Entretien avec Neige d’Alcest

A l’occasion de la sortie de leur dernier album, Spiritual Instinct, la Grosse Radio a pu s’entretenir avec Neige, la tête pensante d’Alcest, l'un des représentants les plus influents de la scène rock metal française actuelle. Dans la lignée du précédent album Kodama, Spiritual Instinct s’impose déjà comme l'une des sorties musicales de cette fin d’année 2019. Interview d’un artiste sans concession qui assume pleinement ses choix artistiques. 

Salut Neige et merci de nous accorder cette interview à l’occasion de la sortie de ton nouvel album Spiritual Instinct. Tu as d’ailleurs pour l’occasion signé avec l'un plus des gros labels de l’industrie, Nuclear Blast. Est-ce que tu as ressenti une certaine pression par rapport à cela ? Et cela a-t-eu une influence sur ta musique ?

Oui et non, forcément tu vas te dire que ta musique va être montrée à beaucoup plus de gens et qu’il va y’avoir plus de diffusions. Mais fondamentalement cela n'a pas changé grand chose. En termes d’enjeux, la signature avec le label, c’était surtout la possibilité pour nous d’avoir une plus grande exposition. Par rapport à ma musique, rien n’a changé, vraiment.

Sur cet album, tu restes dans la continuité de ce que tu as pu faire pour Kodama en retournant encore à des racines musicales plus black metal et plus sombres. Bien évidemment, tu gardes toujours ce côté très féerique, lumineux et mélodique du shoegaze propre à Alcest. Mais pourquoi donc, revenir à ce côté plus sombre de ta musique ?

Hé bien, je ne sais pas, je pense que c’est la vie qui a décidé pour moi et que tout s’est fait naturellement En fait, je ne compose pas ma musique de manière cérébrale. Au début de l’écriture d’un album, j’ai toujours vu mon processus de composition comme ça : je laisse venir les choses sans vouloir chercher un certain style ou une direction particulière. C’est au bout du deuxième ou troisième morceau que je commence à voir apparaitre une certaine cohérence, une certaine direction que je vais ensuite pouvoir suivre.

Le fait que l’album soit plus sombre est dû au fait que je l’ai écrit dans une période de ma vie qui était plutôt difficile. J’avais besoin de faire ressortir certaines choses, de manière cathartique.

Qu’est-ce que  tu voulais faire sortir plus particulièrement ? En quoi cette période a-t-elle été difficile ?

En fait, on a beaucoup tourné avec Kodama pendant trois ans et le fait est que je n'ai jamais eu de temps pour moi du tout, en trois ans quoi ! Et du coup, je pense que je me suis un peu perdu en cours de route. Justement j’avais un peu perdu cette connexion avec la spiritualité, avec la nature, le fondement même du projet Alcest en quelque sorte. Et à un moment donné, j’ai vraiment senti un manque hyper violent, je n’étais pas bien, j’avais des problèmes d’anxiété et des insomnies. J’essaye toujours de séparer ce côté assez sombre de ma vie avec mon projet musical qu’est Alcest, mais je pense que dans l’écriture de mon album, c’était le bon moment pour pouvoir un peu croiser les deux. C’est bien de l’inclure dans le package. Mais encore une fois, je pense que c’est quelque chose que tu ne décides pas, ça vient vraiment naturellement. Et finalement, ça se ressent dans tout l’album ce côté sombre.

Peux-tu parler de l’artwork de l’album par rapport à cela ? Que représente ce sphynx ?

C’est Førtifem qui l’a réalisé, un duo d’illustrateur metal. Ce sont les mêmes qui avaient fait Kodama. Je cherche toujours à trouver quelque chose qui soit le pendant visuel de la musique d’Alcest. Et là, le sphynx, c’était vraiment un symbole d’énigme et du mystère. Dans la spiritualité, il y a toujours beaucoup de questions et peu de réponses, contrairement à la religion où les réponses sont pré-machées. C’est d’ailleurs cette recherche de spiritualité qui est le propre de la musique d’Alcest. La spiritualité, c’est une quête qui s’étale sur une vie et à la fin tu n’as pas forcément de réponse. Je trouve que c’était une belle métaphore.

D’ailleurs tu essayes un peu de faire ressortir ça dans tes clips, comme avec celui de "Protection"…

Oui j’essaye de faire ressortir de la cohérence aussi dans la réalisation des clips. L’idée c’était d’avoir une danse assez violente où tu vois une sorte de conflit intérieur. Il y a deux opposés qui se rencontrent, un côté plus énervé, angoissé avec un autre côté plus lumineux et spirituel.

En parlant plus particulièrement du style musical de l’album, on voit un peu une certaine tendance de rock et de metal progressif dans Spiritual Instinct. Alcest est d’ailleurs devenu très populaire dans cette petite sphère des « progueux ». Est-ce que donc par hasard, tu aurais développé des goûts spécifiques pour la musique progressive ? Y’a-t-il eu une volonté de ta part d’inclure du metal progressif ?

