Interview de MC Jo Hell

C'est peu de temps avant son passage sur la scène de La Cave à Musique de Mâcon en première partie du Peuple de l'Herbe le 25 février dernier (live report ici) que nous sommes partis à la rencontre de MC Jo Hell.

Il est revenu, pour La Grosse Radio, sur son parcours, ses influences et ses impressions concernant la scène rap contemporaine française.

Et bien qu'il soit un MC hip-hop à part entière, nous avons tout de même abordé ses liens avec le reggae et le dub.

Bonjour MC Jo Hell, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Peux-tu te présenter ?

Bonjour, je m'appelle MC Jo Hell, je viens de Bourg-en-Bresse dans l'Ain. Je fais du rap depuis dix ans, on fête justement cet anniversaire cette année avec mon collectif, Plake Tournante. On a commencé le rap sur un coup de tête parce qu'on s'ennuyait les après-midis. On était près d'une quinzaine de copains à écrire des textes sur des bouts de papier. Petit à petit, certains ont vraiment continué, d'autres ont arrêté, et du coup on s'est retrouvé à quatre. De là est né le collectif Plake Tournante et ça fait environ cinq ans qu'on commence officiellement à tourner et à publier nos projets. Le premier, R.E.F.D.E.T.D.R. a paru en 2013. J'ai également un projet solo à mon crédit avec un maxi, La Même si j'ose, en 2012. Et mon premier album solo, L'Ambition de la Décadence, est sorti en juin 2016. Ça fait déjà quelques dates qu'on tourne avec celui-ci et on est ce soir à Mâcon pour le présenter. On a notre petit côté provincial, on ne le revendique pas nécessairement, mais on ne le cache pas non plus. On n'a pas pour objectif de rentrer dans le rap game, si on fait du hip-hop, c'est parce qu'on adore ça et que c'est un super moyen d'expression !
Pour finir, j'ai intégré récemment un autre collectif, Sons of Melody (inspiré de la série Sons of Anarchy), qui est composé de rappeurs qui viennent des quatre coins de la France, et même de Belgique. Notre premier EP, La Route est longue, est sorti il y a quelques semaines. En tant que rappeurs, on sait que la route est longue, mais on continuera de l'arpenter jusqu'au bout.

J'ai pu me faire une petite idée de votre son pendant les balances. C'est assez estampillé boom-bap, très old school ?

Tout à fait. On a tous un peu plus de 25 ans. Forcément, on utilise notre expérience et ce qu'on aime. Avant de me lancer dans le rap, j'étais plus dans le rock et les musiques électroniques On n'a jamais cherché à se caser dans quoi que ce soit, on n'est pas du tout puristes. Par contre, effectivement, nos influences restent boom-bap, c'est ce style-là qu'on a écouté au départ. Ce n'est pas un parti pris, plutôt quelque chose de naturel. Mais l'album est assez éclectique, on essaye d'aller piocher un peu partout. Par exemple, mon beatmaker, Chronos, est quelqu'un d'assez atypique, c'est un batteur de metal ; par conséquent, il n'a pas du tout les mêmes codes qu'un artiste hip-hop, bien qu'il vient du sampling également. On n'a pas peur d'avoir des beats hip-hop avec des wobbles, des sons très electros et d'utiliser l'autotune de temps en temps. Au final, pour moi, le hip-hop est synonyme de liberté et l'écriture est un outil que chacun peut s'accaparer pour faire ce qu'il a envie. On organise notamment des ateliers d'écriture à Bourg-en-Bresse et on essaye d'inculquer cet état d'esprit aux jeunes qui y participent.

Tu viens d'évoquer l'autotune qui est l'un des outils majeurs utilisés dans le hip-hop contemporain. Quelle vision as-tu de la scène française d'aujourd'hui ?

