Mista Savona Presents Havana Meets Kingston

Deux îles, deux villes qui, chacune, ont contribué à écrire l'Histoire de la seconde moitié du XXème siècle, tant sur le plan politique, économique, social, sportif et bien évidemment artistique. La Havane et, par extension, Cuba, ainsi que Kingston et, par extension, la Jamaïque, revêtent un patrimoine musical considérable qui s'est efficacement exporté à travers le monde entier et influençant de nombreux genres musicaux. La rumba, le cha-cha-cha, le mambo pour Cuba et le reggae, le ska ou le dancehall pour la Jamaïque ne sont que des exemples qui ont contribué au rayonnement des deux pays. Ces derniers, pourtant si proches, ne s'étaient pour ainsi dire pratiquement jamais rencontré sur une production discographique. Mais ça, c'était avant. Dès le 3 novembre, ce vide appartiendra au passé avec la sortie tant attendue de Mista Savona Presents Havana Meets Kingston chez Baco Records.

Cependant, la genèse du projet Havana Meets Kingston n'est pas à chercher du côté d'un Cubain ou d'un Jamaïcain, mais plutôt d'un autre insulaire, provenant d'un pays situé à des milliers de kilomètres, l'Australien Mista Savona. Ce producteur n'en est pas à son coup d'essai en matière de métissage, puisqu'il était déjà à l'origine d'un projet intitulé Melbourne Meets Kingston il y a une dizaine d'années et sur lequel on retrouvait Anthony B ou Big Youth. En 2017, Mista Savona, fort de cette expérience, récidive avec la rencontre entre des Cubains et des Jamaïcains. L'on dit d'ordinaire que les musiciens cubains sont les meilleurs au monde, cette galette ne fera pas mentir cette maxime. Mais Mista Savona a également convoqué une section rythmique reggae de premier choix, j'ai nommé le mythique duo Sly & Robbie.

mista savona, havana meets kingston, sly & robbie

Mais avant de nous intéresser plus précisément à ce Havana Meets Kingston, il nous faut impérativement revenir sur deux autres projets qui ont très probablement servis de modèle à Mista Savona pour élaborer celui-ci, nous parlons bien sûr du Buena Vista Social Club et d'Inna De Yard. Les deux concepts ont été créés ces dernières dans le but de revisiter quelques classiques du répertoire des deux îles en réunissant des musiciens et chanteurs emblématiques d'une époque révolue, d'un certain âge d'or de leurs genres musicaux respectifs et duquel ils étaient (et sont toujours) les brillants représentants. Ce Havana Meets Kingston contient justement quelques pistes qui sont des reprises de certains standards du Buena Vista Social Club. Il ne pouvait pas en être autrement. Quelques célèbres morceaux de reggae ont aussi subi un léger relookage sur cet album.

Mais si le Buena Vista Social Club et Inna De Yard avaient pour objectif de ressusciter une ambiance dans sa forme originelle et primitive, ce Havana Meets Kingston ne se borne pas à cela. On notera en effet que Mista Savona a mis un point d'honneur à moderniser et actualiser les sonorités cubaines et jamaïcaines en y injectant un peu, voire beaucoup de hip-hop.

L'album s'ouvre par une reprise du "Chan Chan" du Buena Vista Social Club justement. Immédiatement les guitares, trompettes et percus cubaines font leur apparition et viennent se poser sur un rythme reggae, one drop plus précisément. Le mélange fonctionne avec brio, on hallucine même devant la qualité du mixage de tous ces instruments dans une esthétique finalement très nyabinghi pourrait-on dire. D'autant plus que la chaleur de la voix de chacun des chanteurs renforce cet aspect très solennel.
Et on hallucine encore quelques pistes plus tard sur le sublime et uniquement instrumental "410 San Miguel", où, à travers un véritable hommage à l'âge d'or du jazz, tous les musiciens y vont de leur solo (avec en pôle position un Ernest Ranglin prodigieux) et là aussi sur un rythme one drop. "410 San Miguel" comporte un petit intermède dub avec une ligne de basse par Robbie Shakespeare qui surplombe tout.
Ces deux tracks ne sont cependant pas très représentatifs du reste de l'album : "Chan Chan" et "410 San Miguel" renvoient plus à la tradition, alors que les autres titres s'ouvrent plus à la modernité.

Prenons ainsi comme exemple, le premier single dévoilé, "Carnival". Exit le one drop, place au rub-a-dub (le style dominant dans le reggae contemporain), voire au dancehall en milieu de morceau. Le chanteur Solis et le piano, d'inspiration cubaine, contrebalancent le flow plus deejay de Randy Valentine. "Carnival" a également droit à un cut à la trompette par l'entremise de Julito Padron.

On retrouve d'ailleurs les deux artistes dans une autre combinaison sur "Candela", qui se trouve être également une reprise du Buena Vista Social Club ; le morceau originel devient ainsi un hip-hop latino avec un solo de trompette magnifique, qui n'est pas sans rappeler les beats du groupe de rap cubain Orishas, ambiance que l'on avait déjà pu remarquer sur l'autre single déjà paru, "El Cuarto De Tula" (troisième réadadptation du Buena Vista Social Club), dans lequel le Jamaïcain Turbulence répond aux Cubains Maikel Ante et El Medico.

