Entretien avec le guitariste Steve Vai à  Lille

Avant son beau concert au théâtre Sebastopol à Lille, La Grosse Radio a eu la chance de pouvoir interviewer le maître. Au sommaire de cette interview fleuve, vous trouverez notamment :

- comment Vai compose ?
- ses modèles en musique
- ses diverses collaborations avec Devin Townsend, Frank Zappa...
- ses dernières découvertes musicales
- ce qu'il pense de l'album en tant que format artistique
- comment il gère tout type de critique
- les portes étendard de la guitare électrique selon lui

Steve, prépare toi pour ce qui est peut être la question la plus inutile qu’on t’ait posée : Comment peut-on jouer aussi si bien ?

[rires] Eh bien, c’est une question relative, parce qu’il y a différents points de vue sur ce que veut dire "bien". Si tu fais allusion à ma technique, et que tu la classifies comme "bonne", le mieux que je puisse te dire, par rapport au fait que ma technique est comme elle est aujourd’hui, c’est que je n’ai pensé qu’à ça toute ma vie !! Et j’ai énormément travaillé. La guitare n’est pas quelque chose de naturel pour moi, j’ai du énormément m’entraîner. La musique est plus naturelle pour moi, mais, concernant la guitare, ça a été un combat. Et d’ailleurs, c’est toujours le cas : chaque jour, je me bats encore ! [sourire]

Quelle est ta manière de travailler lorsque tu écris de la musique ?

Elle n’est pas fixe, elle peut varier. D’ailleurs, j’essaye de ne pas me limiter à une seule manière de composer. En fait, ma manière de composer est probablement la même que la plupart des compositeurs. Une manière de faire est d’entendre quelque chose d’un musicien ou d’un style que tu apprécies, et ça t’inspire. Je peux avoir écouté de la musique bulgare ou celtique, et cela va m’inspirer pour écrire quelque chose qui aura des textures de ces musiques. Une autre manière de composer est de prendre ton instrument, jouer, et voir ce qui se passe. Parfois, une petite mélodie va en ressortir, et qui me plaira, et dans ce cas je l’enregistre. Parfois, tu vois des choses dans la vie qui t’inspirent dans la création d’une chanson. Ca peut être une phrase, comme "The Story of Light", et tu utilises cette phrase comme un tremplin pour créer d’autres choses. Mais, pour moi, toute forme d’inspiration est issue du fonctionnement de l’esprit. La conscience a un potentiel infini, ce qui signifie qu’elle vient dans ce monde de manière infinie. Tout ce que tu vois dans cette pièce est issu de l’inspiration de quelqu’un : ces vitraux, quelqu'un s’est dit : "tiens, je vais peindre des carreaux", ce téléphone, ma guitare, tout !  Et même nous, d’ailleurs. Tout être vivant est issu de cette conscience, qui aime jouer et créer. Lorsque tu te sens inspiré, l’esprit est un bon outil pour créer quelque chose dans le réel.  Donc voici une réponse très ésotérique à une question qu’on me pose tous les jours ! [rires]

Est-ce que tu as toujours des modèles sur la manière de créer et gérer ta musique ?

Oui, il y a des personnes qui m’inspirent de différentes manières. Quand je vois quelqu’un qui fait quelque chose d’original et frais, ça m’inspire. Un de mes artistes préférés est Tom Waits. Ce qu’il fait est vraiment puissant. Il y a aussi Frank Zappa, et d’autres grands compositeurs que j’admire. Toutes ces personnes m’inspirent et m’encouragent à trouver ma propre personnalité musicale.

Qu’est-ce que ça te fait d’être considéré comme un musicien de référence par tant de monde ?

