Entretien avec Fatbabs et Naâman

Son premier EP, Daily Jam (la grosse chronique ici), étant sorti il y a quelques jours, le 17 février exactement, La Grosse Radio est partie à la rencontre de Fatbabs afin d'en savoir un peu plus sur cette production qui, il faut bien l'avouer, aura parfaitement réussi à nous conquérir.

Naâman
(normal, nous direz-vous) étant présent à ses côtés, nous en avons donc également profité pour lui poser quelques questions.

L'entretien s'est déroulé le 19 février dernier à Montreuil, le lendemain de la release party de Daily Jam au New Morning de Paris.

Bonjour Fatbabs, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. On te connaît avant tout comme le beatmaker de Naâman, mais peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?

Fatbabs : Bonjour, je suis DJ et beatmaker. Cela fait environ 10 ans que je fais de la musique. J'ai commencé par des DJ set dans ma campagne dans le Sud de la Manche. Puis, au fur et à mesure, je me suis mis à la production ; j'ai rencontré Naâman et on a commencé à faire des albums ensemble. Et là, j'ai sorti mon premier projet il y a deux jours, qui s'appelle Daily Jam.

Quelques réactions à propos du concert au New Morning ?

Fatbabs : Super vibes, franchement. J'ai ressenti des émotions très fortes, puisque j'étais bien entouré, qu'il s'agisse de mes potes ou des chanteurs qui sont venus m'accompagner. Tout était réel, sans faux-semblants, je kiffe quand ça se passe de cette façon. C'était mortel !

Naâman : En effet, c'était vraiment cool ! D'une certaine manière, c'était la première fois que je voyais Fatbabs depuis le public. Les spectateurs ont vraiment apprécié et tout de suite accroché et capté cette alchimie qui peut exister entre Fatbabs et moi. C'est très plaisant de voir Fatbabs jouer, il gesticule beaucoup, il est à fond dedans ! Les gens sont venus voir un vrai show ! 

Fatbabs, quelles ont été tes motivations pour ce projet solo ?

Fatbabs : En fait, avant de travailler avec Naâman, j'avais déjà l'habitude de sortir des sons en gratuit, des mixtapes ou ce genre de choses ; j'ai toujours aimé ça. Par la suite, j'ai été beaucoup trop occupé avec Naâman pour continuer de publier quelque chose pour moi. Mais après Rays of Resistance, j'ai commencé à avoir quelques prods, j'ai rencontré des musiciens et je me suis dit que ça pouvait être intéressant de sortir un EP. C'est comme ça que Daily Jam est né ; entre les deux albums de Naâman, c'était parfait de pouvoir élaborer un projet de six titres, un petit format pour mieux préparer la suite.

Avais-tu la volonté de produire quelque chose qui te ressemble plus musicalement parlant, contrairement à un album de Naâman, dans lequel on va également retrouver ses influences ?

Fatbabs : C'est vrai que naturellement je compose plus de hip-hop. Cependant, j'adore tous les styles, tout me plaît, j'aime tester des choses en permanence ; par conséquent, faire du reggae, ça m'aide encore plus à produire du hip-hop, ça élargit mon panel. Pour Daily Jam, j'ai donc composé les instrus sans m'imposer quoi que soit, sans me mettre de barrières. Tout s'est passé de la manière la plus naturelle possible.

Quelles ont été les étapes de l'élaboration de ce projet ?

Fatbabs : Comme son nom l'indique, l'EP s'est fait sur la route. En effet, en tant que DJ de Naâman, j'ai pu rencontrer les musiciens du groupe, voire même d'autres musiciens. Quant à l'enregistrement, ça s'est fait autant dans des salons que dans des meilleurs studios, l'idée de base étant de produire quelque chose de très spontané. Par exemple, j'avais une instru, je la faisais à écouter à un musicien et je lui demandais d'enregistrer un son qui se grefferait bien dessus, et finalement je ramenais tout ça chez moi pour faire ma propre mixture.

Daily Jam sonne assez boom-bap et 90's contrairement aux instrus trap en vogue dans le hip-hop contemporain. Tu n'es pas très en phase avec ce genre de prods ?