Je suis super bon public, j'écoute tout. Je te fais d'ailleurs un bon gros big up en tant que représentant d'une radio, puisque j'ai longtemps animé une émission de radio locale à Bourg-en-Bresse, à travers laquelle on essayait de parler un peu de tout ce qui se passait dans le rap d'aujourd'hui et de nous extraire des cadres dans lesquels on pouvait nous poser. J'écoute vraiment tout ce qui sort, mon but est de comprendre tout cet univers, de Jul à PNL en passant par SCH, Lacrim ou Sofiane, par exemple, et bien sûr, Nekfeu. Je trouve que tous ces artistes ont comme point commun de ne plus vouloir être mis dans des cases, c'est très intéressant. J'admire le fait qu'on puisse revendiquer de produire de la pop urbaine, je respecte cette façon de faire. Je ne suis pas de ceux qui disent que le rap doit être uniquement ceci ou cela. Ce sont surtout les initiatives indépendantes que je regarde ; Nekfeu, Jul ou PNL ont réussi à se faire tout seul et je respecte énormément cela.
Pour moi, le rap est porteur d'indépendance, c'est la musique de la débrouille. Je suis de cette génération qui, un jour, s'est acheté un micro USB, une carte son à 80 balles, pour faire sa propre musique. On s'est notamment enregistré sur un micro casque sur lequel nos grands frères jouaient à Counter Strike ! Après, en ce qui me concerne, un papier et un stylo, et caler quelques petites enceintes avec des potes un après-midi, ça fait de toi un rappeur. Le rap est synonyme de partage ; avant de venir ici, on est allé rencontrer des jeunes qui rappaient après avoir lancé un appel sur Mâcon pour voir les MCs du coin. A chaque fois qu'on se produit en concert, on essaye de faire ce genre de choses. On a tous quelque chose à apprendre les uns des autres, que tu te poses sur de la trap ou du boom-bap. Les gens qui seront avec moi sur scène ce soir sont souvent issus de ces rencontres fortuites.
Et en ce qui concerne l'autotune, on s'en sert à bon escient, à savoir mettre une note là où elle devrait être, alors que parfois elle est utilisée à l'envers dans le but de déformer la voix. A la base, il faut savoir que l'autotune a été créée pour caler la voix sur la bonne note par rapport à l'instru.

On a pu écouter un peu de dub et de dubstep également pendant les balances. Le reggae fait-il partie de tes influences ?

Je dis toujours que je suis le plus grand fan de Bob Marley que la terre ait jamais porté mais que je n'aime pas le reggae (rires). Pendant mon adolescence, j'ai pompé et repompé les Wailers. Il y a plusieurs années de cela, je me suis retrouvé en Nouvelle-Calédonie et je voyais des gamins qui trimballaient des sound systems sur leurs vélos et qui jouaient "Burnin' & Lootin'" et ce genre de choses, j'ai vraiment adoré ça ! Au final, je n'ai jamais pu retrouver ailleurs dans le reggae cette sensation de pureté que je pouvais décéler chez Bob Marley, à part Peter Tosh, bien évidemment. Je ne suis pas consommateur de reggae, mais je côtoie des gens provenant de cette culture-là et on s'entend super bien, puisqu'il existe ces aspects de partage, de rencontre, d'envie d'aller vers l'autre dont je te parlais plus haut. Je kiffe les soirées d'O.B.F., on a des potes à Bourg-en-Bresse, le Brainless Sound System, avec qui on tape des soirées dub jusqu'à cinq heures du matin.
Le métissage musical est la base même du hip-hop et je pense que c'est ce qui nous lie avec cette culture roots rock reggae.
Mais, oui, Bob Marley jusqu'à la mort, les autres, vous ne lui arrivez même pas à la cheville !! (rires)

mc jo hell, hip-hop, l'ambition de la décadence

Plus fan de dub que de reggae alors ?

Le dub, ça s'écoute devant un mur, comme dans les free parties que j'ai beaucoup fréquentées plus jeune. Je suis vraiment issu de cette culture-là avec le selecta derrière toi et le mur devant toi ; le reggae roots ça me parle moins. Je suis assez fan de la basse et du contretemps, mais devant un bon mur après avoir passé une soirée avec les copains.

Abordons les textes maintenant. Quels sont les thèmes que tu évoques dans tes morceaux ?

