Entretien avec Midnight Ravers

Le 29 novembre dernier, nous nous sommes rendus à Bourg-en-Bresse afin d'assister au concert de Midnight Ravers, le side project, avec des artistes maliens, de Dom Peter, batteur d'High Tone. Ce dernier était, pour l'occasion, accompagné de deux MCs, Meleke Tchatcho et MC Waraba de Supreme Talent Show, du musicien Assaba Drame ainsi que du dessinateur Emmanuel Prost, autre initiateur du projet et qui illustrait le concert en live & direct.

Ce show avait ceci de particulier qu'il se déroulait dans un hôtel du centre-ville de Bourg-en-Bresse, dans le cadre d'une exposition intitulée "Afrique Aujourd'hui". Qu'à cela ne tienne, l'alchimie était bel et bien au rendez-vous entre le public et les artistes.

Peu de temps après le concert, nous avons retrouvé Dom Peter. Celui-ci a bien accepté de répondre aux questions de La Grosse Radio.

Bonjour Dom Peter, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Quelques réactions générales à chaud sur le concert ?

J'avais déjà fait des concert avec les MCs à Bamako, mais là il s'agit d'une première avec eux dans une expo. On imagine plutôt les lieux d'expo avec de la musique expérimentale et calme alors que là, on était dans une ambiance festive avec de la bass music couplée à du rap malien. C'était un décalage en quelque sorte, mais les gens ont été très réceptifs et ont bien participé. Super content, en somme !

Quelles sont les configurations que vous présentez habituellement en live ?

En fait, les configurations s'enchaînent au fil des années. Au début, on faisait des expo musicales avec Emmanuel Prost, raison pour laquelle je ne suis pas choqué d'être là. A cette époque, j'étais encore tout seul sur scène, je ne me sentais pas encore prêt à accueillir d'autres artistes, sachant qu'on débutait le projet avec le premier album Le Triomphe Du Chaos en 2013.
Par la suite, Fatim Kouyate, une chanteuse de Bamako, a accepté de participer au deuxième album, Sou Kono, sur lequel elle a écrit cinq chansons à partir des maquettes que je lui avais envoyées. De là, on a fait deux ans de tournée à partir de cet opus avec Fatim Kouyate. On a d'ailleurs encore des demandes, mais il se trouve que Fatim est actuellement enceinte ; par conséquent, plutôt que d'annuler la tournée, j'ai proposé aux programmateurs ce line-up afro rap avec des MCs. On avait déjà fait des soirées à Bamako avec eux, donc c'était prêt. C'était ainsi l'occasion de présenter ce projet-là également avec Assaba Drame, l'un des auteurs de Midnight Ravers avec Emmanuel Prost et moi. Les MCs Meleke Tchatcho et Waraba sont à l'origine du crew Balani Show, à travers lequel ils diffusent un rap qui conserve l'ADN mandingue avec des instruments comme le balafon, le taman ou encore la kora : mondialiser le rap avec tout de même une spécificité malienne. C'est avant tout cet aspect qui m'a plu lorsque je suis arrivé à Bamako. Et vu que je ne comprends pas le bambara, il a fallu que je trouve une accroche au moins musicale (rires) !

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Ce soir, c'était donc la rencontre entre trois univers différents : un DJ européen, un musicien et des MCs hip-hop. Cette approche fait-elle partie de l'identité de Midnight Ravers ?

Bien sûr. Ça a toujours été une réflexion dans le travail de Midnight Ravers. J'ai pu me rendre compte au Mali que les artistes ne sont pas bloqués dans le folklore. On dit souvent des musiciens maliens qu'ils sont les plus talentueux, ils ont une grande maîtrise de leur instrument mais également du texte traditionnel et de l'oralité.

Avec les griots notamment...

Tout à fait. Ils sont garants de la tradition, mais ils suivent les évolutions de la société contemporaine, puisqu'ils en sont au centre. Ils organisent les mariages, ils règlent les problèmes à l'intérieur des familles, etc. Chaque famille a son griot.
Ainsi, les Maliens sont très ouverts au monde actuel et tout ce qu'il s'y passe et ça ne leur fait absolument pas peur de se joindre à des projets electro modernes. Beaucoup d'artistes ont électrifié le répertoire traditionnel, Salif Keïta par exemple. La nouvelle génération, quant à elle, a plus tendance à le revisiter en version électonique ou pop, afin que tout le monde puisse l'écouter.

Le fait que les Maliens sont de très grands musiciens explique t-il que beaucoup d'Européens se rendent au Mali comme Damon Albarn ou -M- ?

Pas mal de gens, mélomanes ou musiciens de petit ou grand niveau, passent en effet au Mali. On peut aussi citer Ry Cooder qui a enregistré avec Farka Touré. C'est notamment lié au blues mandingue et on pense même qu'il est à la base du blues américain.
Quant à moi, tout ce que j'avais pu écouter en musique électronique ne me plaisait pas, parce que trop commercial. A l'époque, on sortait d'une grosse période avec High Tone avec des prods dubstep notamment, on avait fait pas mal de dates et j'avais besoin d'autre chose : j'avais envie de kora, de flûtes, etc. Puis, l'occasion s'est présentée d'enregistrer au studio de Manjul ; par contre, je n'aurais jamais imaginé de pouvoir travailler avec des musiciens talentueux comme le frère de Toumani Diabaté ou encore Assaba Drame. Ils ont répondu favorablement à l'appel. Je pense donc que ces artistes sont demandeurs de ce genre de rencontres.
Pour revenir à -M-, je n'ai pas vraiment d'affection pour lui, mais je suis quand même toujours content que des gens puissent présenter le Mali de manière bienveillante. Toumani est également un ambassadeur de cela. Mais Mathieu Boogaerts avec BKO, c'est du son malien, et ça me parle beaucoup plus que -M-.

