a voulu expérimenter sur cet album.

C'est vraiment un changement de direction, ou plutôt un ajout de sons supplémentaires ?

Tu as raison, moi je parle plutôt de couleurs différentes, de nouvelles teintes, mais ce n'est pas un changement radical, loin de là !

Passons à la thématique de ce nouvel album, Walk The Sky. De quoi parle-t-il ? Est-ce en lien avec l'image sur la pochette, où l'on voit une femme qui s'envole et se transforme en une multitude d'oiseaux ?

Tout à fait, oui. Le thème de cet album est un peu à l'opposé de la thématique noire de notre album ABIII (sorti en 2010). Dans ABIII, il y avait cette idée de désillusion, d'avoir perdu la foi et l'espoir. Walk The Sky parle plus de thèmes zen, comme trouver la paix, la quiétude et la liberté. C'est un peu comme une personne qui sort de cette période obscure de sa vie et se retrouve dans une sorte de pleine conscience paisible. Le personnage féminin qui se transforme en oiseaux, c'est comme un esprit qui se libère enfin. Sur l'album, on trouve des paroles qui parlent de cela sur environ un tiers des morceaux. Et puis, j'ajouterais que les oiseaux ont toujours été liés à la musique d'Alter Bridge, et cela depuis la chanson "Blackbird", donc l'imagerie de cette pochette nous a vraiment énormément plu.

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Alors certes il y a des chansons zen, mais si l'on revient à "Pay No Mind", par exemple, on peut au contraire y voir une critique assez virulente, et même un message plus ou moins subtil sur la politique moderne, la manipulation de masse... que penses-tu de cette interprétation, qui ne serait pas sans rappeler par exemple "Show Me A Leader", sur votre précédent opus, The Last Hero (2017) ?

C'est évident, il y a bien ce genre de message sur "Pay No Mind". Je pense que la chanson, plus généralement, porte sur le fait d'être reponsable, que ce soit en politique ou avec l'économie. On peut penser à la crise des subprimes qui a fait s'effondrer toute l'économie, par exemple. Il y a eu un film là-dessus, je ne me souviens plus du titre [sûrement The Big Short, ndlr] , mais oui, cette chanson parle de tout ça. Ça peut aussi évoquer les conséquences quand on n'agit pas de façon responsable avec l'environnement, ou la politique, ou l'économie... tu vois, tous les grands dirigeants dans le monde ne rentreront certainement pas dans l'histoire s'ils ne réussissent pas à maîtriser ou enrayer ces choses-là.

Ce message, ainsi que la philosophie plus apaisée de l'album et une nouvelle façon de travailler pour vous, finalement, cela peut s'expliquer par une certaine forme de maturité. Est-ce que tu dirais que Alter Bridge a atteint l'âge de l'expérience ?

Je pense que oui. Quand on est jeune et qu'on fait du rock, tout n'est qu'agression et angoisse existentielle. Mais une fois que tu évolues, et que tu as évacué un peu tout cela, tu te rends compte que tout le monde n'a pas envie de passer son temps dans cet espace sombre. Les gens ont envie de se sentir bien quand ils écoutent de la musique. Si je regarde autour de moi, par exemple, les gens de mon entourage, chez moi, ce n'est pas du tout leur truc de s'asseoir dans une pièce obscure pour n'écouter que du doom déprimé. Ils veulent se sentir bien, se sentir inspirés par la musique. Pour Alter Bridge, même s'il y a toujours un certain aspect de notre musique qui reste un peu sombre, un peu plus morose, l'essentiel sur ce disque c'est que les chansons sont assez simples à écouter, et qu'il est plus facile pour l'auditeur de se sentir bien. 

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Mark, tu fais ton grand retour au chant principal sur un morceau, "Forever Falling". Ce n'était pas arrivé depuis la chanson "Waters Rising" sur l'album Fortress en 2013 C'est quelque chose qui te tenait à cœur ? Raconte-nous comment les choses se sont passées.

J'ai composé la chanson, fait la démo avant d'arriver en studio. Je pensais que Myles allait la chanter, mais quand on a travaillé la chanson ensemble et qu'est arrivé le moment de réfléchir au chant, il m'a dit « Et pourquoi tu ne la chanterais pas, celle-là ? ». Il a proposé que je chante sur deux chansons, en fait. "Forever Falling" est l'une de mes chansons préférées de l'album, et j'avais déjà écrit quelques paroles pour ce titre, alors il ne me restait plus qu'à les terminer... et à me lancer ! Sur le refrain, c'est Myles qui chante. J'étais parti pour chanter toute la chanson, mais en studio, au moment du refrain, je n'atteignais pas les notes les plus hautes alors c'est Myles qui s'en est chargé. 