Fatbabs : Ce que tu dis est intéressant, puisque je me rends compte, ainsi que je le disais plus haut, que ce que j'ai composé de manière naturelle et spontanée, est issu de ce que j'écoute. Et ce sont plus des sons à l'ancienne que j'écoute. Mais plus le temps passe et plus je m'intéresse à de nouvelles choses. D'autant plus que si tu veux toucher un maximum de gens, il faut arriver à pouvoir mixer des influences autant old school que modernes. Je suis bien en phase avec la musique actuelle, mais ce projet-là résulte plus des trois dernières années. Mais maintenant que je découvre d'autres choses, mes prochaines prods seront différentes.

Le morceau avec Marcus Urani est le seul qui puisse être identifié reggae. Etait-ce pour te rapprocher de ce que tu peux produire avec Naâman ?

Fatbabs : Non pas spécifiquement ; une fois de plus, ce morceau s'est fait naturellement. A la base, il est orienté soul, et alors qu'on le travaillait avec Marcus Urani, il a posé un skank dessus, j'ai kiffé et on l'a gardé. Tout simplement.

Les feat. (Naâman, Kool A, Triple...) sont issus de ton entourage proche. Daily Jam est-il un EP "familial" ?

Fatbabs : D'une certaine manière, oui, puisque je connais toutes les personnes qui ont travaillé dessus, ça ne s'est pas fait avec des gens que je n'avais jamais vus auparavant. J'ai de la chance de pouvoir bosser avec Naâman, je savais donc qu'il interviendrait sur l'EP. Avec Marcus Urani, je n'avais pas nécessairement pensé à lui pour Daily Jam, mais il se trouve qu'il y a eu un très bon feeling entre nous au cours d'une soirée.

Feras-tu appel, à l'avenir, à des artistes que tu ne connais pas ?

Fatbabs : Oui, complètement. On le fait peut-être moins en France, mais cela existe beaucoup. Je trouve génial que des artistes qui ne se connaissent pas arrivent à entrer en contact et à faire une pure track. Tout est possible !

Avec Anderson .Paak, par exemple ?

Fatbabs : (rires) Lorsqu'on était en tournée en Inde avec Naâman récemment, on est arrivé dans une salle et le programmateur nous a dit que normalement Anderson .Paak devait également jouer. Mais bon, en fait il était aux Grammys. Peut-être qu'un jour c'est lui qui sera en Inde et nous aux Grammys. (rires)

Alors justement, Malibu d'Anderson .Paak fait partie des albums que tu as le plus écoutés l'année dernière. Que peux-tu dire à propos de cet artiste ?

Fatbabs : Il influence énormément de gens. Il correspond à un certain renouveau de la musique, dans lequel on retrouve aussi Kendrick Lamar ou Bruno Mars, dont le dernier album est très bien produit. Les musiciens sont mis en avant, le son groove, il danse, il a du style. Il en va de même pour Mac Miller, sa musique est bien faite, c'est organique. Et en France, je trouve que Nekfeu fait de très bonnes choses, en particulier sur les textes.

Que penses-tu de la scène hip-hop française actuelle, qui oscille entre des instrus à l'ancienne, trap, cloud rap, etc ?

Fatbabs : Je trouve qu'elle se porte bien. Il y a beaucoup de choses que j'écoute et que je trouve très bonnes. C'est vrai qu'il y a tout le délire trap avec des prods qui peuvent être excellentes. Même Nekfeu et son équipe ont ramené quelque chose de novateur où ils prennent exemple sur les Américains, je trouve ça cool !

Naâman, avec Taïro, Balik ou Biga*Ranx, tu fais partie de ces artistes reggae français très populaires. Ce succès est-il dû au fait que vous intégrez des éléments hip-hop dans votre façon de faire de la musique ?

Naâman : Je ne sais pas si c'est ça spécialement qui fait la différence. C'est juste que la musique évolue et, par conséquent, les chants reggae se teintent de flows hip-hop. Mais aujourd'hui, on sent que ce style s'épuise un peu, sachant qu'on l'a beaucoup entendu. Il est donc intéressant d'aller vers des dynamiques plus soul, par exemple. Ce qui participe du succès n'est pas nécessairement le hip-hop dans le reggae, mais la capacité à se renouveler.

Naâman, tu es monté sur scène avec BigFlo & Oli lors du dernier Reggae Sun Ska. Le reggae français ne souffre t-il pas d'aujourd'hui d'un manque de crossover, contrairement aux 90's et des feat. entre Nuttea et IAM, Raggasonic et NTM ?

