Entretien avec Monsieur Lézard

C'est à l'occasion du concert de Monsieur Lézard à La Rochénard, Poitou-Charentes, que nous avons passé un long moment de discussion afin de vous permettre de découvrir davantage cet artiste.

C'est une interview dont je me souviendrai longtemps.

Ayant peu d'expérience dans ce domaine, j'avais préparé, consciencieusement, une série de questions à poser avec un ordre établi pour interroger au mieux Monsieur Lézard.

Désormais, je saurai que les interviews peuvent partir en sucette et ne pas du tout respecter ce que l'on avait prévu. Pas étonnant me direz-vous, de la part d'un artiste qui officie "sans patron ni horaire", qui parle très librement et avec beaucoup de sensibilité.

Il nous a immergé dans le monde artistique dans lequel il vit depuis plus de 25 ans.

Je n'ai même pas eu besoin de poser de questions car la dicussion est partie dans un échange à bâton rompu pour plus d'une heure d'enregistrement. Un véritable méli-mélo que j'ai déficelé afin d'en extraire la quintessance.

Zopelartisto : Tout d'abord merci d'accorder un peu de temps pour la Grosse Radio Reggae.
Peux-tu te présenter aux lecteurs du webzine et nous expliquer l'origine de ton Blaze : Lézard ?

M-sieur Lézard : J'ai déménagé pour la banlieu parisienne à l'âge de 10 ans. Je vivais auparavant en Dordogne. Je suis alors arrivé à Montreuil, qui est une banlieue plutôt "épicée". J'ai forcément dû changer de mentalité pour éviter de prendre des béquilles et pour me faire respecter. 
A l'époque, avec les copains, on partait parfois l'été pour une aire de loisirs de la commune de Créteil. Il y avait une piscine privée fermée par un grillage. Grillage, qui comme par hasard, avait un petit trou par lequel nous pouvions passer afin de nous baigner.
Un jour, mes potes sont allés se baigner tandis que je suis resté sur ma serviette à sécher avec mon spliff. Alors pour rigoler mes potes ont lancé une phrase du style : "Laisse- le, il fait le Lézard, regarde le avec ses yeux d'iguane".
Dès lors j'ai choisi de garder ce blaze, d'autant plus que j'ai rapidement remarqué que ce nom restait bien dans la mémoire des gens que je rencontrais.

Monsieur Lézard


"Tonton David m'a donné une cassette jamaïcaine que j'ai usée jusqu'au plastique".
 

Zopelartisto : Peux-tu nous parler de tes débuts ?

M-sieur Lézard : Très jeune, j'étais plutôt dans une mouvance Hip-Hop. Je traînais avec Joël de Timide et sans complexe et Doudou Masta.
Et puis un jour, j'ai rencontré Tonton David, chez lui. Il était en compagnie d'un certain Nuttea.
Moi, je ne voyais que des rastas qui fumaient des spliffs, sans savoir qu'ils travaillaient la musique. Puis, en sympathisant, Tonton David m'a proposé de venir les voir répéter dans un studio de Vaugirard. J'ai alors vu des répétitions de dingue avec Nuttea, qui des trois heures durant, envoyait des vibes hallucinantes. J'ai été très impressionné.
Tonton David m'a également donné une cassette jamaïcaine que j'ai usée jusqu'au plastique. Je ne me souviens plus du nom de l'artiste, Colonel ... du même style que Général Smily tu vois.
Puis un contact avec Azrock nous a permis d'avoir un lieu de répétition dans lequel Nuttea, les Saï, venaient répéter.
De fil en aiguille, je suis allé chanter en Sound System, qui, à l'époque, se déroulaient sur les péniches. Des potes comme Bunny Dread du KNS Sound puis Rude Lion de Ghetto Youth m'ont beaucoup aidé.
Je faisais comme tout le monde. Je reprenais du Papa San par exemple.
Tu vois, avant 2000, il n'y avait pas de droit d'auteur pour les productions jamaïcaines. De sorte que tout le monde se servait des riddims ou des mélodies. Je me souviens de Little Lenny avec "She She have a Gun Inna Baggy" et tout le monde pouvait décliner cette mélodie à sa sauce.

Et puis, est venu le temps où j'ai choisi de créer personnellement mon style, mes lyrics.

Monsieur Lézard


"Je suis chez moi, autour d'un feu de bois.
Y'a trois mecs, une guitare, une percussion et trois voix.
Même pas besoin de sono. On est là ! On fait du son et ça sonne grave.
Ca me PLAIT"! 