Mais les standards de la musique cubaine ne sont pas les seuls à avoir subi une petite actualisation, quelques classiques du reggae se voient revisités dans ce Havana Meets Kingston. C'est notamment le cas du "Rastaman Vibration" riddim de Bob Marley qui devient ici "Vibracio Positive" en featuring avec encore et toujours Randy Valentine, suppléé par Anyilena. Outre les paroles, peu de modifications notables par rapport à l'original, mentionnons juste quelques effets dub dans le refrain qui lui confèrent un aspect planant.
A contrario, le "Don't trouble trouble" riddim de Johnny Clarke prend une tout autre dimension sur ce Havana Meets Kingston, puisque ce ne sont pas moins de quatre chanteurs (Lutan Fyah, I-Maali, Brenda Navarette & France Nooks) qui se posent sur la version, qui devient ici "Heart Of A Lion" pour un rub-a-dub, façon Roots Radics, des plus efficaces et au croisement du hip-hop, notamment via le flow de France Nooks.
On retrouve d'ailleurs ce dernier dans un big bad tune, "Dubwise", en combinaison avec Prince Alla, dans un rub-a-dub au melodica très new roots, dans la lignée d'un Alborosie, d'un Protoje ou d'une Nattali Rize, et dans lequel France Nooks rend un superbe hommage au reggae en citant ses plus grands représentants et tout ce qui a contribué à faire rayonner le mouvement. Et on ne le dira jamais assez, on est encore force d'admiration face à la qualité de jeu et au groove de la paire Sly & Robbie, qui nous offrent une excellente extended version sur "Row Fisherman Row" (vous avez tous deviné la référence et le riddim de base, nul besoin de s'étendre dessus) avec le même Prince Alla.

Et si "Heart Of A Lion" comprenait plusieurs vocalistes, qu'en est-il de "100 Pounds Of Collie", ganja tune one drop qui peut se décliner en dancehall par moments avec un casting impressionnant qui regroupe toutes les générations du reggae : Cornell Campbell, Prince Alla, Leroy Sibbles, Exile Di Brave, The Jewels, Cali P & Lutan Fyah. C'est à travers ce morceau que l'on se rend compte que les flows des reggaemen ont considérablement évolué au fil des années ; pendant que les elders pratiquent un timbre soul, les plus jeunes optent pour des techniques plus scandées. C'est en cela que cet album est plus qu'intéressant, puisqu'il nous permet de mieux saisir les mutations inhérentes à chacun des genres musicaux qui ont émergé sur les deux îles. La combinaison exclusivement féminine "In The Ghetto" entre Aza Lineage & Bird-I se rapproche ainsi beaucoup du hip-hop et du r'n'b, alors que Beatriz Marquez & Rolando Luna, sur "La Sitiera" sont, eux, plus ancrés dans la tradition, qu'il s'agisse du chant de Beatriz Marquez ou du magnifique piano orienté jazz de Rolando Luna.

La qualité de jeu des musiciens, la performance des chanteurs et la rigueur du mix font de ce Havana Meets Kingston un modèle de production aboutie. Plus que la rencontre culturelle et artistique entre deux nations, cet album jette également un pont entre les générations. La musique a été, est et sera toujours affaire de métissage : Havana Meets Kingston nous en fait encore la brillante démonstration.

TRACKLIST

1. Chan Chan feat. Maikel Ante, Felix Baldy, Solis & Eugenio Rodriguez
2. Carnival feat. Solis & Randy Valentine
3. Interlude – El Cuarto Intro
4. El Cuarto De Tula feat. Maikel Ante, El Medico & Turbulence
5. 410 San Miguel feat. Ernest Ranglin & The Havana Kingston Allstars
6. 100 Pounds Of Collie feat. Cornell Campbell, Prince Alla, The Jewels, Leroy Sibbles, Cali P, Lutan Fyah & Exile Di Brave
7. Vibracion Positive feat. Randy Valentine & Anyilena
8. In The Ghetto feat. Aza Lineage & Birdz-I
9. Candela feat. Solis & Randy Valentine
10. Heart Of A Lion feat. Lutan Fyah, I-Maali, Brenda Navarrette & France Nooks
11. Interlude feat. Julito Padron
12. Carnival Horns feat. Julito Padron
13. La Sitiera feat. Beatriz Marquez & Rolando Luna
14. Dubwise feat. France Nooks & Prince Alla
15. Interlude feat. Anyilena
16. Row Fisherman Row feat. Prince Alla

close

Ne perdez pas un instant

Soyez le premier à être au courant des actus de La Grosse Radio

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



Partagez cet article sur vos réseaux sociaux :

Ces articles en relation peuvent aussi vous intéresser...

Ces artistes en relation peuvent aussi vous intéresser...