Naâman : Non, je ne pense pas. Le reggae se diversifie beaucoup, via le dub par exemple. En ce qui concerne notre génération, on est assez ouvert, et si l'on voit un artiste issu d'un autre univers mais qui sait faire de la musique, on ne va pas hésiter à travailler avec lui. Aujourd'hui, pour survivre, le reggae a besoin de se mélanger et de s'adapter, de se diffuser dans les autres styles. Mais il faut tout de même reconnaître que les fans de reggae, et parfois nous les premiers, peuvent être assez conservateurs et freiner ce genre d'aventures crossover. Mais je trouve que ça change, les nouvelles générations ont moins de barrières.

Fatbabs : Je suis d'accord. On l'a encore vu hier soir, cette nouvelle génération diffuse une excellente vibe. La musique est faite pour être partagée. Mais c'est vrai que l'écart avec les personnes installées depuis longtemps dans le reggae peut être patent. C'est dommage que des jeunes qui arrivent se voient mettre des barrières, alors que ce qui compte avant tout c'est la musique, peu importe la manière dont tu la pratiques.

Vous étiez présents lors de Nuit Debout au printemps dernier. Que pouvez-vous dire sur ce mouvement ?   

Naâman : C'est un événement qu'on ne pouvait que soutenir. C'est important de pouvoir apporter notre contribution à un rassemblement du peuple qui est là pour s'exprimer par d'autres biais que les médias, tout comme pour Notre-Dame-des-Landes. Cette énergie qui pousse les gens à se réunir, il faut absolument en faire partie quand on peut. Ce n'est pas ça qui change le monde, mais il c'est primordial pour nous d'être du bon côté de la balance. Le reggae est une musique qui est pour la vie, il faut donc se battre pour cela.

Fatbabs : Je rejoins ce que disait Naâman, ça me fait plaisir de pouvoir participer à ce genre d'événement. Je suis ravi, en tant qu'artiste, de jouer de la musique pour ça.

Justement, vous avez fait une session sound system Place de la République en soutien au mouvement. Quelle a été la réaction du public ?

Naâman :  On a pu jouer là-bas, puisqu'il y a beaucoup de forces qui ont convergé. On s'est produit durant une heure et demie sur la sono du Roots Inity Sound System. C'était très spontané et le public l'a complètement ressenti. Les gens ont eu l'information juste avant. Ce n'était pas un grand live, mais l'énergie était bien présente.

C'est ce qui compte avant tout, l'énergie véhiculée...

Naâman : Tout à fait, surtout dans ce genre de rassemblement où c'est l'unité qui prime. On n'était pas venus faire de grands discours, juste partager un moment avec les manifestants. Le peuple a montré qu'il était capable de faire un sound system sur la Place de la République.

Vous l'avez rappelé plus haut, vous étiez en Inde tout récemment, ainsi que d'autres artistes Manudigital, Supa Mana, LMK, Tomawok, etc... Que se passe-t-il là-bas pour qu'autant de Français y soient présents ?

Naâman : L'année dernière, un festival reggae s'est monté pour la première fois en Inde sous l'impulsion d'un sound system assez militant, Reggae Rajahs. Beaucoup de gens ont donné de l'appui à ça, comme Delhi Sultanate ou le Français Rudy Roots. Ce festival a connu un certain rayonnement et beaucoup de Français notamment ont donc décidé d'aller voir ce qui se passait là-bas. Le reggae est naissant en Inde, mais il connaît un dynamisme certain. L'Inde est un pays immense où il existe une grande pauvreté, les gens ont, par conséquent, des choses à dire, et le reggae prend direct, c'est comme un feu qui s'embrase d'un coup. C'est une chance de pouvoir observer ça et on a l'impression de vivre un moment historique. C'est rempli d'artistes en tout genre, le spot est magnifique, c'est magique. D'autant plus que chacun fait un effort : les artistes paient leurs billets d'avion et ils sont rémunérés de manière identique, il n'y a pas de hiérarchie. Les gens viennent pour la vibe et ça se ressent énormément. Les artistes de tous les pays se rencontrent, ça crée des liens. Par exemple, Supa Mana a ramené en France Zafayah, un des meilleurs chanteurs reggae de Bulgarie, pour faire une tournée dans les Alpes. Goa permet de fortifier le reggae, ça lui apporte beaucoup de choses positives.