Zopelartisto :  En 2014, tu as sorti ton dernier album, Au fil des Temps. Album que nous avons chroniqué dans le webzine de La Grosse Radio Reggae. De très bonnes sensations en écoutant cet album. Comment s'est déroulée la rencontre avec tes partenaires Jahvie et Sanka ?

M-sieur Lézard : Je partais en sound system avec mon pote Puppa Alex du Mighty Earth Sound. Entre parenthèse, Sound très actif qui participe également aux Rastas du Coeur.
Je lui exposais mon projet acoustique et la nécessité pour moi de trouver deux gars qui pourraient adhérer à cette nouvelle formule .
Puppa m'a alors parlé de Sanka du groupe Satya et Jahvie des Tuff Lions.
Après un mois et demi de réflexion, ces deux artistes sont venus vers moi et ont complétement investi le style du Lézard. Le projet est une réussite grâce à cette équipe.

Zopelartisto : Comment t'es tu senti dans ce nouveau style musical, toi qui est très connu pour le format Sound System comme ce soir ?  

M-sieur Lézard : Je me sens hyper bien avec cette formule acoustique. Je rêvais de cette proposition pour moi et le public.
Lors de sa construction je me disais :
"Je suis chez moi, autour d'un feu de bois. Y'a trois mecs, une guitare, une percussion et trois voix. Même pas besoin de sono. On est là ! On fait du son et ça sonne grave. Ca me PLAIT"!

Zopelartisto : Comment as-tu produit cet album ?

M-sieur Lézard : En auto-production. Je tiens à remercier Christophe Bartholomé du label Discover Records qui m'avait déjà recontacté pour l'album Saltimbanque et qui m'a suivi sur le projet Au fil du Temps. C'est mon pote mécène.

Monsieur Lézard


"Tous les mecs du reggae m'ont dit : "C'est GENIAL !"

Zopelartisto : Comment as tu vécu cette sortie puis la suite de cette aventure acoustique ?

M-sieur Lézard : Je t'avoue franchement que lorsque j'ai sorti Au fil du Temps, je me suis dis que j'allais me faire incendier par tous les mecs du reggae.
D'autant plus lorsqu'ils verraient le clip. Je pensais qu'ils allaient se dire "Ca y est le Lézard est parti en trip campagne et fleur".
Mais même si je m'en foutais, car j'avais fait le projet que je souhaitais, j'appréhendais le côté carrière car c'est quand même la musique qui est censée me donner à bouffer et faire vivre ma famille.

Zopelartisto : Ton propos est très étonnant car les sensations que l'on éprouve en écoutant cet album sont très positives et le clip est roots à souhait.

M-sieur Lézard : Et bien tu as raison, car tous les mecs du reggae m'ont dit : "C'est GENIAL !" 
C'est avec plein d'espoir que je suis parti à la recherche de concerts et festivals. Pensant que j'allais en plus de mon public habituel, toucher par mes paroles et ma musique des personnes qui écoutent davantage de chanson française comme Les Ogres de Barbacks ... .
D'ailleurs ont a eu la chance de faire la première partie de La Rue Ketanou grâce à Armand Vache, un amoureux de reggae, qui était régisseur du Quattro de Nîmes. Mais c'était un coup de chance. 

Monsieur Lézard

"Ce qui m'emmerde au plus haut point c'est de devoir calculer
ce que les tourneurs ont comme image de la musique !
Alors que le public est prêt à recevoir ce projet et
m'encourage perpétuellement". 

Zopelartisto : Un coup de chance ?

M-sieur Lézard : Et oui, car mise à part deux trois dates au compte goutte, les festivals reggae m'ont répondu que le style de ce nouvel album était trop chanson française tandis que les festivals de chanson française m'ont indiqué que le style de ce nouvel album était trop reggae. 
Pourtant ce n'est pas faute d'être continuellement encouragé par tous ceux que je croise.
Ce qui m'emmerde au plus haut point c'est de devoir calculer ce que les tourneurs ont comme image de la musique alors que le public est prêt à recevoir ce projet et m'encourage perpétuellement.

Zopelartisto : Par contre, une bonne étoile a été ta rencontre avec les responsables de l'action Toulouse acoustique ?

M-sieur Lézard : En effet, l'équipe m'a contacté pour construire un clip dans les rues de Toulouse. Clip autour d'une fontaine avec mes deux partenaires. Un super clip et un bon souvenir !

