Jah Lion – Colombia Colly (1976)

Il y a bien longtemps, par un matin humide, sur un marché aux puces lointain, très lointain, je suis tombé sur un obscur LP (45 tours chez nous) vendu comme une vulgaire paire de chaussettes d’occasion par un  petit homme court sur patte à l’air patibulaire.

La pochette indique Jah Lion, Colombia Colly. Ça sonne plutôt pas mal. L’artwork de la couverture donne tout de suite le ton, j’ai l’impression d’avoir trouvé un disque sympa, mais méfiance, les belles pochettes ne font pas nécessairement les bons albums (et vice versa).

Je retourne donc cette pochette, méchamment abimée par le temps et clairement aussi par les mites ou autres bestioles dont pullulent les caves et Oooh joie dans mon cœur ! Une petite mention écrite tout en bas me saute aux yeux et me confirme que je tiens un truc qui a surement du potentiel :
 

« Produced by Lee Perry
Recorded at Black Ark Studios, Kingston, Jamaica
All titles written by L. Perry except […] track 11 written by Murvin / Perry
 »

jah lion


Il faut absolument que je contienne ma joie, sinon ce petit homme au regard maintenant pesant (le gars m’a vu du coin de l’œil renifler de près sa marchandise, il sent que je suis intéressé) va essayer de me saigner à blanc !

- Bonjour, combien pour ce disque M’sieur ?

- Ça ? Pppfff j’en sais rien. 10 € ?! me dit-il avec un ton hésitant entre la question et l’affirmation histoire de voir ma réaction.

- Ah ouais quand même !! 10€… C’est pas mal pour un disque dans cet état, z’avez vu la gueule de la pochette, et je ne parle pas de l’odeur de moisie là M’sieur. Allez disons 5 balles !

- Mmmm, ppppfff, mmfmfmm, bon allez OK !

- Ah merde… en fait j’ai que 3€ sur moi… (en mode crapule intergalactique j’avoue ! :-))

- Bon allez, allez, ça va !

- Merci et bonne journée hein !
 

jah lion


Et hop, me voilà chez moi, vinyle cleané et platine sur les starting blocks ! Ca crépite dans les enceintes et bim ! « Wisdom » démarre. Un roulement de batterie étouffé et du lointain surgit le riddim d’une des premières productions de Lee Perry au Black Ark, le « Words (of my mouth) » de 1973 (qui avait à l’époque été mise en avant par le groupe The Gatherers).
 


Une entrée en matière à l’ambiance lourde, et mystique avec un Jah Lion au ton injonctif qui s’empare du micro par un « Jaaaah Rastafari » ! La vache je crois que j’ai fait une bonne affaire sur ce coup, je m’affale un peu plus dans mon canapé, faut que j’encaisse le choc là !

Je continue d’écouter l’album qui enchaine avec « Dread In A Jamdong ». Une autre production Lee Perry dont le riddim vous parlera. On reste dans le ton, c’est très roots. La tune est blindée de delay, reverb et autres effets sonores dont seul Lee Perry a le secret et qui donne cette géométrie si particulière et reconnaissable à ses instrumentales.
 

jah lion


« Hay Fever », 3ème morceau de la galette reprend le riddim de « Fever » (avec un ajout de grincement de porte pour le moins surprenant voir dérangeant) sur lequel se sont également illustrés Susan Cadogan et Junior Byles mais dans des styles différents. Car Jah Lion est un DJ à la U-Roy pour que vous puissiez visualiser la chose. Comme la grande majorité de ses contemporains, ils distillent dans ses lyrics des messages conscious et Rasta.

« Flashing Whip » laisse la place à la dernière tune de la face A et également éponyme de l’album « Colombia Colly », une ganja tune à la basse lourde accompagnée de percussions Lee Perryesque et de bruitages de quelqun tirant avec délectation de généreuses bouffées sur un chalice. Le tout est accompagné de chœurs qui se perdent dans l’écho du lointain. L’ensemble à un côté mystico-hypnotique ! C’est du grand art !
 


Entre les deux faces du vinyle, je me mets à chercher un peu plus d’infos sur Jah Lion, cet artiste que je découvre et qui m’a fait voyager en quelques secondes.