C’est toujours un honneur extrêmement gratifiant d’être reconnu pour son travail. Car, nous travaillons tous dur. Et nous avons tous envie que notre travail soit validé. Car c’est ce que font les artistes, ils créent pour que d’autres apprécient cette création. C’est d’ailleurs pour ça qu’un artiste peut être passionné et névrosé, parce que quand tu crées quelque chose, tu as l’impression que c’est toi. Ou en tout cas une réflexion de ton être. Et quand tu dévoiles cette création au monde, elle a tendance à être appréciée ou ne pas être appréciée. Ta création peut être aimée ou détestée, et en général, les deux à la fois.  Donc un artiste peut être très sensible, car son travail est mis à disposition de la critique. Donc on peut parler de toi comme quelqu’un de brillant ou, au contraire, comme si tu étais un poseur, parfois même jusqu’au point qu’on dise que tu n’aurais même pas du naître ! J’ai lu des gens qui disent ça de moi. Donc tu me demandes comment je ressens le fait qu’on me qualifie de "ça", "ça" ou "ça". Mais même les plus grands artistes de tous les temps se font critiquer. Donc tu devrais aussi poser la question "qu’est-ce que ça te fait quand on te critique ?" Et pour moi, la seule manière de s’en sortir est de n’être affecté par aucun des deux aspects ! Car si tu es affecté par l’un, tu es nécessairement affecté par l’autre. Je fais ce que j’aime et qui me paraît naturel, et je me sens privilégié d’avoir cette possibilité. La manière dont mon travail est perçu n’est pas de mon ressort. Donc quand je lis quelque chose qui est très positif, je dis "Oh, c’est très intéressant !", et quand je lis quelque chose qui est épouvantable, je dis "Oh, c’est très intéressant !" [rires] Comment faire autrement sans péter un plomb ? Je n’ai pas toujours été respecté comme aujourd’hui !

 

Steve Vai, interview, français, 2013,

Avec les changements majeurs qui ont touché l’industrie de la musique ces dernières années, certains disent que l’album, en tant que format, n’est plus approprié aujourd’hui. Qu’en penses-tu ?

Il est totalement approprié ! Les personnes qui disent ça essayent de réfléchir à l’avenir, peut être ? Mais… Les gens achètent toujours des albums !! Ils achètent des cd, téléchargent des albums complets, donc c’est un format approprié. Peut être que dans le futur, il sera moins approprié, jusqu’à peut être devenir inapproprié. Mais, pour moi, c’est peu probable, car il y aura toujours des gens qui aimeront l’idée d’acheter un ensemble de chansons choisies par un artiste pour créer un ensemble artistique cohérent. Donc en fait, cette affirmation n’est vraie que de la perspective des personnes qui pensent cela. Forcément, pour les personnes qui n’achètent pas d’albums, ce format n’est pas approprié ! S’ils préfèrent acheter des singles, tant mieux pour eux ! Moi, ce n’est pas ce que je préfère ! [rires]

L’année dernière, avant ton concert à l’Olympia, la sono de la salle diffusait Epicloud de Devin Townsend. Est-ce que c’est de ton fait ?

Tout à fait, je l’ai donné à mon ingé-son pour qu’il le joue avant les concerts !  [sourire]

Donc, ça veut dire que tu continues de suivre activement sa carrière ?

Absolument, j’aime vraiment sa musique. Je trouve qu’il est brillant. Il est vraiment passionné dans ce qu’il fait, il est extrêmement créatif, il est inspiré, et j’adore entendre ses multiples façons de s’exprimer. Pour moi, chacune de ses chansons a quelque chose de particulier. Et j’apprécie particulièrement son dernier album, Epicloud.

Est-ce que tu vois une possibilité de collaborer à nouveau avec lui dans le futur ?

