Mikael Stanne, chanteur de Dark Tranquillity

Et de 10 ! Construct est le dixième bébé des suédois de Dark Tranquillity, grands parrains du death mélodique si populaire du côté de Göteborg et qui a inspiré tant de groupes depuis 20 ans. 20 ans, c'est d'ailleurs l'âge du groupe, ou comme un air de maturité et de gravité au moment d'entamer un nouveau départ représenté par ce nouvel opus prévu le 27 mai 2013 chez Century Media. Et c'est son chanteur parolier Mikael Stanne qui nous a accordé un entretien fort passionnant, revenant ainsi sur les tenants et aboutissants d'un disque plutôt singulier.

Ju de Melon : Tout d'abord Mikael, parlons du titre de l'album. Assez simple et direct puisqu'il tient en un seul mot : Construct. Y a t-il une signification raison derrière cela ?

Mikel Stanne : Oui, disons que ce mot représente en gros ce que les gens imaginent et transforment en leur propre réalité, certaines choses qui les font avancer ou qui donnent une signification à leur vie ou à ce qu'ils aiment, comme la foi par exemple. Sauf que j'utilise ce mot dans un sens plutôt négatif et péjoratif car ce n'est pas ainsi que je conçois les choses. J'aimerais que ce monde dans lequel nous vivons soit plus rationnel, et c'est ce dont parle l'album : qu'il se fie plus à la science et à la raison plutôt qu'à ces croyances imaginaires qui aveuglent les gens. C'est malheureux de voir qu'aujourd'hui l'être humain se laisse souvent avoir par ces choses irrationnelles au lieu d'essayer de comprendre les faits. Il suffirait de plus réfléchir mais la plupart des personnes choisissent le chemin le plus simple, ce qui n'est pas forcément une bonne chose. Voilà pourquoi le monde souffre de nos jours selon moi.

Pour beaucoup la pochette est assez étrange et sombre. Est-elle censée transmettre ce message particulier plutôt pessimiste ?

Oui, exactement. Je vais te raconter son histoire d'ailleurs. Comme c'était le cas pour We Are the Void, je m'étais mis en quête d'un artiste pour la pochette, Niklas notre guitariste (qui avait fait les précédentes) n'ayant plus trop de temps ou d'envie pour les faire. Je voulais donc quelque chose de spécial, de sombre, même si je n'avais pas de titre en tête à l'époque. Quand le nom de l'album m'est venu, j'en ai parlé à Niklas et je lui ai expliqué ce que je voulais pour la cover, et là il a été soudainement emballé : il s'en est donc chargé lui-même. Il a travaillé toute la nuit dessus et, quand je me suis réveillé, il m'a présenté le dessin de fond. C'était très instinctif de sa part et ça m'a de suite plu. Puis il fallait marquer le coup pour le dixième album, le début d'une nouvelle ère avec une nouvelle production et un nouveau logo, il fallait quelque chose de frappant et direct.

Dixième album, et c'est donc pour cette raison que la dixième croix est cochée sur cette fameuse pochette ?

Yep, c'est aussi simple que cela ! (rires)

Dark Tranquillity Construct 2013 interview Mikael Stanne

Parlons de Construct et de sa... construction. Il semble comme coupé en deux : cinq premières chansons plus axées pour les fans, cinq dernières plutôt novatrices. Que penses-tu de cette réflexion ?

Oui, c'est pas bête ! Il y en effet une certaine progression qui s'opère tout au long de l'album, et c'est vrai aussi que par exemple je me suis concentré sur différents aspects au niveau des paroles entre ces deux parties. Tout d'abord je parle plus des tourments que je mentionnais en préambule, ce monde qui croit en des choses imaginaires, puis dans un deuxième temps j'explique plus comment cela peut nous affecter personnellement en tant qu'être humain sur nos relations avec les autres, sur cette honnêteté que l'on se doit d'avoir avec ses proches et qui se perd de plus en plus à cause de ces chimères et artefacts. Le genre de chose qui m'attriste le plus d'ailleurs.

Serais-tu d'accord pour dire qu'on ressent une touche de Projector (NDLR : album plutôt singulier du groupe paru en 1999) sur cet opus ?

