Studio One – Black Man’s Pride

Lors de blind tests, il est des musiques dont on sait de quels studios elles sortent, et ce dès les premières notes ;  c’est le cas des productions de Lee Perry et son Black Ark, de Mad Professor et Ariwa et celles de Sir Coxsone de Studio One.

Soul Jazz Records nous proposent une nouvelle compilation thématique du célèbre studio de Brentford Road à Kingston. Celui de Clement Dodd pour ceux qui hésitent encore pour un son unique et afin de comprendre la centralité de l’identité noire dans la musique créée au célèbre studio, il faut se rappeler que Sir Coxsone a monté la première société de disques appartenant à des descendants d’esclaves en Jamaique.
 

Studio One, Alton Ellis Black Man pride, Soul Jazz, reggae 2017

L’album démarre avec le titre qui donne la thématique de l’album, "Black man's pride" du très grand Alton Ellis, Mr Soul of Jamaica, une voix de souffrance, de celle du ghetto de Trenchtown. Ses plaintes transpercent le cœur car il chante avec ses « tripes » avec une montée vertigineuse dans les aigus.

Et après Mr Soul of jamaica, c’est Mr Rocksteay aka Horace Andy de prendre la suite pour un "child of the ghetto", que l’on retrouve aussi sur d’autres supports sous le nom de "born in the ghetto", voix en vibrato pour nous expliquer la vie rude que beaucoup de chanteurs ont connue et qui font que les mamans pleurent pour leurs enfants.
 


Du lourd arrive avec une orgue hypnotisante pour le très jeune Dennis  Brown sur le "created by the father" et qui donne, comme beaucoup de titres de studio One, le nom à un riddim monumental. (nommé aussi "babatunde"). On retrouve ce titre sur son album No Man Is An Island qui date de 1970, il n’avait que 13 ans, c’est dire le potentiel inné de cet artiste.


Regarde les arbres, comment ses feuilles soufflent dans le ciel
Écoute les oiseaux comment ils chantent tout leur temps
Regarde le soleil comment il brille, brille dans le ciel
Eh bien, toutes ces choses étaient créées par (Dieu) le Père


Avec le titre suivant, nous sommes sur la toute première version du "roots natty" des Gladiators avec son gros roulement de basse. Albert Griffiths au chant principal a déjà cette voix naturelle qui fait de lui un vrai combattant, un gladiateur. Un titre phrare dont on retrouvera d’autres versions dans leur longue carrière, sur le proverbial reggae de 1978 pour Virgin sous le nom de "Dreadlocks the time is now " ou sur le Symbol of reality de 1982 pour Nighthawk sous le nom de "Streets of gold".

Y a-t-il une différence entre l’homme noir et l’homme blanc?
Nous sommes tous d'une seule peau, même sang, même âme.
Mais il y en a qui pensent que les Dreadlocks ne comptent pas.


Derrière the Classics se trouve un groupe, en fait un groupe bien connu avec au lead vocal Winston 'Pipe' Matthews, The Wailings souls ! Le titre  "got to be cool" date de 1972 est on le retrouve sur l’album The Wailing Souls de 1975. Quand on sait que le maitre de chant de Winston était Joe Higgs, on ne peut qu’être conquis par cette voix envoutante.

 


Le reggae est comme un iceberg, on a la partie apparente avec des noms que l’on connait plus ou moins et puis il y a la face immergée où il faut plonger et on trouve là encore des perles même si on sait peu de choses sur les artistes, c’est le cas de the Nightingales, groupe obscur avec leur "rasta is calling" au style trio vocal influences soul),  Glen Miller qui nous donne deux superbes titres sur cet album, "love & understanding" qui date de 1972 avec une voix falsetto très agréable  et "you must be love" avec une approche vocale différente mais toute aussi intéressante ou encore Lloyd Jones & The Super Natural Six pour un "red  in a babylon" très abouti.

Avec "woman shadow",  Sugar Minott nous donne une version magistrale du hit du groupe The Meditations (formé de Ansel Cridland, Danny Clark et Winston Watson à l’origine) "Woman is like a shadows". Les chœurs sont magiques sur ce titre, tout comme le tour de chant du regretté Sugar Minott.

Très belle intro au trombone de Vin Gordon (surnommé aussi Don Drummond Junior, c’est dire son talent) pour l’un des titres clés de cette compilation. Dudley Sibley, grand ami de Bob Marley et Delroy Wilson, qui les accompagnait chez Coxsone, était celui que l’on surnommait « le balayeur de Studio One ». Le jour, il était homme à tout faire, le soir, il se glissait derrière le micro, et a sorti des perles. Une voix comme il en existe peu, harmonieuse à souhait qui nous délivre ici son "love in our nation" accompagné du groupe Soul Gang dont faisait partie Clement Dodd lui-même et Jackie Mittoo entre autres. Studio One nous balance un diamant brut tant dans les harmonies que dans les musiciens.

this world is living inferior, Lord it spread around like malaria,
the gap between the have and the have not is a real problem,
and because of that you find yourself with a big lemozene,
I who have nothing oh, Lord I am not seen
You got to have love in our nation, you got to have a loving sensation
you are white does’nt give you the right to push me around to your delight
and I am black does’nt make it a fact I am to pull your legs
or even cut off your head.
You got to have love in our nation,you got to have a loving sensation

 


Est il besoin de présenter le groupe suivant, The Heptones encore plus populaire, plus connu que les Wailers sur cette belle période. Il faut dire que Leroy Sibbles et ses acolytes, nous offrent toujours des performances vocales dignes de leurs grands modèles, Curtis Mayfield, the Impressions, Un très beau discours avec "equals rights" sur les droits fondamentaux humains que l’on retrouvait à l’origine sur leur bien nommé album on Top de 1968.  Un titre qui avait même été repris dans les années 1980 par Dennis Brown.

