Citoyen de la musique – Entretien avec Erik Arma

Erik Arma vient de sortir le premier album issu de son projet solo le 6 octobre dernier. Intitulé Citoyen Du Monde (la grosse chronique ici), il s'agit d'un opus plus personnel à la différence de ce que peut proposer le chanteur avec Broussaï.

Quelques jours après avoir suivi sa prestation à La Cave à Musique de Mâcon (le gros report ici), nous avons retrouvé Erik Arma dans un petit village près de Nuits-Saint-Georges en Côte d'Or où il donnait de nouveau un concert dans un cadre plus intimiste.

Erik Arma revient sur la genèse de son projet solo, la conception de l'album Citoyen Du Monde et sur les grands thèmes qui le traversent.

Bonjour Erik Arma, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Pourquoi t'être lancé en solo ? As-tu voulu suivre les traces de Tchong ou y a t-il d'autres motivations ?

Tout simplement, lorsque ça fait plus de 15 ans que tu fais une aventure de groupe qui comprend un duo de chanteurs, il y a un moment où, après avoir emmagasiné plusieurs chansons, tu as envie de produire ton disque solo à travers lequel tu prends toutes les décisions et dans lequel tu n'es pas dans le compromis. Mais il s'agit aussi de pouvoir se livrer sur des choses beaucoup plus personnelles, de parler de tes propres expériences, tes hauts, tes bas, tes joies, tes peines. Je parle vraiment de ma vie dans cet album. J'ai donc plus insisté sur les sentiments, les émotions, les états d'âme, etc, ce qui n'est pas le cas avec Broussaï où je trouve que ces aspects n'ont pas forcément leur place.
C'était aussi l'occasion de pouvoir m'entourer d'une dream team de musiciens que j'ai pu rencontrer ces vingt dernières années. A propos de Manu Garcia, le batteur, avec qui je suis pote et qui a notamment travaillé avec Sara Lugo, Pierpoljak ou Horace Andy, je lui ai dit : "Le jour où je produis un disque solo, c'est toi que je veux !" A tous les postes, j'ai sollicité les gens qui me semblaient les mieux placés pour le faire, afin de mettre en valeur cette musique très roots, parfois chanson, parfois soul.

S'agit-il uniquement de morceaux que tu as accumulés depuis 15 ans où en as-tu écrit spécifiquement pour l'occasion ?

En fait, le titre avec Jahneration, "Ici Et Maintenant", et qui me semble être l'un des meilleurs de l'album, je l'ai écrit deux semaines avant d'aller enregistrer. Par contre, celui avec Dubmatix, "Si Seulement", je l'ai écrit en 2013. Entre les deux morceaux, j'ai travaillé sur l'album In The Street avec Broussaï, la création et le conception de Citoyen Du Monde s'est donc étalée sur quatre ans. C'est la première fois que je développe un projet sur autant de temps, cet aspect est également très intéressant, sachant que d'habitude, on met plutôt un an et demi pour concevoir un album.

T'inscris-tu dans la tradition de la chanson française avec cet album ?

Oui, je pense. De toute façon, en faisant du reggae, on s'approprie une culture qui, à la base, n'est pas la nôtre. Mais en même temps, je ne peux pas m'extraire de mes racines et renier Brel, Brassens et tout ce que mes parents ont écouté. J'ai aussi beaucoup été bercé par la musique classique et le jazz ; mon père avait une collection incroyable de vinyles de jazz. Pour revenir à la chanson française, je kiffe moins Sardou que Brassens par exemple, mais ça c'est une histoire de goût (rires) ! Brassens, Brel et Ferré sont des artistes qui me parlent et qui me touchent, puisqu'ils vont te chercher dans les sentiments. Il est vrai qu'il y a un peu une inspiration qui vient de là dans le disque, puisque j'aime bien les choses poignantes qui vont t'atteindre dans la joie mais aussi dans les larmes. J'ai voulu construire l'album comme un parcours qui serait le reflet de notre vie avec un destin en dents de scie. Les vibes sont très différentes d'un morceau à un autre, on trouve des chansons joyeuses, d'autres beaucoup plus tristes.

Ton album est assez large, il transcende les frontières musicales. Es-tu un citoyen de la musique ?