Avant tout, je parle beaucoup de mes expériences personnelles, c'est vraiment introspectif, là où d'autres vont plus se concentrer sur la société et l'environnement dans lequel ils vivent. Par contre, je ne veux surtout pas me poser en donneur de leçons comme certains rappeurs peuvent le faire. Je raconte ma vie à travers mes petits yeux, ce que je vois, tout en ayant conscience que je ne suis pas grand-chose, cet aspect revient assez souvent dans mes chansons. Sinon, j'évoque la débauche, la déglingue, le fait de ne pas se sentir à sa place. On vit dans une période charnière de notre société, on est tous dans l'attente d'un grand bouleversement alors que rien ne se passe, c'est le cas pour chaque élection, par exemple. On est dans cette phase de remise en question constante, "est-ce que je suis à ma place, est-ce que je ne pique pas celle de quelqu'un d'autre, est-ce que je ne devrais pas être ailleurs ?". Je pense que c'est la grande frustration de notre époque. Nous sommes des pauvres dans un pays riche, conscients du fait qu'on est beaucoup plus riches que les pauvres dans un pays pauvre, c'est assez difficile à vivre, enfin c'est comme cela que je le ressens. Mais pourtant, je suis le premier à me plaindre lorsque j'ai loupé mon bus, alors que ce n'est finalement pas si grave.

mc jo hell, la cave à  musique, mâcon

En ce qui concerne les influences pour l'écriture, tu vas piocher où ?

Très peu dans le rap. J'écrivais déjà des petites histoires quand j'étais gamin, un peu de poésie. Par ailleurs, j'ai fait beaucoup de vidéos, sachant que je suis également réalisateur de clips. J'ai commencé par monter des vidéos pour des rappeurs avant de me lancer dans le rap. Sinon, mes influences, c'est ma vie, c'est moi, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir volé le flow ou les textes de qui que ce soit. Je vais plus me référer, par exemple, à Kurt Cobain ou Freddie Mercury qu'à NTM ou IAM. D'autant plus qu'on peut me surprendre de temps en temps à critiquer le discours de "Laisse pas traîner ton fils" ou de "Petit Frère", des morceaux qui sont, selon moi, un peu trop dans la complainte. Au contraire, je serais plus du genre à dire : "retrousse-toi les manches, bouge-toi !".

Tout à fait, mais il s'agissait avant tout de titres bien calibrés FM...

Complètement, ce sont des morceaux qui sont sortis à une époque où on avait compris qu'il fallait mettre en avant des rappeurs afin de gagner de l'argent. Et ça a marché, puisqu'il y avait les millions de francs qui allaient avec. Je respecte ce "rap de quartier", mais ce n'est pas du tout ce qui m'a influencé dans l'amour que j'ai aujourd'hui pour le hip-hop. Ce que j'essaye d'expliquer aux gamins dans les ateliers d'écriture que j'anime à La Tannerie [salle de concert de Bourg-en-Bresse, NDLR], c'est qu'il faut s'émanciper de ces discours qui disent aux personnes issues des quartiers difficiles qu'ils ne peuvent pas accéder à telle ou telle chose du fait de leur origine sociale. Un rappeur du nom de Despo Rutti affirme qu'il doit y avoir plus d'avocats ou de juges qui les représentent et qu'il faut arrêter de croire que le foot ou le rap est le seul moyen pour eux de s'en sortir. Faites des études, devenez haut fonctionnaire, responsable commercial, directeur artistique, etc... Je crois à notre système éducatif, l'échelle sociale fonctionne malgré tout ce qu'on veut nous faire croire.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Un gros BIG UP à toi en tout cas. Ce n'était pas forcément prévu qu'on se rencontre, mais tu as accepté de discuter avec moi, je trouve ça cool, l'esprit d'ouverture ça fait super plaisir. Merci. J'espère que le concert va te plaire et que ça te permettra de dire du bien de moi. Mais bon, après tu fais ce que tu veux, je vais peut-être en prendre plein la gueule (rires) ! Mon album L'Ambition de la Décadence est disponible sur toutes les plateformes de téléchargement légal, n'hésitez pas à aller l'écouter !

BIG UP aussi à toi MC Jo Hell, merci de nous avoir accordé cette interview. Merci également à Julie et à La Cave à Musique de Mâcon.

Crédit photos : Live-i-Pix

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