Entretien avec Joe Pilgrim & The Ligerians

Peu de temps avant leur entrée en scène à L'Arc au Creusot le 25 janvier dernier (le gros report ici), nous sommes allés (une fois de plus) à la rencontre de Joe Pilgrim & The Ligerians.

Alors que "Use Your Time", le prochain single de leur EP Step Out (à paraître en mars), sera dévoilé demain, nous sommes revenus sur le premier morceau de cet EP, "Migrants" (voir ici). Joe Pilgrim ainsi que Gabriel Bouillon, guitariste du groupe, se sont ainsi longuement confiés sur ce nouveau projet.

Nous sommes également revenus sur leur collaboration avec Pilah : création live lors du Télérama Dub Festival (le gros report ici) et réédition de l'album Intuitions.

Bonjour Joe Pilgrim & The Ligerians, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. L'album Intuitions est sorti depuis deux ans, pouvez-vous dresser un bilan de la tournée ainsi que des quelques dates avec Pilah ?

Joe Pilgrim : On a fait une trentaine de dates en France ainsi qu'à l'étranger. Les retours du public ont été très bons, tant en ce qui concerne l'album que les concerts. Et on va d'ailleurs sortir un nouvel EP, toujours chez SoulNurse Records, l'association de production qui soutient les Ligerians ainsi que notre projet.

Gabriel : Avec Pilah, nous avons joué deux fois lors du Télérama Dub Festival. On a été dans d'excellentes conditions, on nous a laissé faire ce qu'on voulait. C'était un mélange entre du bidouillage, vu qu'on ne savait pas trop où on allait et qu'on a expérimenté ça sur le moment, et de bonnes sensations en live. Ça a été très bien reçu, puisqu'on nous en a redemandé. Ça a ouvert des portes, maintenant on attend un peu de voir comment ça va se passer.

Joe Pilgrim : On a vraiment revisité l'album Intuitions avec Pilah. Pour la première à Lyon en 2016, ça a été une exploration sonore, sachant qu'on a joué les morceaux dans un format album qu'on n'avait plus trop l'habitude de faire. C'était en quelque sorte une surprise pour nous et même pour le public. C'était l'euphorie, les gens sont restés et Frédéric Péguillan [fondateur, programmateur et directeur artistique du Télérama Dub Festival, NDLR] a été très étonné du rendu. Et du coup, on a été reprogrammé l'année suivante à Besançon. Maintenant, on essaye de réfléchir pourquoi pas sur une date parisienne. J'ai l'habitude de travailler avec Pilah [via le Dub Addict Sound System, NDLR], mais là c'était génial de l'avoir à côté de nous en train de reprendre nos morceaux, d'envoyer des effets, de faire des cuts, c'est-à-dire d'avoir ce délire studio mais en live. C'était une super expérience pour nous, vu que c'est quelque chose que l'on n'a pas l'habitude de voir, autant sur les scènes nationales qu'internationales. Je pense que c'est une configuration qui pourrait intéresser des producteurs et des artistes, mais il faut avouer que ça représente une logistique assez conséquente.

La réédition de l'album avec les quelques dubs mixés par Pilah fait-elle suite à ce projet en live où aviez-vous déjà envisagé de sortir quelques dubs avant même cette collaboration ?

Gabriel : Oui, c'est vraiment suite au Télérama Dub Festival. Avant, on ne se connaissait pas nécessairement avec Pilah, mais il avait déjà entendu ce qu'on faisait. Après le premier concert à Lyon, il m'a dit qu'il voudrait bien remixer des morceaux, car il aimait la prise de son, l'ambiance, etc. Du coup, il a vraiment redécouvert les titres après les avoir joués et il a pu bien s'en imprégner. Je lui ai donc envoyé les pistes, sans trop qu'on lui demande de faire des dubs d'ailleurs, il voulait simplement essayer quelque chose dans cette veine. Finalement, il a su sublimer les morceaux et proposer un travail qui nous convenait, même s'il a rajouté des éléments sonores à lui. En effet, avec les Ligerians, on fait toujours très attention à nos arrangements et à la forme qu'on donne à nos morceaux. On est peut-être parfois un peu trop exigeants, mais là on s'est vraiment laissé prendre.

joe pilgrim, the ligerians, interview

Il a eu carte blanche ?

Gabriel : Tout à fait !

Joe Pilgrim : J'ai notamment en tête le "Dub Fire", version du "Burn Fire", où il a vraiment transcendé le morceau avec sa touche.

Gabriel : Et en parallèle à cela, il a remasterisé complètement l'album pour le vinyle. Finalement, tout cela était très cohérent, puisqu'il a redonné une nouvelle couleur à Intuitions.

