Hichem Kikai, organisateur de concerts en Algérie

La scène metal en Algérie

Si la France jouit d'une scène metal bien installée, il peut être judicieux de s'intéresser à son développement dans les pays dans lesquels on ne s'attend pas qu'elle soit installée. Si les groupes ont bien des choses à dire sur l'état de leur scène, le point de vue global des autres acteurs est non négligeable. C'est pourquoi La Grosse Radio est allée à la rencontre d'Hichem Kikai, qui s'occupe des événements metal en Algérie. Il y évoque son travail, ses ambitions, mais aussi l'état de la scène dans un pays qui n'est pas ancré dans la culture occidentale, d'où est issu le metal.

Interview réalisée conjointement avec Carmyn.

Peux-tu présenter ton travail et certains événements que tu as organisés ?

Hichem Kikai : Je préfère parler de l’évènement le plus important, à savoir le concert de Myrath en Algérie. J’ai travaillé sur un certain nombre d’évènements pour lesquels je faisais partie d’une équipe, j’assurais des taches et je veillais à ce que les choses se passent bien. Pour le concert de Myrath, j’ai été en quelque sorte l’initiateur. C’était une première pour moi, ça m’a permis de découvrir mon potentiel mais aussi mes limites. Le concert de Myrath était un défi pour notre équipe. C’était surtout un risque que quelqu’un devait prendre. On était arrivé à un point où il fallait que quelqu’un ramené un groupe professionnel en Algérie, le terrain était propice, le public était prêt. Il fallait que ça arrive. Myrath est un groupe qui a tout pour plaire, on n’avait pas de doute sur leurs capacité à drainer les foules. Mais ce n’était pas gagné d’avance pour autant vu qu’il n’y avait pas d’antécédents. Mais après les très bonnes réactions du public suite à l’annonce du concert, on savait qu’on allait réussir. Le concert s’est très bien passé, le public est venu des quatre coins du pays, certains ont passé la nuit dehors, d’autres on fait des milliers de kilomètres pour être là. C’était un pari qu’on quand même remporté. Grâce à ce concert nous avons confirmé ce que nous avons toujours su : il y a un public pour le metal en Algérie. Un public de qualité sur lequel on peut toujours compter, et qui est avide, assoiffé de bons concerts. Malheureusement la demande est largement supérieure par rapport à l’offre. Nous essayons d’y remédier.
Avec mes amis on anime une page sur Facebook : Algirian Metal Community. Nous essayons de créer un espace de rencontre et d’échange entre metalleux algérien, des marocains et tunisiens y figurent aussi, c'est très plaisant. Le but de la page est de faire de la promo aux groupes locaux, garder les gens informés de ce qui se passe ici et ailleurs. C’est aussi un espace d'échange et de découverte.

Quel est l'état de développement de la scène metal en Algérie ?

Le Metal en Algérie progresse. Le nombre de fans ne fait qu’augmenter. Le nombre de groupes aussi, la qualité de la musique et la maitrise des musiciens ont connu un saut qualitatif ces dernières années. Une nouvelle génération de musiciens est apparue et vu que celle-ci à plus de moyens que ses prédécesseurs les choses avancent très vite. Les anciens, les doyens du genre sont toujours aussi forts pour la majorité et un nombre assez important d’entre eux sont décidés à ne pas jeter l’éponge. Grâce à des groupes comme Acyl, Litham, Devast, Lelahel et Rivergate récemment, nous avons réussi à exporter nos produits, via des réseaux underground metal.
Beaucoup de travail reste à faire pour professionnaliser la scène, surtout en terme de labels, promoteurs et organisateurs mais je pense que ce qui manque le plus c’est les concerts surtout ceux des groupes étranger. Il faudrait que des groupes professionnels, viennent en Algérie, non seulement l’accueil sera chaleureux, la trace qu’ils laisseront marquera les esprits a tout jamais, il ouvrira de nouveaux horizons aux groupes locaux.


Parle-nous du public, est-il fourni, comment se comporte-t-il ?