Manjul, c'était vraiment quelqu'un de voulu pour le premier album ?

En fait, c'est le cousin de ma femme ! A la base, je m'étais rendu au Mali pour voir la famille et c'était chez lui ! Et quand je suis arrivé, je ne soupçonnais pas qu'il connaissait autant de monde ! Je connaissais déjà la musique de Toumani Diabaté ou de Farka Touré, j'avais également commencé à lire quelques auteurs maliens et à m'intéresser au cinéma du Mali, puisque ma fascination pour ce pays avait déjà débuté avant que je m'y rende. Le Mali est présenté très négativement par les médias occidentaux et même s'il existe effectivement une pauvreté affligeante, il y a une richesse culturelle énorme là-bas ! On peut s'accrocher un moment avant de comprendre ne serait-ce que le quart de ce qu'il se passe au Mali. On est très loin derrière en terme de vivre-ensemble finalement. Et puis, il y a de la musique tous les soirs, c'est l'aventure en permanence, etc.

Qui lis-tu comme auteurs maliens ?

Massa Makan Diabaté, notamment, mais je suis surtout rentré dans la littérature malienne avec Amadou Hampâté Bâ, forcément. Sinon, j'apprécie d'autres auteurs d'Afrique de l'Ouest comme Alain Mabanckou par exemple. Mais c'est plus le cinéma malien qui m'a marqué avec Souleymane Cissé ou même Jean Rouch. Cependant, les films maliens sont quand même très difficiles d'accès, j'ai donc vu que ce que je n'ai pu trouver. Et il ne faut pas oublier les photographes qu'on peut trouver dans les biennales de photographie.

Pendant la première partie du set, avant l'arrivée des MCs, tu as ajouté beaucoup d'effets dub. Est-ce la touche High Tone que tu as apportée au sein de Midnight Ravers ?

Oui, disons que c'est quelque chose que je n'ai pas effacé dans mon travail du son, même si on ne retrouve pratiquement que des ballades dans le premier album. Je voulais en effet gommer l'aspect bass music et les beats. Mais j'y suis quand même revenu par la suite en faisant des concerts. Il y a plusieurs manières d'aborder la musique électronique, mais pour le traitement du son, j'ai donc repris les outils du dub (delay, reverb...) dont je ne peux pas me passer. Les techniques du dub sont inhérentes à beaucoup de musique et alors que le dub était avant tout un travail de studio, il est maintenant devenu une scène et un genre musical à part entière. Par contre, on ne retrouve pas de skank chez Midnight Ravers, ce n'était pas du tout mon objectif de toute façon. A l'époque, j'écoutais Jon Hopkins ou Murcof, c'est plutôt ce genre de choses que je voulais faire et qui étaient mes sources d'inspiration. Bon, je n'y suis pas arrivé (rires) !

Justement, la mixtape Kuma Soundz est, quant à elle, très electro...

Oui, c'est de l'afro-rave, le son de Durban en Afrique du Sud. C'est le genre de son que je joue en soirée et en club en formule DJ set et que j'appelle quand même Midnight Ravers, puisque le projet va de morceaux acoustiques à la kora jusqu'à ces ambiances plus electro ; et peu importe si les programmateurs ne s'y retrouvent pas (rires) ! Cette mixtape était le préalable à une tournée en festival et en club en Afrique de l'Ouest en mars dernier. C'était une chouette expérience qui m'a ouvert à d'autres pays et qui m'a donc permis de prendre du recul par rapport au Mali. J'ai pu découvrir un pays anglophone comme le Ghana ou voir que le Burkina-Faso ou la Côte d'Ivoire fonctionnaient autrement et n'étaient pas dans les mêmes modèles que le Mali.

La référence à Bob Marley est évidente à travers Midnight Ravers. Les titres du premier album Le Triomphe du Chaos sont-ils bien des citations du morceau en question ?

Oui. Le mec, il a tout pompé (rires) ! Déjà, il s'agit pour moi du morceau le plus dingue de Bob Marley, surtout en ce qui concerne les arrangements. Je n'ai jamais entendu autre chose qui sonnait comme cela. Et puis lorsqu'on était à Bamako avec Emmanuel Prost, on était de véritables midnight ravers, des noceurs de minuit ; on était tout le temps dehors, on sortait jusqu'à cinq heures du matin, on dormait quatre heures et on repartait à bloc. Ensuite quand je me suis mis à chercher les titres, tout résonnait finalement avec ce morceau.

Quels sont les projets à venir ?

Les MCs sont en préparation d'un album pour l'année prochaine. Fatim Kouyate va également bientôt sortir un EP. En ce qui concerne Midnight Ravers, il y a des choses en gestation mais qui ne sont pas prévues dans l'immédiat. La grosse artillerie avec album et tournée de 35 dates, ce n'est pas pour tout de suite. Ce seront plus des concerts ponctuels morcelés avec mon planning de High Tone. Mais on est là !

A propos de High Tone, quel est le batteur reggae qui t'a le plus inspiré ? Carlton Barrett, Sly Dunbar ou Style Scott ?

Carlton ! Tout ce qu'il a amené, c'est lui ! Les deux autres sont des horloges, mais avec un jeu de ouf tout de même. Santa Davis a aussi apporté quelque chose. Mais Carlton est en haut du classement, c'est clair !

Merci Dom Peter de nous avoir accordé cette interview !
Merci également à La Tannerie et à Julie, ainsi qu'à Julien de Jarring Effects !

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