Joe Pilgrim : J'avais vraiment envie de joindre les deux bouts, ayant fait mes classes dans le dub avec Dub Addict Sound System et ayant travaillé par la suite avec les Ligerians. Je voulais savoir ce que pouvait donner la fusion des deux univers. Elle vient de là la proposition qu'on a faite à Frédéric Péguillan de nous programmer au Télérama Dub Festival. De façon empirique, on a pu démontrer que l'alchimie était bonne entre la qualité sonore des Ligerians associée à la qualité de production de Pilah. Il y aura sans doute de nouvelles choses.

L'actualité brûlante de Joe Pilgrim & The Ligerians, c'est la sortie de "Migrants". Pouvez-vous revenir sur la genèse et l'histoire de ce morceau ?

Joe Pilgrim : C'est une longue histoire avec beaucoup de péripéties ! (rires)

Gabriel : En effet, et si l'on veut revenir à la base, ce titre devait initialement être sur l'album Intuitions. Le riddim était déjà créé et Joe avait aussi quelques bribes de textes. On a finalement décidé de ne pas le sortir, puisqu'on voulait en faire autre chose. Et là arrive l'histoire de Joe. (rires)

Joe Pilgrim : Disons que le contexte du morceau date quand même d'avant la grosse vague migratoire débutée en 2014/2015. Je suis parti de l'idée que beaucoup de gens des pays du Sud, notamment de l'Afrique subsaharienne, partent rejoindre l'Europe. C'était quelque chose qui n'était pas trop relayé, mais on avait déjà connaissance de personnes qui se noyaient dans la Méditerranée. J'avais envie de rendre hommage à ces gens qui ont le courage de tout quitter et de partir.
Dès lors, on a commencé à voir les premières arrivées massives en Europe suite aux conflits en Syrie et en Lybie. Le camp de Calais, qui accueille des réfugiés depuis dix ou quinze ans commençait à grossir énormément. Cela est dû au fait que beaucoup des gens qui y sont installés sont en fait en transit et attendent de pouvoir passer en Angleterre.
Du coup, à partir du riddim qui était déjà là, j'ai eu envie de monter un projet musical avec d'autres chanteurs en se basant sur le principe du morceau "11'30 contre les lois racistes" où plusieurs artistes hip-hop rappaient sur la même instru. Ce titre m'avait beaucoup marqué et je voulais initier un mouvement de la sorte mais reggae. J'ai contacté plusieurs personnes, dont Soom T, mais vu qu'elle sortait son album à cette époque, la prod m'a dit qu'elle était trop occupée. Certains m'ont répondu, d'autres non, c'était donc assez difficile de pouvoir fédérer autour d'un projet commun.
Tout cela s'est passé en janvier/février 2016, juste après la sortie d'Intuitions et là, je me dis : "Je monte à Calais". J'ai emmené avec moi Ma Kata, chanteuse du groupe Doctor Red, ainsi que Juliette Baudot, une amie d'enfance aujourd'hui réalisatrice. Le but était de passer quelques jours là-bas afin de tourner quelques images pour en faire un clip documentaire.
C'était ainsi pour moi l'occasion de me rendre compte de la réalité des camps de réfugiés. En effet, ce qu'il peut se passer dans les gros camps en Turquie, en Syrie, en Somalie ou au Soudan, ce sont des choses qu'on ne voit pas en France. J'ai pu rencontrer des gens qui ont fait le choix de partir de leur pays à cause de la guerre.
On est donc monté à Calais, on a passé deux jours là-bas, et il se trouve que c'est tombé sur une journée où un juge dépêché par le gouvernement devait décider du démantèlement ou non du camp.
On a alors contacté Taleb des Rastas du Cœur qui nous a mis en relation avec un bénévole opérant dans le camp. Grâce à lui, on a pu approcher des Soudanais, qui nous ont accueilli, fait à manger, prêté leur lit, etc. Bref, on a vraiment vécu avec eux pendant ces quelques jours, c'était quelque chose de très fort humainement.
Finalement, avec les images tournées, on s'est dit qu'il fallait faire un mini-documentaire d'une douzaine de minutes avec la musique en toile de fond et les artistes qui se posent dessus. Mais comme je le disais plus haut, ça a été galère de rassembler tout le monde. On a donc décidé de se concentrer au préalable sur le clip "Migrants" avec les textes que j'avais déjà écrits.

Gabriel : Surtout que "Migrants" est un morceau qu'on joue déjà en live depuis environ un an. On avait cette chanson et il fallait qu'on la sorte tout en distribuant le riddim aux autres artistes pour qu'ils se posent dessus.