Tu sais, beaucoup de gens me demandent avec qui j’aimerais travailler, vivant ou mort ! [avec un air cynique]

Et… J’aimerais travailler avec Devin. Ca serait très différent de la dernière fois, sur l’album Sex & Religion. A l’époque, c’était encore un gamin, un ado ! J’avais une vision très forte de l’album, et je ne recherchais pas vraiment la collaboration ! Le groupe n’était pas une démocratie. Et en un sens, il était piégé. C’était mon travail, et je lui disais comment il devait chanter. Ceci étant dit, il a tout de même contribué au travail, il a apporté son intensité d’interprétation, sa voix, et sur certaines chansons, je lui ai laissé un peu plus de marge de manœuvre. Mais je voulais un chant spécifique, des paroles spécifiques. En un sens, il a été une sorte d’outil. Et ça a été très frustrant pour lui. Mais, je pense qu’il ne s’était pas encore trouvé, artistiquement parlant. Et moi non plus d’ailleurs ! Je savais qu’il avait quelque chose, mais je n’avais pas réalisé à quel point ! Je pense que ça a tout de même été une bonne opportunité pour lui d’apprendre des choses qu’il ne connaissait pas. Des choses comme le travail en studio, la production, tourner et aussi tourner comme nous le faisions… C’est ce qu’il a retiré de cette expérience, je pense. Mais il était tout de même comme un oiseau rare, dans une minuscule cage.

 

Steve Vai, interview, 2013, français,

Cette année, le troisième album solo de Mattias Eklundh est sorti sur ton label, Favored Nations. Que penses-tu de Mathias ?

Il fait partie de ces artistes qui sont vraiment à fond dans ce qu’ils entreprennent.  Il adore la découverte, l’expérimentation. Il adore être bizarre en fait, et il a vraiment trouvé sa voie, sa touche personnelle. Mattias est très marrant, et vraiment charmant ! Il y a un public pour ce genre d’artistes : Mattias Eklundh, Guthrie Govan, Tosin Abasi … Ce sont ces artistes qui repoussent les limites de la guitare aujourd’hui.  J’ai invité Herman Li sur scène l’autre jour, et je le regardai jouer et je me disais « Mon dieu ! C’est fascinant ! » Ces gars-là sont vraiment incroyables ! Il y a peu de temps, je regardai une vidéo de Guthrie Govan sur Youtube, et ce qu’il fait est vraiment beau. Leur niveau de contrôle et de technique est très impressionnant. Il y avait un temps où j’étais à leur place, mais les temps changent, comme tout le monde pouvait légitimement l’espérer, et d’autres ont pris cette place ! C’est génial de voir qu’il y a toujours des personnes qui sont fascinées par le fait d’aller toujours plus loin dans l’exploration de l’instrument. Personnellement, ça m’inspire, mais je ne vais plus dans cette direction, j’ai décidé d’explorer autre chose.

Est-ce qu’il y a un groupe, vieux ou récent, qui a attiré ton attention cette année ?

[il réfléchit longuement] En général, les choses récentes que j’écoute sont ramenées à la maison par mes enfants, mon fils aîné notamment. Il adore toute cette nouvelle école de métal progressif, avec des groupes comme Chelsea Grin ou Iwrestledabearonce. C’est presque du art-metal ! Je suis vraiment fasciné par ce genre de musique. Il y a toute cette nouvelle scène de metal progressif underground, qui joue avec des guitares à sept ou huit cordes, avec un accordage bariton. Ca décoiffe ! [rires]

Mais si tu me demandes de te nommer quelqu’un qui serait vraiment différent, créant des tapisseries sonores et des paysages musicaux nouveaux, qui réinventent le rock ou métal contemporain, je dois te répondre que je n’ai encore rien entendu de tel. Et personne ne l’a fait depuis un certain temps, ce qui veut dire que… Ca va probablement arriver bientôt ! Et j’ai vraiment hâte d’écouter ce que ça donnera. [sourire radieux]

Es-tu toujours en contact avec David Lee Roth ?

Non, pas vraiment.

Donc je suppose que tu ne vas pas réécrire d’album de hard rock à l’ancienne ?

Il ne faut jamais dire jamais. Il m’arrive d’être en contact avec David occasionnellement, nous sommes en bons termes. Mais je ne projette pas de refaire un supergroupe. J’ai déjà fait tout ça. C’était sympa de faire ça et de vendre pleins d’albums, mais ce n’est plus vraiment ce à quoi je m’intéresse aujourd’hui. Ceci dit, si la bonne situation se présentait, je ne dis pas que je ne serais pas intéressé !

