Senbeï – Ningyo

Pour celles et ceux qui nous suivent assidûment (et pour tous les autres d'ailleurs), il est inutile de vous rappeler que le duo bordelais de Smokey Joe & The Kid et, par extension, le label Banzaï Lab, sont à inclure dans le lot de nos aventures crossover. Pas de reggae, pas de dub, ni de dancehall, mais une bonne dose de grosses basses promptes à stimuler nos esgourdes en quête de turbulence et d'agitation.

Aujourd'hui, nous allons vous parler de Senbeï, qui n'est autre que The Kid du crew cité plus haut. En effet, chacun des membres de Smokey Joe & The Kid développe son projet solo en parallèle et si Smokey Joe (aka The IRB) a mis le sien en stand-by (voir notre interview du groupe en octobre dernier), Senbeï est bel et bien actif. Après avoir sorti un EP, Nin, début 2017 (la grosse chronique ici), il s'apprête à dévoiler son tout nouvel album, Ningyo, le 26 janvier, chez Banzaï Lab. Nin n'était en fait qu'un avant-goût de l'opus entier, puisque trois des quatre tracks qui le composaient sont à retrouver sur Ningyo. Et d'ailleurs, comme on est très perspicace, on a réussi à deviner tout seul, comme des grands, que Nin était en réalité la contraction de Ningyo, ce que laissait déjà sous-entendre la pochette de l'EP.

Ningyo est en très grande partie inspiré par le Japon. Le nom de l'artiste lui-même est une référence directe à ce pays. Mais étant donné que nous ne sommes pas de fins spécialistes de la langue japonaise, on nous signale dans l'oreillette que Ningyo signifie sirène. Mais quelle sirène ? La sirène de la police, du sound system ou alors la créature aquatique ? Senbeï a t-il cédé au chant des sirènes justement avec cet album ? Si les sirènes représentent le Japon, alors oui. En effet, le beatmaker s'y rendu, fasciné par la culture et la musique de l'archipel. Il nous confiait également (dans la même interview évoquée plus haut) qu'une partie de l'album avait été enregistrée à Tokyo.

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Bon et alors, musicalement, qu'en est-il de cet opus si ce n'est pas reggae ? A première vue (ou première écoute plutôt), on navigue entre le hip-hop, le dubstep, la bass music, le digital, des mélodies suaves, le tout nourri, bien évidemment, de sonorités japonaises, voire même chinoises. Les fans d'High Tone ou de Chinese Man ne seront donc pas perdus dans ce voyage au cœur de l'univers de Senbeï. D'autant plus que les feat. ne sont certainement pas des inconnus pour celles et ceux nous lisent et écoutent régulièrement : Youthstar, ASM, DJ Nixon sont très proches de Chinese Man Records, Miscellaneous est un Tourangeau qui s'acoquine souvent avec Brigante Records et Cheeko est membre de Phases Cachées.

Ningyo s'ouvre par "Akura", une balade aux confins du hip-hop et du dub où toutes les influences nippones se font déjà sentir. Une douce et mélancolique entrée en matière avant que ne commencent vraiment les hostilités avec le titre éponyme, un hip-hop digital et instrumental qui aurait toute sa place dans une bande originale de film et pour cause, on peut même établir un lien direct avec l'une des autres productions de Senbeï, le remix d'Elusive Delusive, "Asagaya", dont le clip piochait dans des images de Retour Vers Le Futur ou de La Ruée vers l'or. Ici, "Ningyo", a également droit à sa vidéo (la première d'une longue série, on a hâte de découvrir la suite), un superbe dessin animé réalisé par Bureau Cobra qui se situe dans le Japon des samouraïs. "Ningyo", à l'image de son clip, contrebalance l'entrée en matière posée de l'opus avec des moments intenses et une esthétique sombre et lunaire. Les passages les plus instrumentaux (et les plus japonisants pour le coup) du morceau sont à mettre en lumière avec ceux de "Pictures", en feat. avec Miscellaneous, où l'on retrouve justement des musiciens japonais. Il est en effet là l'intérêt de cet album où s'entrecroisent instruments traditionnels, samples et musique électronique et où le parallèle avec High Tone ou Chinese Man n'en est que plus pertinent, sachant que les deux collectifs ont eux aussi pratiqué ce mélange.

Les actuels frontmen de Chinese Man, j'ai nommé Green et FP d'ASM et Youthstar, sont d'ailleurs présents sur "Ryori", un hip-hop orientalisant, l'un des big tunes de l'album où les trois MCs font leur boulot avec brio, mais est-il nécessaire de le préciser. Il faut aussi saluer la performance de ShingO2 (l'une des excellentes surprises de l'album), rappeur japonais, sur "Edge Of The Universe", un boom-bap façon 90's très efficace, plus inspiré par New York que par Tokyo. Quant à "Nujabes Tribute" en feat. avec DJ Nixon, il s'agit d'un hommage au beatmaker japonais Nujabes, avec qui ShingO2 avait justement travaillé. Nujabes étant "connu comme étant un des piliers de l'abstract hip-hop venant du Japon" (merci l'ami Wikipédia), "Nujabes Tribute" a également des accointances évidentes avec le son de DJ Shadow et celui du label Ninja Tune (Kid Koala, DJ Food, Mr Scruff...), entités qui ont toutes opéré la fusion entre hip-hop et jazz et qui demeurent de grosses influences pour le label Banzaï Lab.

Ce visage abstract hip-hop se retrouve aussi sur "Ramen Western" pour un track assez expérimental qui prend le chemin du trap dans la dernière partie. "Yubaba Bridge" et "The Life Of Puyi" suivent aussi cette tendance abstract mais de manière moins torturée, "Yubaba Bridge" nous rappelle ainsi agréablement la patte de Straybird, l'une des brillantes signatures de Banzaï Lab, qui mêle savamment dancefloor et expérimentation. De dancefloor, il en est explicitement question avec l'énoooorrrme "Space Dutty Invaders", où l'on imagine déjà le public se trémousser comme un diable sur cette prod qui oscille entre digital (Senbeï aurait-il samplé sa Game Boy ?) et grosses nappes de bass music (dubstep, trap) qui tachent. "Lucy" est également à la croisée de ce monde éclectique où la bass music entre en symbiose avec des parties plus mélodieuses aptes à vous bercer.

Les deux dernières pistes de l'album, "Ticklish" en feat. avec Non Genetic et "Photo de Classe" avec Yoshi, Gaiden, Sad Vicious et Cheeko, sont les plus familières aux oreilles habituées au hip-hop de Smokey Joe & The Kid, tant la ressemblance est frappante, certains des MCs ayant notammant collaboré avec le duo. Des morceaux intéressants et efficaces mais qui sont en décalage avec la tonalité générale de l'album, raison pour laquelle ils sont probablement placés à la fin. Les reggae addicts apprécieront néanmoins "Photo de Classe" avec un skank qui vient se glisser habilement.

Senbeï est un boulimique de production. Quant il ne compose pas avec Smokey Joe & The Kid, il produit des instrus pour Youthstar (voir ici) ; quand il ne mastérise pas des albums de dub ou de metal, il s'adonne à son projet solo. C'est ce combat sur tous les fronts et cette ouverture d'esprit qui font que chacun de ses beats fait mouche et Ningyo ne contredira pas ce raisonnement tant les références abondent.

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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