Joe Pilgrim : En effet, le but est de rassembler des chanteurs sur une cause. On est ensemble pour dire quelque chose et aider à une prise de conscience. Chacun peut donner sa vision de la situation. J'ai surtout envie de fédérer le mouvement reggae, puisque nous sommes tous à dire des chose de part et d'autre, c'est très joli, mais on a besoin de se regrouper autour d'un même projet. Je trouve que ça manque.

C'est difficile justement à faire de pouvoir rassembler plusieurs personnes ?

Joe Pilgrim : Ça dépend. Des collaborations entre artistes, ça se fait facilement. Mais je n'ai pas encore vu de chanteurs qui s'associent pour une cause. 

Gabriel : D'autant plus que certains ne nous connaissent pas et ont peut-être peur de s'aventurer sur un terrain qu'ils ne maîtrisent pas.

Joe Pilgrim : Oui, peut-être. Le plus important finalement est de savoir pourquoi on chante le reggae. Si je le fais et si je monte sur scène, c'est parce qu'il y a des valeurs à porter et à soutenir. Dans ma vie d'artiste, j'ai donc eu envie de de fédérer des gens qui sont dans la même mouvance et qui défendent également ces valeurs.

Gabriel : Et qui ont la chance de pouvoir s'exprimer.

Joe Pilgrim : Voilà. On a cette chance-là, utilisons donc notre force de frappe ! L'union fait la force ! Pour revenir à Calais, on a vraiment senti une énergie, une volonté de transformer les choses là-bas. Malgré les barrières et les obstacles, des gens ont traversé les mers et sont arrivés jusqu'en Europe. We are the power ! Je suis reparti de Calais avec cette conviction et cette force qu'on pouvait faire bouger les chose. C'est pour cela que j'ai décidé de lancer ce projet de collaboration avec d'autres artistes. Toutes les barrières qui existent sont en réalité des barrières mentales, on est esclave de nous-mêmes en fait. C'est également la propagande de Babylone en Europe de faire croire aux gens qu'ils n'ont pas le pouvoir. En tout cas, on a cette liberté de pouvoir entreprendre des choses plus facilement quelqu'un qui vit dans un Etat totalitaire et dictatorial. Voilà l'histoire de "Migrants".

Gabriel : Une dernière chose. Pour moi qui ai compilé toutes ces voix, c'est intéressant de voir que des gens très proches socialement ou qui ont des traits de caractère ou des visions très communs, comme Joe Pilgrim, Patko ou Nai-Jah, ne vont pas du tout raconter la même chose sur ce sujet. Joe Pilgrim avec "see dem cross the barriers" opère un constat, Rod Anton s'interroge sur les raisons du départ des migrants pendant que d'autres chantent plus poétiquement avec des histoires de bateaux ou de voyage. Cette compilation donne donc un panel d'observation plus que d'information.

"Migrants" est en fait le premier single d'un futur EP, Step Out. Pouvez-vous nous donner quelques pistes supplémentaires ?

Joe Pilgrim : On a commencé une nouvelle année, c'est donc l'occasion d'ouvrir un nouveau volet. "Migrants" est en effet le premier single, un autre va arriver courant février. L'EP sortira en mars, il y aura quatre titres avec sûrement quelques petites surprises, comme des remixes. Ce sera un EP entre versions chantées et dub. Il sera distribué en numérique, vu qu'on est en auto-production. Les bénéfices seront reversés à L'Auberge des Migrants, qui est l'association qui chapeaute toutes les autres à Calais.

Gabriel : Autant vous dire qu'ils vont se faire de l'argent ! (rires)

Joe Pilgrim : En effet ! Plus sérieusement, c'est une juste logique des choses. Mais il est vrai que là où on en est, il n'y a pas de petites économies. On plaisante peut-être un peu, mais parlons concrètement, à l'heure actuelle on a vraiment besoin de soutien financier pour pouvoir sortir de nouveaux projets en physique. J'en profite d'ailleurs pour remercier tous ceux qui nous supportent, dont Artik Ünit pour le booking, ou les différentes personnes indépendantes qui nous donnent la main à tous les niveaux, sans oublier tous les auditeurs qui nous écoutent et qui nous fournissent d'excellents retours.

Gabriel : Même si l'EP sortira en digital, on va tout de même essayer de faire en sorte de mettre à disposition un peu de physique pour les gens qui viendront à nos concerts. Venez nous voir en live !

Joe Pilgrim : Pour aborder le volet musical de l'EP, disons que celui-ci est plus rough qu'Intuitions.

Gabriel : Mais "Migrants" n'est pas nécessairement représentatif de l'ensemble de l'EP.

joe pilgrim, the ligerians, interview

En effet, on sent qu'il y a quand même une évolution dans votre son...