Dans un sens oui, et cela est à mettre en corrélation avec le fait que l'album ait été enregistré d'une façon totalement différente. Il a été écrit et finalisé directement dans le studio où le trio Niklas Sundin-Martin Brändström-Anders Jivarp a apporté la plupart des idées niveau compositions. Je pense que ce nouvel album est en quelque sorte une réponse aux deux précédents opus, comme Projector l'a été pour The Gallery et The Mind's Eye, c'est à dire une envie de rompre une certaine routine et une éventuelle lassitude qui aurait pu s'installer si on avait poursuivi avec les mêmes habitudes. We Are the Void nous avait pris énormément de temps, une certaine frustration s'était installée car nous avions mis du temps à nous mettre d'accord sur les chansons, il fallait donc envisager les choses d'une façon totalement différente avec Construct. Pour ce nouveau CD, nous nous sommes donc mis aucune pression et laissé entre nous une totale liberté. Nous avons écrit chaque chanson sans se mettre en tête qu'un album devait être réalisé, nous y sommes allés un peu au jour le jour. Au final, nous avons mis nos colères, nos frustrations et notre part sombre dans la réalisation de cet album, chacun d'entre nous en avait besoin je pense. Peu importe au final s'il ressemble ou non à Projector, disons qu'il a surtout quelques similitudes avec ce dernier dans sa confection.

C'est ce que Niklas Sundin avait déclaré, le fait que l'enregistrement se soit fait de façon plus rapide que d'habitude... une façon plus dynamique de travailler ?

On a quand même passé 6 mois en tout à réaliser cet album de A à Z, mais comparé à d'habitude c'est deux fois moins de temps ! On a été bien plus efficace dans notre façon de travailler, on s'est fait pleinement confiance entre nous sans s'imposer quoique ce soit. Une fois les bases établies, chacun a aidé à la construction de chaque morceau et ce en toute simplicité, tant est si bien que je ne me suis jamais aussi bien senti au moment d'écrire et d'enregistrer mes parties vocales.

On peut aussi dire que, après un We Are the Void bien direct, Construct propose bien plus de chant clair et d'éléments electros avec une touche émotionnelle plus marquée. Allez-vous continuer dans cette direction pour vos prochains albums ?

Franchement au jour d'aujourd'hui je dirais oui, très certainement, car on a vraiment pris du plaisir à travailler ainsi. On en a d'ailleurs un peu parlé ensemble et c'est vrai que là nous n'avons pas envie d'attendre des années avant de réaliser un autre album ! Mais au final cela dépendra surtout de notre humeur au moment de ré-attaquer un nouveau processus d'écriture.

Parlons de quelques chansons de l'album. Le morceau "Apathetic" a un côté thrash mélodique pas forcément habituel dans Dark Tranquillity. Exprime-t-il une rage particulière dans ses paroles et son histoire ?

C'est la première chanson que nous avons mis en place et écrite, que ce soit musicalement ou au niveau des paroles. J'avais besoin de lâcher beaucoup de colère à ce moment là, le groupe était dans les mêmes dispositions et nous voulions un peu lâcher les chevaux afin de sortir de ce carcan dans lequel nous nous sentions un peu à l'étroit. Nous avions besoin de reprendre confiance en notre musique. Elle a donc été réalisée à un moment où on se demandait si on était encore capable de composer de bonnes choses, on s'interrogeait même sur les raisons pour lesquelles nous faisions de la musique. "Apathetic" nous a donc permis de sortir de cet état d'esprit, toute cette frustration du moment a en quelque sorte été expulsée au moment de sa confection.

La conclusion "None Becoming" est profondément sombre et hypnotisante... terminer l'album ainsi est un signe fort, une volonté et un choix délibéré peut-être ? Sous-entendu l'homme n'est rien à l'échelle de l'univers ?

En quelque sorte c'est l'idée, nous sommes bien peu de chose au final. C'est un message pour l'être humain, pourquoi autant se centrer sur sa petite personne alors qu'au final nous n'existons que l'espace d'une fraction de milliseconde à l'échelle de l'espace temps ? Techniquement, nous sommes plutôt inutiles et quoique nous faisons ne changera rien à l'ordre établi des choses, nous ne faisons que passer. Et tu vois, cette idée ne me fait pas peur, je l'accepte, je me concentre juste sur les choses que j'ai à faire pour vivre la meilleure vie possible et aimer mes proches, c'est tout ce qui compte. Je sais que beaucoup ont peur de la mort et de ses conséquences, et ça revient à ce que je disais tout à l'heure : ils s'appuient sur des concepts imaginaires afin de se rassurer. Voilà le genre de choses que j'ai du mal à comprendre et qui m'énerve, et auxquelles j'ai été confronté l'an passé, c'est ce qui m'a d'ailleurs donné encore plus envie d'écrire sur le sujet. Au final, exprimer ce que je ressens, le crier à travers nos chansons, ça m'appaise ! (rires)

Quelles sont les paroles te tiennent le plus à coeur parmi les 10 morceaux de l'opus ?

Quelle question compliquée (rires) ! C'est le genre de chose qui varie chaque jour donc je ne saurais trop te dire.