Patrick Lloyd Francis, Jah Lion est un personnage quelque peu mystérieux, à propos duquel on a du mal à trouver des infos et ayant, qui plus est, travaillé sous de nombreux pseudonymes : Pat Francis, Jah Lloyd, Jah Lion, The Black Lion of Judah ou encore Jah Ali. Durant les 70’s, il enregistre plusieurs albums dans le style DJ/ Reggae Rockers, avec le gratin des producteurs de l’époque : King Tubby et Lee Perry par exemple.

Le monsieur, lui-même producteur a produit certains de ces albums et d’autres pour The Revolutionnaries (groupe du célèbre duo Sly Dunbar & Robbie Shakespear) ou Mike Brooks.
 

jah lion


Très jeune, le petit Patrick se retrouve à habiter dans le ghetto le plus connu de Kingston, Trench Town, l’incubateur de talents (au niveau musical en tout cas) où tout va s’accélérer. Il démarre sa carrière de chanteur au sein des Mediators avec Fitzroy « Bunny » Simpsons (le groupe sera renommé The Diamonds avant de devenir par la suite The Mighty Diamonds).
Mais le jeune Patrick Lloyd Francis travaille très vite en solo, passant de vendeur de vinyles, à producteur, puis de nouveau DJ au milieu des 70’s. Il enregistre avec Lee Perry qui le renomme Jah Lion pour la création de l’album dont on parle aujourd’hui.

L’album marche bien, le titre « Wisdom » servira même à la bande originale du film Countryman et la reprise en version DJ de « Police and Thieves » de Junior Murvin (ici sous le titre de « Soldier and Police War ») fait un carton dans les charts jamaïcaines.
 

jah lion


La face B démarre avec « Fat Man » au riddim plus enjoué, mais il faut le dire vite hein, on a toujours un son très très roots pour accompagner les lyrics, quasiment chantés cette fois par Jah Lion. « Bad Luck Natty » est elle aussi plus légère et soutenue par une section de cuivre et des petits sifflements. Rafraichissant !

« Black Lion » démarre comme une balade avant de rebasculer sur du pur roots. C’est un vrai régal ! Puis vient « Little Sally Dater » qui est une reprise de « To Be A Lover » des Upsetters.

L’avant dernier titre est une reprise épurée, dans le plus pur style DJ, du classique de The Abyssinians, « Satta ». L’ultime tune de l’album, « Soldier and Police War » est comme je le disais plus haut, un des titres qui a le mieux marché de cet album. Excellente version qui redonne du relief au big hit de Junior Murvin dont la voix très aiguë s’associe à la perfection avec le côté brut de celle de Jah Lion. Du caviar !
 

Mes recherches ne m’ont pas réellement permises de déterminer qui était les musiciens aux manettes sur cet album, mais étant donné que nous sommes globalement sur des reprises de productions de Lee Perry, il est légitime de penser qu’il s’agit certainement du groupe maison du Black Ark, les Upstters dont la formation de 1976 comprend rien de moins qu’Earl « Chinna » Smith à la guitare, Boris Gardiner et Aston "Familyman" Barrett à la basse, ou encore Scully Simms aux percussions.
 

Black Ark


Quasiment tombé dans l’oubli depuis les années 80, Jah Lloyd nous a malheureusement quittés dans le plus grand anonymat et l'indifférence générale, en juin 1999. Les versions diffèrent sur les causes de sa mort… problèmes respiratoires associés à de l’asthme ou tué par balle à Kingston ou les deux, ce qui rajoute au mystère entourant le personnage.

En résumé, cet album que l’on a quelque peu oublié (comme son auteur d’ailleurs) est une pépite roots ! Un must have dans sa collection ! 11 tunes et rien à jeter.
On a en réalité affaire à quelque chose qui s'apparente presque à un best of des meilleurs riddims du Black Ark de l’époque accompagnés par un DJ qui vient rajouter du volume à l’ensemble. A se procurer immédiatement, et si vous l’avez en votre possession, bin pourquoi est-ce qu’il n’est pas déjà en train de tourner ?!


Enjoy !

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