Gabriel : Tout à fait, mais "Migrants", je le mets hors du lot.

Petite question d'ordre général. SoulNurse, Brigante Records, ODGProd sont tous des labels tourangeaux. Comment expliquez-vous cette forte présence du reggae à Tours ?

Gabriel : En fait, Brigante Records, je ne les connais absolument pas ! ODG, je les connais un peu mieux, puisqu'on se croise régulièrement, j'ai joué sur le set d'Art-X plusieurs fois. On n'a pas nécessairement les mêmes sensibilités musicales, mais on se respecte et on ne se marche pas dessus. Biga*Ranx, on s'est vu beaucoup de fois puisqu'il est de Tours, mais ce n'est pas quelqu'un que je connais personnellement. Et puis je sais qu'avec les Ligerians, on a eu cette réputation d'être assez enfermé dans notre univers reggae roots. Ce que l'on n'est évidemment pas, mais qui a quand même une part de vérité, puisqu'à partir du moment où tu fais une musique "typée", ça ferme des portes à plein de gens qui n'aiment pas forcément le reggae et qui voudraient faire d'autres choses. Mais finalement, ces rencontres se passent même s'il n'est sort pas forcément grand-chose.
Sinon, le pire, c'est que tous les artistes de ces labels ne jouent pas à Tours. Certes, on a nos petits rendez-vous, on a joué plusieurs fois avec Rod Anton et Joe Pilgrim dans un bar chez qui c'est un peu la maison pour nous, mais on se produit très rarement à Tours. En fait, il n'y pas vraiment de public reggae dans cette ville. Donc, on est là-bas, mais on ne sait pas vraiment pourquoi... (rires)

Joe Pilgrim : D'un point de vue extérieur pour y être venu plusieurs fois, il y a une bonne école de jazz là-bas avec beaucoup de gens qui ont flirté avec celle-ci. De plus, j'ai l'impression que dans l'Ouest en général, il existe une mouvance très particulière en ce qui concerne le reggae, le dub, le sound system, etc...

Gabriel : Oui, il y a Nantes, la Bretagne.

Joe Pilgrim : Tout à fait. Et même Bordeaux ou Toulouse. Je n'ai pas si c'est la proximité de l'Océan qui amène de nouvelles effluves ou de l'Angleterre qui crée cela, mais on remarque vraiment une grosse émulsion autour du reggae dans cette partie de la France.

Gabriel : Et avec l'école de jazz, il y a aussi un Conservatoire qui est très dynamique. Il faut dire également qu'on n'est pas très loin de Paris. Beaucoup de bars programment des concerts et cela crée des rencontres entre musiciens. Ça amène donc des solutions concrètes pour s'organiser, jouer ensemble et faire de la matière.

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Allez-vous donner une suite à l'EP Blue Lotus avec Art-X ?

Gabriel : Ça fait un moment que je ne l'ai pas vu en fait ! On a beaucoup aimé faire cet EP ensemble et il a même hésité à le presser ces derniers temps, d'autant plus que Dizziness Design [graphiste qui travaille notamment avec Brigante Records, NDLR] avait fait une superbe pochette. Mais vu qu'on est très occupé chacun de notre côté, on n'a pas donné suite à cela. Mais on continue à se croiser réguilèrement, il est donc très probable qu'on produise un nouveau projet ensemble. Quant aux Ligerians, on était en enregistrement récemment, puisqu'on prépare d'autres choses au-delà de Joe Pilgrim et de Rod Anton.

Autre chose que du reggae ?

Gabriel : Non. Ce sera simplement avec d'autres chanteurs. Mais on ne va pas s'investir sur des albums comme on avait pu le faire avec Joe Pilgrim ou Rod Anton. Art-X ne sera pas loin aussi. Mais on n'a encore rien programmé et on s'est laissé tout le temps nécessaire pour que ce soit bien. Du coup, on ne peut encore rien annoncer, mais on enregistre.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Gabriel : On le redit sans arrêt, mais merci pour votre soutien. A chaque fois qu'on sort quelque chose, vous êtes les premiers dessus à annoncer et à soutenir. Franchement, ça fait plaisir ! On est un peu limité dans notre communication et on n'est pas forcément très bons là-dedans, donc le fait de voir des activistes du relais de la musique, ça nous touche vraiment.

Joe Pilgrim : Je soutiens complètement les propos de Gabriel. Encore une fois, merci La Grosse Radio de relayer tout cela et de permettre à la musique de vivre.

Merci à vous également Joe Pilgrim & The Ligerians de nous avoir accordé cette interview !

Crédit photos : Live-i-Pix

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