 

Qu’est-ce que tu retiens de cette période de ta vie d’artiste où tu n’étais pas le patron à bord ?

Eh bien, ça avait ses avantages. Par exemple, quand j’étais avec Frank, j’étais focalisé sur un objectif précis : jouer sa musique le mieux que je pouvais, pour que ça soit acceptable selon lui. Et ça avait son lot de facilité, car je devais seulement me concentrer sur ça. Je n’avais pas à me renseigner sur les ventes des billets pour les concerts, les budgets… J’avais une vie très simple, finalement.  Et quand j’ai joué avec David ou Whitesnake, mon travail consistait à contribuer à ces groupes d’une manière appropriée, mais aussi ajouter ma touche personnelle. Et ça aussi, c’était très libérateur, parce que je n’avais pas besoin de m’occuper de recruter des musiciens, virer des musiciens, et tout ce qui en découle. Aujourd’hui, mes objectifs ont changé : je fais tout pour rester un artiste indépendant. Et il y a beaucoup plus de responsabilités, car il y a toutes ces facettes de ta carrière dont tu dois t’occuper : est-ce que ton site fonctionne correctement, est-ce que l’album est distribué correctement… Donc il y a beaucoup plus de choses à gérer. Mais l’avantage de ça est que c’est ma musique, et je fais ce que je veux. Maintenant, je vais donner un conseil aux artistes qui pourraient lire cette interview, et qui se demandent en quoi faire ce genre de travail pourrait apporter quelque chose à leur carrière : Ce n’est pas ce que vous faites qui compte, mais comment vous le faites, et comment vous le considérez. Si vous vous dites : « Ah, je déteste ça, j’ai envie de faire autre chose », eh bien, vous aurez probablement cette attitude peut importe ce que vous faites. Mais si vous vous dites « Ok, je fais ça maintenant. C’est mon boulot, donc je vais faire de mon mieux. Ce n’est pas ce que j’ai envie de faire de manière permanente, mais je termine ce que j’ai commencé, pour ensuite aller vers autre chose ».

Que penses-tu que de jeunes musiciens peuvent apprendre de Frank Zappa et son héritage ?

L’indépendance. Car Frank était très indépendant. Il était dans l’instant, il était présent. Quand Frank avait une idée, il l’exécutait, sans aucune excuse ni attendre de quelqu’un qu’il le fasse pour lui. Et quand il sentait qu’il devait faire ou dire quelque chose, il le faisait.

Le 25ème anniversaire de Passion and Warfare approche. Est-ce que tu penses faire quelque chose de spécial pour fêter ça ?

C’est marrant comme le temps passe vite ! Je n’y avais même pas pensé ! Je ne sais même pas quand ça va tomber.

En 2015.

Quelqu’un a proposé que je fasse une tournée en jouant la musique de Passion and Warfare. Et je t’avoue que cette idée me plaît. Donc je vais sans doute ressortir l’album remasterisé, avec des titres bonus, et faire une tournée et jouer tout l’album. Ne me demande pas comment je vais jouer "The Riddle" ou "Love Secrets". Mais je trouverai bien un moyen !

Est-ce que tu as un line up du G3 que tu préfères ?

Non. Je les aime tous. Ils ont tous offert des choses différentes. Ce sont tous des musiciens incroyables, et ils m’offrent tous un bon challenge, qui est de m’élever au meilleur niveau possible, parce que je suis à côté de... Montagnes !

Et qui aimerais-tu voir sur un prochain G3 ?
 

Il y a plein de guitaristes vraiment excellents qui n’ont jamais fait le G3 comme Jeff Beck, Brian May,
( NDLR : Brian May a pourtant déjà joué sur scène avec Vai et Satriani en 1992), Al di Meola
Il y a aussi beaucoup de guitaristes jeunes, comme Guthrie Govan ou Tosin Abasi.


D’accord ! Merci à toi Steve de nous avoir accordé cette interview !

Interview par Tfaaon

 

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