Le public est tout simplement extraordinaire, aussi dingue qu'au Chili par exemple ! Il y a une réalité sociologique qu’on doit prendre en considération lorsqu’on parle du public algérien, c’est que le metal est (faute d’un meilleur terme) élitique. La majorité des metalleux viennent de la classe moyenne, ils sont généralement bilingues ou trilingue. Ils parlent français et anglais et sont très ouverts d’esprit. Très ouverts sur le monde aussi. Les universités sont généralement l’endroit où on retrouve le plus grand nombre de metalleux. Le nombre de filles dans les concerts ne cesse d’augmenter. Le public algérien est très réceptif, la majorité des metalleux ont une très bonne culture metal. Ils connaissent tous les bons groupes, même les plus anciens. Ils aiment aussi bien le metal extrême que les trucs plus soft, prog ou métissé. C’est aussi un public très poli et très courtois. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai vu un problème dans un moshpit. Ce que j’aime, ce qui me donne énormément de fierté par rapport au public algérien c’est ce sens de la fraternité. Prenez des centaines de metalleux qui ne se connaissent pas, mettez-les dans une salle et ils finiront tous par devenir amis pour la vie. Vous pourrez toujours compter sur votre ami metalleux pour vous payer un ticket de bus, un sandwich, un café … et même pour vous héberger pour un jour ou deux, cette culture de partage est unique, c’est magnifique.
Le nombre de metalleux aux concerts est toujours important. Ils se déplacent, ils font des centaines de kilomètres pour y assister. Mais si on arrive à ramener un groupe professionnel le nombre augmentera.

Rencontres-tu des difficultés pour organiser et promouvoir tes événements en Algérie (pressions gouvernementales ou locales) ?

Disons que le metal n’est pas vraiment la musique favorite des institutions. Mais cela n’empêche pas d’organiser des concerts. On n’a jamais eu de pressions de la part des institutions, je pense même que si on présente bien la chose on pourra avoir leur soutien. J’en ai déjà fait l’expérience. D’ailleurs d’autres genres musicaux tels que le jazz, le rock, la pop et le hip hop trouvent beaucoup de soutiens, même au niveau des ministères. Nous préfèrons compter sur nous-même. Je pense que la plus grande difficulté reste le financement. Le sponsoring et le mécénat sont très difficiles à trouver. Les coûts des évènements restent élevés. Même si on est à deux heures de vol de l’Europe, les billets d’avions restent chers. Mais nous avons intérêts à faire bouger les choses. Il faut arriver à convaincre les gens qui ont l’argent que le metal est un investissement viable. Nous pensons qu’il l’est. Lorsque nos amis du Festival International de Jazz à Constantine "Dimajazz" ont commencé personne ne donner cher de leur peau, maintenant le festival est toujours complet, et chaque année on voir défiler des noms tels que Aka Moon, Al DiMiola, Steve Coleman
C’est ce que nous faisons en ce moment, on commence à trouver du répondant, mais beaucoup reste à faire. La bonne nouvelle est que l’argent est la et nous n’avons pas l’intention de jeter l’éponge.

Quels sont les genres dominants dans la scène locale ?

C’est une très bonne question à laquelle je ne peux malheureusement pas donner une réponse définitive. Tout simplement parce qu’en Algérie je connais énormément de gens qui aiment aussi bien Van Halen et Mötley Crüe que Mayhem et Cannibal Corpse. Le death et le black marchent très bien. Le prog et le mélodique marchent aussi. En fait, je pense que la majorité des metalleux n’ont pas de genre favori. Tant que la musique est bonne ils accrochent. Chez les groupes le death et le prog restent les genres dominants. Le thrash et le black sont aussi importants et on assiste même à des fusions bien de chez nous telles que le metal berbère et maghrébin.

Qu'en est-il des groupes internationaux ? Rechignent-ils à venir ?

Pas du tout. Ils voudraient tous venir. Certes, il y a toujours la peur de l’inconnu. C’est légitime. Mais je peux leurs garantir que le public sera au rendez-vous. On a les salles, le matériel et surtout le public. Le terrain leur est acquis d’avance, et le public les attend avec impatience. Les faire venir est une autre histoire, il faut de gros moyens, mais nous y travaillons. Nos frères tunisiens et marocains ont vue de grands noms de la scène internationale jouer chez eux, Je pense notamment à Symphony X, Amaranthe et Arch Enemy... Nous sommes un peu en retard, mais je suis très optimiste.

Comment vois-tu la scène se développer ?

Je pense que les choses vont aller plus vite. Surtout maintenant que les groupes mettent plus de moyens et cherchent à égaler les groupes internationaux en termes de qualité et professionnalisme. Jje pense à RiverGate qui a vraiment révolutionné la scène avec leurs procédés très originaux et l’effort qu’ils ont fourni sur leur premier EP. Il nous faudra organiser plus de concerts, faire venir des groupes internationaux, injecter de l’argent dans la scène, créer de bons labels. C’est un travail de longue haleine, un travail d’équipe, il faudra que tout le monde fasse sa part des choses. Je pense que dans quelques années nous aurons une scène plus forte, plus diversifier et surtout plus originale. Je pense que la fusion des sonorités maghrébines, berbères et méditerranéennes sera la tendance lourde de ces quelques prochaines années. Notre culture musicale est très diversifiée, on aura toujours un plus à donner. Je pense aussi que le travail qu’on a déjà fait finira par porter ses fruits. Le futur sera meilleur, j’en suis convaincu.