Zopelartisto : Cet été, je t'ai croisé au Reggae Sun Ska. Eté durant lequel tu présentais ton nouvel album 100% acoustique. Je sentais déjà, sans connaître tous les propos que tu viens d'évoquer, un léger énervement concernant ce projet acoustique.

M-sieur Lézard : Tu as ressenti les bonnes sensations.
Comme je te disais, en 2014, j'ai tout vérouillé pour que mon album acoustique fonctionne et soit promotionné de la meilleure manière. Je répondais non lorsqu'on me proposait des formules Sound System.
Lorsque le Reggae Sun Ska me contacte pour une première fois je ne donne même pas suite. Parce que ce n'était pas de l'acoustique avec Sanka et Jahvie qu'ils voulaient mais du Sound System. Ils m'ont rechecké pour un passage à 13 heures en mode Sound System.
J'y suis allé bon gré malgré pour mes amis de Reggae.fr et Génération H. C'est pour cela que je n'étais pas de très bonne humeur lorsque tu m'as croisé. 

Monsieur Lézard


"Evidemment que je ne suis rien dans la balance
mais je me dis qu'avec un petit texte ça va peser, mais non RIEN !"

M-sieur Lézard : Et puis tu vois, je me rend compte avec le temps, que dans les Sound System, je suis le plus âgé dans la place. Je ne m'y sens plus aussi à l'aise qu'avant. 

Zopelartisto : Tu plaisantes ? Concernant ton âge, j'ai envie de comparer l'envie du public de voir des Vétérans comme U-Roy, Big Youth, avec celle de voir et applaudir des groupes comme Sinsémilia ou Monsieur Lézard. Qu'en penses-tu ?

M-sieur Lézard : (rire) Je ne suis pas U-Roy. Je me rend surtout compte que les messages que je diffuse depuis 25 ans n'ont pas servi et n'ont jamais été entendus. Et moi, avec mon ego d'artiste, j'écris quand même pour être entendu (la pollution, la nationalité, la liberté...). Evidemment que je ne suis rien dans la balance mais je me dis qu'avec un petit texte ça va peser, mais non RIEN ! Tu t'aperçois que ça n'avance pas. Je ne vois tellement rien avancer que ça en est effrayant !

Zopelartisto : La musique ne changera pas la face du monde, beaucoup d'artistes ont fait ce constat amer.

M-sieur Lézard : Justement, je ne veux pas m'entêter dans un truc qui me glisse des mains.

Zopelartisto : Oui mais il y a toujours ce côté Underground. Prenons l'exemple de ce soir avec des bénévoles comme à La Grosse Radio, les Agy'T, les artistes comme toi qui font avancer le reggae. C'est pour cela que l'on vient te voir et que nous construisons.

M-sieur Lézard : Je te suis là-dessus mais des Hits underground j'en ai fait un paquet. Ces Tunes ont heureusement réussi à rassasier mon égo.
Ce n'est même pas une question d'être bon ou mauvais. C'est d'observer que ce sont les types des majors qui font la pluie et le beau temps et vendent de la merde aux gamins. 
Je sais que je parle comme un vieux con, j'en suis conscient, mais le truc que je n'arrive pas à comprendre c'est comment des producteurs ont réussi à nous vendre du cul, du flingue et de l'argent roi pour attirer des gamins de 12 ans.
Surtout les mecs du Hip-Hop commercial comme La Fouine qui arrivent à exister et produisent de la grosse merdre pour les 12-13 ans. Comment se fait-t-il que dans le studio où ces mecs enregistrent, il n'y ait pas des musicos censés pour balancer leurs productions aux ordures, leur vraie place ? Même en campagne les jeunes parlent avec le langage de la cité. 
Comme dans un certain côté reggae, les types parlent de JahJah, de religion Rasta, se saluent dans la rue avec toutes les onomatopées possibles. Et de l'autre côté ils ont la Rolex, les voitures.
Ce sont des putains de consommateurs qui nous donnent des leçons dans leur chanson.
C'est DEAD !
Je ne fais pas de moral mais c'est cette dérvive qui m'exaspère. En fait, j'ai peur pour mon gosse !

Monsieur Lézard


"On imagine très bien la volonté des dirigeants d'en terminer
avec le statut des intermitents". 

 


Zopelartisto : J'imagine aussi qu'il n'y a pas que des bons côtés pour un artiste underground ?