J’aime bien Tool quoi…  Après je ne connais pas vraiment le prog. Je ne viens pas vraiment du prog à la base, mais j’aime bien Tool. C’est vrai que mes chansons à moi sont des chansons plutôt longues, des morceaux de dix minutes. Après je pense que les gens parlent de prog maintenant, mais c’est peut-être plus par rapport aux riffs metal qu’aux structures finalement (Ndlr : référence au riff à la Tool de "Sapphire" ou les power chords des "Jardins de Minuit" notamment). C’est vrai que dans la production de l’album, ce type de riffs est beaucoup plus présent et que c’est plus massif je dirais. Mais pour répondre à ta question, non il n’y a rien de conscient, je ne me suis pas dit que je voulais faire un album de prog.

Et tu l’as trouvé comment le dernier album de Tool ?

Je ne l’ai pas encore écouté, mais bon il doit être plutôt long nan ?(Ndlr : Une heure et demi). Tool typiquement, j’aime bien écouter trois, quatre morceaux et après je décroche.  Là c’est carrément trop long. Moi, mon format de prédilection c’est quarante minutes, deux fois vingt minutes, deux vinyles, ça me va très bien. (Ndlr : Et six chansons !)

Sur cet album tu as fait une version un peu spéciale de "Sapphire" avec Perturbator (Ndlr : morceau présenté en live dans le cadre du festival Red Bull Music il y a quelque semaines). Comment es-tu arrivé à faire une telle collaboration ?

Cela fait déjà quelques années qu’on se connait et on est fan de nos projets respectifs. Et puis il y a ce concert qu’on va faire au Trianon, le truc du Red Bull où on a dû préparer un set collaboratif. Et c’est pour ça qu’à la même occasion, on lui a demandé s’il pouvait aussi faire un remix studio du morceau qu’il allait faire lors du concert. Et c’est ce qu’il a fait et c’est trop bien. Je voulais que le morceau ait un côté electro, goth. Et il a vraiment poussé à fond son remix dans cette direction pour le coup.

Serais-tu tenté par un album 100% électro juste pour voir ?

J’adorerais, même si je ne sais pas si j’aurais les compétences pour, à moins peut être de travailler un an ou deux avant de me lancer dans un truc comme ça.

Je sais que tu es un grand fan de Massive Attack notamment, tu le ferais dans ce genre-là ?

Oui, entre autres ! En vrai, je suis attiré par toutes les sonorités possibles de l’electro. Il y’a beaucoup d’artistes rock et metal qui aiment ça parce qu’on est vraiment habitué à entendre que des riffs de guitare. Et à côté de ça, l’electro c’est vraiment super rafraichissant. Ca change. Mais peu de gens savent le faire pour revenir à ta question. Passer du metal à l’electro, ce n’est pas évident du tout.

Pour changer de sujet, parlons de tes textes, très travaillés et poétiques depuis tes débuts. Tout simplement, as-tu des influences littéraires particulières ?

Oui plus ou moins, mais c’est toujours les mêmes finalement. Je n’ai pas beaucoup le temps de lire, donc mes influences c’est ce que je lisais au collège-lycée en fait. Donc Baudelaire, Verlaine, les grands classiques. Mais des poètes plus contemporains, je n’en connais pas beaucoup malheureusement.

C’est vrai qu’il y a quelques influences et des images de la poésie du XIXème dans tes textes parfois. On pouvait se demander si c’était le fruit d’une relecture un peu fréquente…

C’est vrai que j’en ai vraiment beaucoup lu, mais bon, je n’ai vraiment pas la prétention de faire de la poésie. Je ne vais pas me comparer à Verlaine, surtout pas ! Mais ça m’a clairement influencé.

Si on revient à ton album et des chansons comme "Sapphire" ou "Spiritual instinct", tu as même incorporé des éléments de langage imaginaire. Pourquoi ce choix et comment as-tu créé cette nouvelle langue ?

C’est marrant cette question, c’est la deuxième fois qu’on me la pose aujourd’hui. En fait ce qui se passe quand tu fais ta démo et que tu cherches tes lignes de chants, c’est que tu vas faire, disons-le grossièrement, du bla-bla, pour trouver des notes. Sauf que beaucoup de personnes vont remplacer ça par des paroles. Mais moi, j’ai préféré garder le bla-bla. Par contre j’essaye de faire sonner ça comme une vraie langue et pas juste faire lalala. Et c’est plutôt drôle puisque plein de gens demandent quelles sont les paroles, alors qu’il n’y a pas de texte en fait.

Plus généralement, tes paroles semblent permettre cette connexion spirituelle autant que ta musique. Par contre, et ça s’entend peut-être encore plus en live, il est difficile de percevoir les paroles de tes chansons. Pourquoi un tel parti-pris ? 

Oui tout à fait, rattacher ma musique aux mots rend vraiment la musique plus terre à terre, mais certaines paroles en français permettent aussi de contribuer à transmettre quelque chose d’émotionnel.