Je n'avais pas pensé à ça, mais carrément ! De toute façon, le but est d'ouvrir nos œillères un maximum. Ce qui m'a plu dans l'expression citoyen du monde, c'est l'universalité. J'ai été pas mal touché par les événements liés aux personnes qu'on appelle les migrants. Quand je vois les levées de boucliers que cela engendre et souvent par les gens les plus riches dans nos pays riches, je me dis qu'on a la mémoire courte, vu que c'étaient nos grands-parents qui fuyaient le nazisme 70 ans plus tôt et qui se retrouvaient sur la route avec leurs enfants et une valise à la main. On nous explique que les migrants viennent chercher des allocations, peut-être mais il s'agit d'une infime minorité. Tu ne mets pas ta famille sur une embarcation de fortune surpeuplée, sachant que tu as une chance sur deux d'y rester, uniquement dans cette optique-là, c'est plutôt que tu es dans un désespoir total. C'est juste une question de survie.
Il faut ouvrir les frontières de notre esprit et penser à ce qu'il s'est passé au cours de notre histoire. Beaucoup d'éléments dans ce disque parlent de la réalisation de soi par le voyage. Le voyage est en effet l'une des manières par lesquelles je me suis construit culturellement et intellectuellement. Ça m'a ouvert l'esprit et j'ai pu ainsi me rendre compte de plein de choses que je n'aurai pas nécessairement assimilées si j'étais resté à Lyon ou dans ma campagne. Tu relativises énormément lorsque tu as plusieurs angles de vues ; c'est le voyage qui m'a permis cela.

"Avant de Partir" fait référence à ton père et "Si Seulement" à de grandes figures de la musique, de l'Histoire, etc. Peut-on voir aussi Citoyen Du Monde comme un album hommage ?

Sur certains titres, c'est ce qui ressort, en effet. "Avant de Partir" est le titre le plus personnel que j'ai jamais écrit. Ça a été très dur pour moi de perdre mon père en 2012. J'en ai bavé, puisque ça a été une histoire très compliquée. Mes parents se trouvaient à Fuerteventura aux Canaries et ma mère m'appelle du jour au lendemain pour m'annoncer que mon père était tombé et que c'était assez grave. Ils ne parlaient pas du tout espagnol et c'était très difficile pour eux de pouvoir gérer la situation. J'étais alors sur la route avec Broussaï, j'ai donc quitté la tournée pour les rejoindre en me disant que j'allais pouvoir rapatrier rapidement mon père. Sauf que ça ne s'est pas du tout passé comme ça, on ne pouvait pas faire revenir mon père en France et du coup je suis resté 6 semaines là-bas. J'ai donc vécu les derniers instants de mon père et ça a été extrêmement dur sachant que j'étais très proche de lui.
Vu que la musique est un excellent moyen d'exprimer tes joies, c'est aussi un formidable vecteur pour faire ressortir tes peines, de te délivrer. C'est une sorte d'exutoire. Ce morceau-là est venu me chercher et c'est effectivement un hommage à mon père. La plupart du temps, lorsque tu écris une chanson, tu réfléchis à un thème devant la feuille et c'est toi qui va la chercher ; au contraire, il existe quelques chansons qui, elles, viennent te chercher. Ce sont en général celles qui reflètent des moments intenses de ta vie : la perte d'un proche, une grande histoire d'amour, etc. Ce sont ces expériences qui motivent l'écriture de ces textes.
Beaucoup de chansons de cet album sont venues me chercher, elle est là l'histoire de ce disque. Je me livre, je me mets à nu ; c'est un album très personnel qui prend donc tout son sens dans une aventure solo. Il a fallu que j'aie 35 ans pour faire cet album ; en effet, avant cet âge, à 20 ans par exemple, tu n'as pas encore eu un enfant qui pâtit de tes absences comme dans "Ne M'en Veux Pas", tu n'as pas encore forcément vécu une histoire d'amour comme dans "Gimme Your Hand", tu n'as pas encore forcément perdu ton père comme dans "Avant De Partir", tu n'as pas encore forcément pris conscience de la diversité du monde comme dans "Citoyen Du Monde".

Les gens que tu cites dans "Si Seulement" sont-ils ceux qui t'ont construit en tant qu'artiste mais aussi en tant que personne ?

Exactement. L'idée du morceau est la suivante : on espère toujours être quelqu'un d'autre en regardant des étoiles comme Otis Redding, Michael Jackson, Nelson Mandela, Martin Luther King, etc, mais on se rend compte que c'est déjà extraordinaire ce qu'on est en train d'accomplir même si c'est simple. Des gens font des choses hors du commun mais elles ne sont pas forcément plus heureuses que toi. Il faut donc chercher le bonheur dans la simplicité et se contenter de ce qu'on fait. Je raconte des histoires à travers des personnalités qui ont influencé ma vie, notamment la black music, la black culture et des grands personnages de l'Histoire.