On sait qu'en fonction des régions / pays, les préoccupations d'ordre thématique (paroles des chansons, messages véhiculés, engagements implicites) peuvent varier fortement (le Metal scandinave n'aborde certes pas les mêmes sujets qu'un Motley de Californie, par ex. ...) > ainsi, qu'est-ce qui tient à cœur des Algérois / Algériens ? Et pourquoi / comment une musique aussi extrême se retrouve être un vecteur émotionnel en recrudescence là-bas ?

La société algérienne est en train de changer. Ce qui fut il y a quelque décennie une société conservatrice et communautaire est en phase de devenir une société ouverte et fortement individualisée. Je pense que le Metal accompagne les phénomènes d’individualisation dans la société. La revendication des libertés individuelles, l’affirmation de soi sont des thèmes qui nous sont très proche, et qu’on retrouve dans les paroles des groupes algériens. Le metal est aussi une sorte de catharsis, ça nous permet de dégager notre énergie négative et d’exprimer nos sentiments et nos frustrations les plus profondes. L’être tourmenté, révolté qui ne s’identifie pas dans son entourage est un personnage qu’on retrouve dans les chansons metal. Je pense que c’est la même chose partout dans le monde, sauf que les malaises sont plus profonds chez nous. Le conflit entre l’archaïque et le moderne, le libertaire et le conservateur, le changement et le statu quo s’exprime dans la société avec une telle violence que le metal devient un moyen d’exprimer sa colère, sa frustration et son rejet et crier haut et fort son dégout et son malaise existentiel, ce déchirement profond… mais d’une manière saine. On en a besoin. N’oublions pas que l’Algérie est passée par plus de 15 ans de terrorisme. On a cherché des échappatoires, mais la violence de notre quotidien nous ne nous en laissait à aucun moment. Je pense que le metal nous a aidés à survivre notre quotidien, à exorciser nos démons. Ça nous a donné la force et l’énergie de se lever le matin et de faire face aux problèmes aux quotidiens. Les thèmes varient, en fait. Ça passe de l’existentiel, au politique, au sentimental voir l’identitaire (je pense au metal berbère par exemple avec des groupe tels que Numidas, The Kult Of Satanåchiia…)


Qu'en est-il du marché de la musique là-bas ? En Grèce, la musique est totalement ancrée dans les mœurs, par ex. et un musicien peut espérer gagner correctement sa vie et jouir d'un statut de personnalité respectée dans la communauté (et non être perçu comme un saltimbanque, comme en France par ex. ....). Quel est le statut des musiciens là-bas ?

En Algérie le rai domine. Malgré la dégradation de ce genre de musique, il reste dominant. Seuls les musiciens de rai peuvent vivre de leurs musiques… et ils vivent très bien, souvent dans l’excès. Très souvent cette musique se pratique dans des boites de nuits, généralement dans des endroits peu fréquentables, loin des projecteurs... Les musiciens sont généralement perçus comme des saltimbanques incultes et vulgaires. Il y a aussi un genre plus mainstream de rai, et il a beaucoup de fans, les musiciens qui pratiquent ce genre ont une meilleur image. Le rai reste la musique la plus populaire. Il y’a aussi les genres plus traditionnels, comme le Cha’abi de Oran à Alger ou l’Andalou / Malouf à Constantine.

Dans ma ville, Constantine, le Malouf (une forme de musique qui s’est développée en Andalousie lors de la présence Mauresque pour ensuite être enrichie par les sonorités du Maghreb) a un statut très important. Il jouit de la protection des institutions. L’un des maitres de ce genre le Cheikh Fergani est considéré comme un dignitaire, on l’aime beaucoup et dire du mal de lui est inacceptable.

Il y a aussi une nouvelle scène musicale qui se créé lentement. Des groupe de soft rock, de jazz de blues et de fusion émergent de partout et, grâce au chaines de télévision et de radio privées, atteignent une certaine notoriété. Je ne pense pas qu’ils peuvent vivent de leur musique, du moins pas encore.

Pour ce qui est du metal, on est encore loin. Personne ne vit de sa musique. Les musiciens de metal sont perçus comme des outsiders, et je pense que beaucoup n’y trouvenr pas d’inconvénient. Le metal se pratique dans l’underground et ça offre une certaine liberté. Le fait que les gens ne comprennent pas est peut être un avantage.


 

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