M-sieur Lézard : Forcément ! Voilà le dernier aspect qui me fout en l'air, c'est l'intermittence.
Il faut que l'on bouffe nous aussi les artistes. Dans un système qui fait tout pour nous broyer.
J'avais lâché le statut de l'intermittence depuis quelques années mais je l'ai repris pour mon projet acoustique. Et puis, sans rentrer dans les détails, c'est plus simple quand tous les membres d'un groupe, avec Sanka et Jahvie, ont le statut d'intermittent. Nous avions alors deux chemins possibles dans cette aventure : 

1. Les tourneurs nous appellent pour jouer notre projet acoustique et là c'est le top. On vit musique !

2. Ca ne marche pas et alors on ne parle plus du tout de musique. 

Et comme tu le sais notre chemin et plutôt dans le petit 2 en ce moment. 42 cachets à enquiller + la débilité de l'administration face à l'intermittence. C'est un truc pour rendre les gens DINGUES.
On imagine très bien la volonté des dirigeants d'en terminer avec le statut des intermittents.
A cela il faut rajouter les patrons de bar qui nous font travailler au black. Ils ne paient pas la SACEM, ne nous font pas de contrat. Et bien sûr que je vais chanter pour 150 balles pour manger et nourrir ma famille !
On est dans un système d'esclavagisme, une pure exploitation artistique.

Zopelartisto : Quels sont tes sentiments actuellement ?

M-sieur Lézard : Je t'avoue que je vis bien en mode retrait en ce moment. 
Je m'amuse moins dans les gros festivals. Il y a une volonté de faire faire de l'argent au détriment du militantisme. Je peux immédiatement te citer le festival de la Fête de l'Humanité par exemple. Ces mêmes festivals ne respectent pas assez les artistes. Il faut être constamment à leur disposition que ce soit pour des horaires de balance, de passage, de rappel non prévu.
Je préfère davantage un lieu comme ce soir. Avec mon pote Sheïtano et venir rencontrer des "amis" dans un esprit bien plus familial et cosi.

Zopelartisto : Quels sont tes rêves ?

M-sieur Lézard :  Je ne suis pas intéressé pour aller en Jamaïque. Kingston ne m'intéresse pas. J'ai choisi depuis le départ de faire un truc français mais pas franchouillard, ça a toujours été mon discours. Je ne chante pas en anglais car je ne suis pas anglais. Je parle des trucs qui concernent les gens d'ici, je suis local, un Lézard local.
Mais ça semble trop banal, pas suprenant. Je ne vais pas fabriquer un produit pour vendre ma cam. Je n'ai jamais fait du son pour plaire, je vis toujours sans calcul. 
Je sais que ça va aller à l'encontre de ce que j'ai dit auparavant mais mon plus vieux rêve et mon seul rêve serait d'aller jouer au stade de Santiago du Chili devant 50 000 personnes.

Monsieur Lézard


"C'est pour ça que je vais tout défoncer sur scène tout à l'heure"! 
 

Zopelartisto : Peux-tu nous présenter la soirée de ce soir ?

M-sieur Lézard : Je vais me produire ce soir en format Sound System avec mon vieux pote SM 58. Mon micro préféré qui lui aussi a bien fait ses preuves. Il y aura les mecs du Tropikal SoundLasko l'alchimiste avec sa douce Jane Doe, Greg des Agy'T, DerfiOne.

Et surtout il y aura Henri le boss du bar. Il est en train de réussir ce pari de dingue de faire venir de sacrés artistes dans son p'tit bar perdu dans le trou du cul du monde.
J'étais curieux de venir et de sentir les raisons pour lesquelles tant de bons artistes reggae viennent ici.
Et bien j'ai tout compris depuis mon arrivée. C'est un immense esprit famille et hyper respectueux qui anime toutes les personnes ce soir. C'est pour ça que je vais tout défoncer sur scène tout à l'heure !

Crédit photos : Malo

Zopelartisto : Big Up ! Merci pour tes réponses. Je te laisse désormais tranquille mais auparavant que dirais-tu d'un Big Up pour les lecteurs et auditeurs de la Grosse Radio Reggae ?

M-sieur Lézard : Yes !

"L'homme qui n'a pas de musique en lui et qui n'est pas ému par le concert des sons harmonieux est propre aux trahisons, aux stratagèmes et aux rapines.
Les mouvements de son âme sont mornes comme la nuit, et ses affections noires comme l'Erèbe. Défiez-vous d'un tel homme !. ..
Écoutons la musique".
Le marchand de Venise
[ Shakespeare ]

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