Et c’est clair qu’en live, je fais en sorte d’articuler le moins possible pour transmettre un une atmosphère un peu mystérieuse autour de mes paroles. Je ne supporte pas le côté franco-français de certaines chansons. Je ne veux pas que quand on pense à Alcest, on pense à un truc super français avec du texte qui t’arrive en pleine face comme ça, un peu comme Indochine en fait. C’est surtout que le français est une langue super dure à utiliser. Si tu ne veux pas que ça ne soit pas ridicule, il faut que ça soit un super texte, soit camoufler tes paroles, et surtout dans le rock. Dans la chanson française, c’est différent par contre. C’est que du texte et c’est pleinement assumé. Mais pour ce qui est du rock et du metal français, il faut faire attention quoi. Il y a des trucs aujourd’hui un peu hyper produits…

Finalement, lorsqu’on fait écouter du Alcest à des gens qui ne connaissent pas il y a toujours un côté très accessible dans ta musique. Est-ce que finalement, Alcest ne serait-il pas finalement un tremplin vers de la musique plus élaborée pour des personnes qui viennent de découvrir le rock ou le metal ?

C’est vrai que ça reste accessible, les mamans aiment beaucoup Alcest par exemple (rires). Ca me fait marrer cette théorie que tu racontes. Peut être, après ça reste de la musique quand même très sous-mixée, les morceaux sont longs, donc je ne dirais pas que c’est une musique que tu écoutes comme ça. Ca parle vraiment de trucs hyper sérieux. Je le fais malgré moi, c’est ce qui doit sortir et c’est comme ça.

Pour l’enregistrement, tu as dit avoir enregistré sur des bandes analogiques à l’ancienne. Pourquoi ?

Oui, ça vient d’un commun accord entre le groupe et le producteur. On avait déjà fait la batterie sur bande pour Kodama, et on s’est dit que pour l’album suivant, on ferait tous les instruments sur bande. Et c’est vrai que ça apporte un petit quelque chose au niveau du son et c’est une démarche différente parce que tu ne peux pas couper une prise au milieu, il faut faire des prises complètes. Du coup, ça prend plus de temps et c’est pénible parfois. Mais au moins, tu n’as pas un écran et tu n’as pas l’impression de faire ça sur un ordi. C’est vraiment une machine qui enregistre ce que tu fais. Mais ça donne vraiment un côté authentique lors de l'enregistrement. L’inconvénient c’est que ça prend vraiment beaucoup de temps.

Pour revenir au label, tu vas peut-être avoir plus de moyens pour tes prochaines tournées. Vas-tu rajouter des éléments plus sons et images pour tes sets ?

Oui, c’est vrai que maintenant, les gens ont vraiment plus d’attente par rapport au son et images. Ils ne veulent plus voir un groupe qui joue comme ça. Ils veulent voir des groupes comme Ghost ou Behemoth qui ont un visuel un peu ouf. Nous, on a toujours négligé un peu ce côté visuel, mais on va essayer de changer ça pour la prochaine tournée. On avait un peu essayé des choses sur la deuxième tournée de Kodama, avec de la fumée et des visuels rouges, mais ça restait quelque chose de vraiment simple.

Comment ta dernière tournée de Kodama a-t-elle été reçue d’ailleurs ?

C’est celle où on jouait avec Vampillia il me semble. On jouait même Kodama en entier il me semble. C'est fou, je crois que je ne me rappelle déjà même plus ! Je pense que les gens ont vraiment beaucoup aimé, puisque c’était la deuxième fois qu’on tournait pour promouvoir l’album. Les fans se l’étaient approprié. C’est aussi vraiment là qu’on s’est rendu compte que notre communauté avait grossi, et surtout en France. Bizarrement, on a eu beaucoup de mal à démarrer ici et se faire un public chez nous en France, alors qu’on arrivait à tourner à l’étranger aux US et même en Chine vraiment facilement. Mais maintenant, on a beaucoup de fans ici, et peut-être même plus qu’ailleurs.

Pour finir, parlons de tes fans. En effet, vous jouez toujours dans des petites salles et quand on suit Alcest sur les réseaux sociaux, on voit que tu as des fans un peu éparpillés dans le monde, tels des microcosmes. Comment vois-tu ta communauté et comment réagis-tu par rapport à ça ?

C'est exactement ça. Et c’est hyper bizarre en fait, tu vois qu’il y a des fans d’Alcest. Il y a des filles, elles ont les cheveux bleus, on dirait des elfes modernes. Certains ont fait des tatouages, des tatouages Alcest, des trucs de malade ! Mais ça fait hyper plaisir. Comme tu le dis, on joue dans des salles de taille moyenne, on est très loin de remplir des stades. Nous si on devait retenir une seule chose de nos tournées, ce sont les pays, et les gens qu’on a rencontrés. On a fait l’Amérique du Sud, la Colombie, Bogota, deux jours, et c’était comme tu as pu l’imaginer, un dépaysement total. Tu ne te sens pas hyper en sécurité, mais bon, le public était génial. J'ai aussi le souvenir d'une de nos premières tournées aussi en 2011 en Chine. C'est typiquement là que tu te retrouves dans des bleds en Chine que tu ne connais pas. C’est une expérience vraiment incroyable.

Spiritual Instinct, déjà disponible chez Nuclear Blast.

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