L'homme et sa fragilité face à l'immensité du monde,  c'est ce que tu as voulu exprimer dans cet album ?

Bien sûr. La pochette de l'album est tirée du clip "Citoyen Du Monde". On est parti en road trip au Maroc pendant 10 jours avec un vidéaste et avec un appui local qui s'avère être un pote qui travaille là-bas avec plein d'associations et notamment avec des nomades et des tribus très reculées qui ne voient jamais de touristes.
Sur la pochette, c'est moi qui marche tel un homme solitaire qui part dans l'immensité du monde et du désert. Du coup, on retrouve encore le terme partir dans la pochette. C'est un verbe qui a plusieurs niveaux de lecture : voyager, décéder, etc. C'est la notion centrale de l'album.
C'est en partant à la rencontre du monde que tu te rends compte de sa diversité. Et c'est finalement aberrant que les choses soient aussi cloisonnées, qu'il existe un tel obscurantisme tout simplement par méconnaissance.
Et c'est en partant à la rencontre du monde que tu te rends compte également de la fragilité de notre planète. L'environnement est, je pense, l'un des enjeux les plus cruciaux de notre époque, alors qu'on est complètement en train de passer à côté. Tellement de choses s'imposent à nous comme le chômage ou le terrorisme et qu'on ne peut pas faire autrement que les traiter tout de suite, qu'on néglige ce qu'il y a de plus important, à savoir assurer notre survie à long terme. On ne retrouve pas de texte spécifique sur la planète dans l'album, mais des idées sous-jacentes sont présentes dans beaucoup de chansons.

erik arma, citoyen du monde, interview

L'environnement est donc l'un des fils conducteurs ?

En partie, oui. C'est également quelque chose qui m'anime au quotidien en tant qu'être humain et pas que musicalement. Il se trouve que je suis chanteur et que j'écris des chansons, mais si la vie ne m'avait pas mené vers la musique, je pourrais être au côté des activistes de Greenpeace pour qui j'ai énormément de respect, ainsi que pour tous les gens qui font en sorte qu'on prenne conscience de l'importance de l'environnement. J'ai été très marqué également par le documentaire Before The Flood produit par Leonardo Di Caprio et qui relate la situation alarmante sur l'état de la planète. Son discours aux Nations Unies était juste magnifique. Dans le monde artistique, on a un gros rôle à jouer de ce point de vue-là, chacun à notre échelle bien évidemment et en toute humilité. Mais même si comme ce soir tu ne touches que 50 personnes dans un bar, c'est toujours ça, puisque ces personnes vont en parler autour d'elles et diffuser le message. On ne peut plus rester spectateurs du désespoir face à ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Je sais qu'on est bien peu de choses face aux multinationales par exemple, mais on écrit des chansons pour, au moins, prendre conscience et ça, c'est déjà beaucoup.

Les featurings (Jahneration, Dubmatix, Johnny Osbourne) sont tous trois de nationalité différente. Etait-ce volontaire pour rester sur cet aspect Citoyen Du Monde ?