Chaque homme a le droit égal de vivre et être libre
Peu importe la couleur, la classe ou la race qu'il soit.


"Up Park No Mans Land" de Winston Jarrett est posé sur le  "get in the groove" riddim des Heptones (hé oui encore eux, ils ont donné de nombreux riddims pour le Studio One) et beaucoup connaissent d’avantage la version proposée par John Holt pour le Channel One. (il existe aussi une version de Johnny Clarke très intéressante). Mais avec celle-ci c’est un vrai plaisir que d’écouter un Winston avec une voix que l’on a peu l’habitude d’entendre à ce niveau.

Et pour ceux qui connaissent bien le Studio One, il la fait le bonheur d’instrumentaux avec les plus grands de jamaique : The Skatalites avec des Jackie Mittoo, Don Drummond, Roland Alphonso, Tommy McCook, Johnny "Dizzy" Moore, Lloyd Brevett, Jah Jerry, la liste étant tellement longue, Tous ou quasiment sont passés par la fameuse Alpha School tout comme  Cedric "Im" Brooks qui nous propose ici, sans son ami David Madden (trompettiste) une magnifique complainte au saxophone. Les instruments derrière servant de tremplin pour ce titre d’un artiste engagé dans le mouvement rasta car il était un des membres fondateur des Mystic Revelation of Rastafari de Count Ossie et avait ensuite formé the Light of Saba.

C’est l’occasion d’écouter à nouveau Larry Marshall sur "let's make up" qui nous quittait l’an dernier, celui a qui l’on doit le tout premier morceau réellement reggae. Là encore, et c’est vrai pour toutes productions Studio, les cuivres et la basse jouent un rôle primordial. Que se soient tles Skatalites, Souls Brothers, Soul Vendors,  ou  Sound Dimension, la base est toujours là, le nom change, le talent reste comme beaucoup de musiciens.
 

Le juvenile Freddie McGregor nous apporte "Children Listen To Wise Words" qui nous apporte une nouvelle écriture du titre "Wild World" de Cat Stephens, tant dans le chant que dans le jeu instrumental.

Jeu d’orgue au démarrage où John Holt nous donne le très joli "Build our dreams" qui, comme chacun de ces titres nous transportent dans un rêve réalité, Leroy Sibbles lui donnant la réplique avec les Heptones aux chœurs.

L’album se termine sur un Johnny Osbourne très en forme, les envolées vocales vous en met agréablement plein les oreilles. Titre un peu plus récent que les précédents puisqu’il date de 1979. Ce "forgive them" n’a rien à envier à son classique Truths and Rights (si ce n’est qu’il n’a pas donné lieu à un riddim).
 

Studio One, Alton Ellis Black Man pride, Soul Jazz, reggae 2017


18 titres, aucune chanson faible, un album comme on aimerait en avoir tous les mois. La pochette est de toute beauté et apporte la pierre angulaire à la fierté noire.

Pour les collectionneurs, certains auront quelques 45 tours ou auront quelques titres sur d’autres compilations mais impossible de posséder déjà tous ces titres.

Disponible en digital, en Cd et en double album vynil, pas d’excuse pour ne pas se procurer ce joyau de chez Coxsone,

Hommage à de grands hommes partis pour Zion :

Clement 'Coxsone' Dodd : 1932 – 2004
Alton Ellis : 1938 - 2008
Dennis Brown : 1957 - 1999
Gallimore ‘Gladiator’ Sutherland : 2017
Sugar Minott : 1956 - 2010
Barry ‘Heptones’ Llwelyn : 1947 - 2011
Cedric ‘I am’  Brooks : 1943 - 2013
Larry Marshall : 1941 - 2017
John Holt : 1947 – 2014

Un grand merci à Dudley Sibley pour sa patience, son écoute et son aide pour cet article.
love in our nation – paroles avec l’aimable autorisation de Dudley Sibley.

tracklist :
1 Alton Ellis - Black man’s Pride
2 Horace Andy - Child of the ghetto
3 Dennis Brown - created by the father
4 The Gladiators - Roots natty
5 The Classics - Got to be cool
6 The Nightingales - Rasta is calling
7 Glen Miller - Love & understanding
8 Sugar Minott -Woman Shadow
9 Lloyd Jones & The Super natural six - red in a Babylon
10 Dudley Sibley & The Soul Gang - Love in our nation
11 The heptones - Equal rights
12 Glen Miller - You must be love

Sortie le 17 novembre 2017
Label : Soul Jazz Records

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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