Un mot sur tes souvenirs en studio pour l'enregistrement de cet album, meilleurs que d'habitude j'imagine ?

J'étais comme un poisson dans l'eau, surtout que j'ai utilisé un micro différent que je pouvais tenir en main et avec lequel je pouvais être mobile. Pas comme d'habitude où t'es obligé de rester debout derrière comme un piquet ! Du coup ça m'a permis d'exprimer encore plus facilement ce que je voulais avec ma voix.

Et au niveau de la production, comment cela s'est déroulé ?

Nous l'avons plus ou moins produit entre nous, comme souvent, mais cette fois-ci nous avons été supervisé par Jens Bogren qui est venu nous épauler le premier jour des enregistrements et qui a ensuite mixé le tout une fois les prises terminées. Son apport a été plus que bénéfique car une fois sorties du studio les chansons n'avaient véritablement aucun mix professionnel et peu de profondeur. Il a fait un super boulot, ça faisait des années que je voulais travailler avec lui donc je suis heureux de cette collaboration.

Daniel Antonsson a récemment quitté le groupe, mais aucun nouveau bassiste n'a été annoncé depuis. Quels sont les plans à ce niveau notamment en vue des prochains live ?

Nous avons quelques idées mais je ne pense pas que nous allons engager un membre à temps complet pour l'instant, nous allons plutôt demander à des amis afin de voir qui serait prêt à tourner avec nous sur les prochaines dates. Il faut qu'un certain feeling s'installe avec un nouveau membre, et je ne pense pas que ce soit le meilleur moment pour l'instant.

Quid de la prochaine tournée justement ? Et notamment d'un passage en France, car certains fans ont été tristes de l'annulation de la date prévue en décembre dernier à Paris...

Après quelques festivals cet été et une tournée aux Etats-Unis en septembre, je pense que nous débuterons la tournée européenne autour du mois de novembre et celle-ci durera jusqu'au début de l'année 2014. Bien sûr que nous reviendrons en France, nous avons dû annuler la précédente date car nous avons eu quelques problèmes avec le promoteur de la tournée et au final cela nous a permis d'avancer l'album plus rapidement que prévu. Ainsi Construct a pu sortir avant l'été !

En grand nom du death mélodique, quel regard portes-tu sur l'évolution de ce genre après 20 ans de carrière ?

Je ne sais pas trop, bien sûr je suis fier d'avoir contribué à démarrer un tel mouvement qui a inspiré pas mal de gens. Après il y a de tout, certains groupes ont su tirer le meilleur de notre inspiration, d'autres se sont un peu pris au piège à vouloir trop nous ressembler. Tout est une question d'identité et de style ! En tout cas, cela nous a ouvert pas mal de portes avec le temps, mais nous sommes restés fidèles à ce que nous avons toujours voulu faire, à savoir créer et jouer la musique qui nous plait. Et si les gens apprécient aussi, c'est tant mieux !

D'ailleurs, un tel anniversaire peut laisser imaginer bien des choses. Un nouvel album live ou DVD par exemple ?

Nous n'avons pas encore décidé quoi faire mais je pense qu'il y aura quelque chose. En ce qui concerne le DVD, je ne pense pas, mais on ne sait jamais !

Mikael Stanne interview 2013 Construct Live

Tu es une des plus grandes bêtes de scène du metal. Que représente ce public que tu sembles tant aimer ?

Le plus dur est de lui rendre accessible ces chansons sérieuses qu'on a écrites avec un état d'esprit particulier, les sortir de son système et en faire un divertissement énergique pour ceux qui ne comprennent pas forcément les paroles ou l'histoire. Dès fois je croise des gens qui saisissent la portée de ces textes et c'est comme un soulagement pour moi, je dois te l'avouer (rires) ! Pour moi, un concert ce n'est pas seulement être debout devant des gens, c'est un partage, observer leur réaction et palper cet échange d'adrénaline entre le public et le groupe. C'est ça qui me rend heureux de tourner, du coup c'est très dur quand nous avons un day off car tu t'habitues à cette force, c'est un peu comme une drogue. En quelque sorte c'est effrayant mais c'est ce qui nous fait vivre. Parfois c'est difficile, c'est vrai, lors de ces longs trajets entre deux dates dans un tour bus pas forcément toujours calme... mais tous ces inconvénients sont oubliés à la seconde même où tu montes sur scène. Du coup quand la tournée s'arrête, il y a comme une dépression qui s'installe en moi, il me faut un certain temps pour revenir à la réalité des choses.

Un dernier mot pour les fans français ?

Je suis toujours ravi de jouer en France, le public nous y est très favorable ! Donc je vous dis à bientôt sur scène et d'ici là écoutez bien notre nouvel album.

  

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