Tout à fait. Je ne me l'étais pas fixé comme objectif impératif, mais lorsque les choses se sont construites, je trouvais que c'était intéressant d'amener cela.
Jahneration, ce sont les jeunes Français qui ont le vent en poupe en ce moment. Ils sont adorables, intelligents et talentueux. Je leur souhaite le meilleur et je trouve qu'ils méritent d'aller très loin. Je pense qu'ils vont avoir une très belle aventure artistique, je suis assez enthousiaste et optimiste pour eux. On avait fait quelques concerts ensemble avec Broussaï alors que j'étais en train de travailler sur mon projet solo. Ça a été un plaisir de faire le feat. avec eux. Quand j'ai enregistré le titre, "Ici Et Maintenant", le feat. n'était pas encore posé, mais je savais que c'était potentiellement un morceau où je pourrais inviter quelqu'un. Quand je leur ai proposé, ils ont eu un gros coup de cœur et ils ont voulu poser dessus. Une semaine plus tard, ils me renvoyaient leurs voix. Je trouve qu'ils ont déchiré et ensuite il y a eu le clip avec eux qui était un réel plaisir.
En ce qui concerne Dubmatix, je l'avais rencontré plusieurs fois sur des festivals comme le Reggae Sun Ska. On a eu un bon feeling, c'est quelqu'un que j'aime beaucoup. J'ai eu l'occasion d'écouter pas mal de ses prods et j'ai découvert cet ovni qui est très différent de ce qu'il peut faire d'habitude. Le riddim que j'ai utilisé pour "Si Seulement" comporte une clavinette façon "Superstition" de Stevie Wonder, alors que Dubmatix est pourtant plus porté sur le digital, ce qui n'est pas forcément mon truc. Je lui ai donc demandé si je pouvais prendre cette instru et il a accepté avec enthousiasme. On s'est beaucoup investis tous les deux par la suite sur le morceau, puisque j'ai retouché des textes suite à des retours qu'il m'avait fait. Malheureusement, ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, on communique donc à distance.
Et pour Johnny Osbourne, c'est le hasard des tournées. Reynald Litaudon, bassiste de Broussaï, l'avait fait venir sur la péniche Le Sirius à Lyon, puisqu'il organise des soirées reggae là-bas, les Lyon Reggae Sunday. Je lui ai proposé le titre "Peace" où j'avais également laissé de la place pour un éventuel featuring jamaïcain ou anglais. Au début, Johnny Osbourne était assez nonchalant et distant, mais quand il a écouté le son, tout s'est délié. Il a grave kiffé la prod et c'est même lui qui a proposé les chœurs. Du coup, on a passé toute une journée en studio, ce qui a donné lieu à un clip d'ailleurs. C'était une aventure éphémère mais magique, comme souvent avec les Jamaïcains.

Dubmatix a donc composé un des morceaux de l'album. As-tu fait appel à d'autres beatmakers ou à des membres de Broussaï ?

En fait, c'est aussi une des grandes particularités de cet album. Sur les albums de Broussaï, je compose environ un quart des morceaux. Au contraire, ce que je voulais avec Citoyen Du Monde, c'était l'écrire et le composer totalement, même les chœurs et les cuivres. C'est la raison pour laquelle ça a pris un peu plus de temps, puisque c'est un travail monumental. Les seuls titres que je n'ai pas composés sont donc "Si Seulement" par Dubmatix et "Peace" par mon collègue de Broussaï, Reynald Litaudon. Il est mon plus proche binôme artistique et j'ai aussi voulu m'entourer de lui comme arrangeur. Il a donc amené tout un tas de pistes additives à mes instrus sur 90% de l'album. Sinon, Thibaud Saby, ancien clavier de Wailing Trees et de Wibad et qui m'accompagne sur scène maintenant, a réarrangé la partie de piano sur "Avant De Partir". Jo Cocco, qui a été guitariste de Broussaï pendant un temps, a posé toutes les parties de guitare sur l'album et a également participé aux arrangements de "Rester Digne", sur lequel on retrouve aussi Jawad, le guitariste de Wailing Trees. Et puis j'ai posé un peu de guitare moi aussi.

Voulais-tu toucher un autre public extérieur au reggae en proposant de la chanson ou de la soul ?

Ça peut être une lecture, pourquoi pas. "Avant de Partir" touche tout le monde ; ce n'est pas un reggae roots. En fait, ce qui m'intéressait, c'était de développer des choses que je ne pouvais pas faire dans Broussaï. Les deux tiers de l'album sont des reggae très vintage, le genre de sonorités qui me parlent vraiment dans le reggae, d'inspiration Stephen Marley, Steel Pulse ou Bob Marley. Comme on le disait plus haut, j'aime beaucoup la chanson française, on peut retrouver cet aspect sur "Avant De Partir". Mais j'adore aussi la soul, Aretha Franklin, Otis Redding et tous les contemporains comme Amy Winehouse. "Gimme Your Hand" et "Live To The Full" sont marquées par ces vibes soul. J'aime bien varier les tonalités émotives mais j'aime bien varier aussi les styles musicaux.

Allez-vous recommencer le festival Contraste & Couleurs ?

Oui, cette deuxième édition se déroulera les 20 et 21 avril ; on sera donc sur deux jours contrairement à l'année dernière où il n'y avait qu'une soirée. La programmation va sortir d'ici peu, je n'ai donc pas le droit de dévoiler de noms. En tout cas, ça va satisfaire un maximum de gens qui sont venus l'an dernier.

Allez-vous ouvrir la programmation à d'autres genres musicaux ?

Oui, il y aura également du hip-hop.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Un maximum de respect à toute l'équipe. On est partenaires depuis des années, c'est un plaisir de travailler avec vous. Merci pour la diffusion ! Portez-vous bien et à très vite sur les routes !

Merci Erik Arma de nous avoir accordé cette interview !

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