C'est une très belle chanson, à la structure exceptionnelle, et vos deux voix se fondent parfaitement !

Ça fait très plaisir d'entendre ça, merci beaucoup. J'aime la dynamique entre nos deux voix sur cette chanson.

Il y a quatorze titres sur votre nouvel album Walk The Sky. Vous vous apprêtez à partir en tournée, d'abord aux Etats Unis, puis en Europe, pour le présenter. Parlons setlist : je suppose que plus la discographie s'élargit, plus le choix des chansons en live devient difficile ?

Oh, oui ! Il y a certaines chansons qui sont incontournables : si on ne les jouait pas, le public serait vraiment déçu, comme "Blackbird", "Cry of Achilles" ou "Rise Today". Après, il est certain que nous allons jouer les quatre morceaux de Walk The Sky qui seront sortis en single, "Wouldn't You Rather", "Pay No Mind", "Take The Crown" et "In The Deep". Le public va découvrir ces quatre morceaux en premier, et au fur et à mesure de la tournée, on verra comment ils fonctionnent et on en essaiera d'autres nouvelles chansons. Ce qui est sûr, c'est qu'on va tester en live chacun des nouveaux titres et voir lesquelles marchent bien en concert, pour pouvoir les garder sur la setlist future.

Vos fans français ont hâte de vous voir à l'Olympia le 9 décembre prochain. Vous n'en êtes pas à votre première date parisienne, loin de là. Vos derniers passages par ici ont eu lieu au Download 2017 et à l'Elysée Montmartre à la fin de la même année. Quelle relation avez-vous avec le public français, et as-tu des souvenirs particuliers de vos passages en France ?

C'est vrai qu'on a beaucoup joué ici en France, donc j'ai des souvenirs très variés. Je me souviens d'un concert qu'on devait donner à Paris, et notre tour bus s'est retrouvé bloqué dans les rues alentours, car il était trop large et ça ne passait pas ! On a dû prendre tout notre matériel et le trimbaler à pied dans tout le quartier ! [Rires] Je ne me souviens plus du nom de la salle, mais le concert en tout cas était génial, le public incroyable, et l'équipe technique là-bas était formidable, compte-tenu de ces circonstances assez difficiles. Et puis, bien sûr, on a joué dans cette salle énorme qui ressemble à une grande tente gonflable blanche...

Le Zénith de Paris ?

Oui, c'est ça, le Zénith. Super salle, on y est passé une fois ou deux, c'était vraiment très bien. On a aussi fait le Hellfest , c'est toujours incroyable ce festival !

Le Hellfest, c'est une vraie institution ici !

C'est clair ! Mon Hellfest préféré, c'est l'année où Soundgarden était tête d'affiche. Il y avait Slayer, Soundgarden, c'était énorme ! C'est l'un des meilleurs festivals au monde. Et puis, le public français est vraiment génial. C'est le public qui nous donne envie de passer en France aussi souvent que possible.

Votre relation avec le public a été immortalisée avec plusieurs albums live, dont le dernier est sorti en 2018, lorsque vous avez joué avec un orchestre symphonique dans la salle mythique du Royal Albert Hall à Londres. Cela a vraiment dû êre une expérience extraordinaire.

Cette soirée a été notre meilleure performance avec Alter Bridge, un moment inoubliable, et je suis tellement content que cela ait été enregistré. Je ne sais pas si on refera un jour quelque chose de comparable, mais on peut toujours espérer refaire quelque chose de grandiose comme ça. Moi, j'aimerais mener à bien un projet spécial assez grand, peut-être dans le cadre d'un festival, enfin tout cela reste un rêve. Pour le Royal Albert Hall, cela fait partie des choses que je raconterai quand j'aurais 80 ans et que mes petits-enfants me questionneront sur ce que j'ai accompli dans ma vie. Je leur dirai : j'ai fait ça, et j'en suis fier !

Merci beaucoup de ton temps et de ta disponibilité, Mark. Nous te donnons rendez-vous à l'Olympia le 9 décembre !

Merci, et rendez-vous en décembre.

Entretien réalisé le 21 août 2019.   

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