Fatbabs : Je ne suis pas resté longtemps, mais en tant que visiteur, c'était mortel ! Il existe une pure vibe, c'est la rencontre entre des gens cools et intéressants. On a été très bien accueillis par les Indiens à Mumbai et Bangalore. C'était une superbe expérience.

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Revenons à Daily Jam. Aura-t-il une ou plusieurs suites ?

Fatbabs : Daily Jam était un projet unique, raison pour laquelle je trouve marrant aussi de faire des lives uniques. En tout cas, peut-être qu'après l'album de Naâman, je me concentrerai à nouveau là-dessus. Quand ce sera le moment opportun, quand je sentirai l'inspiration venir, je me lancerai. De toute façon, on ne va pas arrêter de faire de la musique demain. (rires)

Naâman, tu as un album en préparation ?

Naâman : En effet. On est en plein dedans ; il y a eu la petite pause avec le projet de Fatbabs qui a duré (hésitations)...quinze jours (rires) et là du coup, on va s'y remettre. Je suis parti en Inde pendant un mois et demi, deux mois pour travailler les textes ; au préalable, on avait planché sur les instrus avec Fatbabs et l'équipe des musiciens en Bretagne. Ça se profile bien, on va vers d'autres choses mais qui demeurent tout aussi intéressantes. Pour l'instant, ce ne sont que des chansons "en l'air", on n'a pas encore commencé les maquettes de voix, mais j'ai hâte de voir ce que ça va pouvoir donner.

Fatbabs : On a vraiment envie de se laisser porter et de ne pas se mettre de barrières. Je pense qu'on va se faire plaisir en ce qui concerne les possibilités au niveau du chant. On est plutôt contents de ce qu'on a en l'état, mais on sait qu'il va falloir encore travailler pour accéder à un niveau d'exigence élevé.

Naâman : Avoir réalisé Rays of Resistance a été un bon entraînement ; c'était la première fois qu'on se retrouvait en studio, à essayer de faire marcher nos idées jusqu'au bout. On a beaucoup appris grâce à cela, ce qui nous permet, comme dit Fatbabs, de voir encore plus loin pour le prochain album. Et on s'accorde plus de temps, c'est cool !

C'était volontaire pour toi de partir en Inde afin d'y puiser une vibe spécifique pour tes textes ?

Naâman : En fait, il fallait surtout que je me repose après la tournée énorme qu'on a faite avec le groupe. J'avais besoin de cela pour retrouver l'inspiration. La priorité était donc de partir en Inde et de prendre du temps pour écrire.

Mais tu es allé en Inde comme tu pouvais te rendre dans un autre pays ?

Naâman : Non, puisque j'ai beaucoup d'attaches là-bas, ma copine est indienne. C'est la troisième année que j'y vais. Et c'est sûr que lorsqu'on est libéré du stress, on est beaucoup plus créatif, l'esprit se détache et c'est finalement bénéfique pour l'album. Rays of Resistance, qui est très intéressant lyricalement parlant, a été écrit dans ce genre de circonstance. Ça avait bien marché et je voulais me rapprocher de cela.

Y aura-t-il un feat. avec Bigflo & Oli sur l'album ?

Naâman : (rires) On en a déjà parlé avec eux, au détour de festivals, notamment le Reggae Sun Ska. On en discute, mais on ne se presse pas non plus. On attend plutôt d'avoir la bonne instru, ce n'est pas dit que ce soit sur un album dans l'immédiat. En tout cas, on s'entend bien avec eux, ce sont des artistes qu'on respecte pour leur travail. On verra ce qui arrivera, mais j'espère quand même qu'un feat. verra le jour dans les temps futurs.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Fatbabs : BIG UP La Grosse Radio ! Merci à vous de soutenir nos projets, tout ce qu'on fait avec Big Scoop Records, merci à vous pour la chronique de Daily Jam. Respect !

Naâman : Merci pour le soutien depuis long time ! Ça fait plaisir, quand les projets sont tout neufs, de pouvoir lire de beaux articles, avec un vrai travail d'observation des morceaux et de critique, qu'on peut faire partager après. Merci !

BIG UP à vous aussi Fatbabs et Naâman ! Merci de nous avoir accordé cet entretien. BIG UP également à Pierre et à Maxime Nordez d'iWelcom.

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