Entretien épique et drolatique – Feuilles De Roots au Grand Bastringue

C'est durant le festival du Grand Bastringue (le gros report ici) au cœur même de l'abbaye de Cluny en Bourgogne que nous sommes partis à la rencontre des Haut-Savoyards de Feuilles De Roots.

Pas si roots que cela en fait le combo. Enfin si, un peu quand même. Mais il pioche également dans le dancehall, le dub, l'electro, et j'en passe, mais aussi et surtout dans l'Histoire, celle avec un grand H, qu'il s'est plu à se réapproprier dans son premier album, Homme (la grosse chronique ici), sorti le 11 mai dernier chez Alpine Records.

Ainsi, pour être très clair une fois pour toutes, Feuilles De Roots qualifie sa musique de "reggae épique". Quesako ? C'est ce que nous proposons de découvrir dans cette interview menée avec les deux MCs du crew, Rebloch' Killah et PtiWam, au sein même d'un lieu lui aussi chargé d'Histoire.

Bonjour Feuilles De Roots, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Quelques réactions tout d'abord à propos du concert que vous venez de donner ?

PtiWam : C'était cool ! Le cadre et l'organisation sont terribles !

Rebloch' Killah : On n'a jamais été aussi bien accueillis ! (rires) Les bénévoles sont aux petits soins. Et concernant la technique, là aussi c'était génial. Il n'y avait pas beaucoup de monde au début, mais les gens sont arrivés au fur et à mesure.

PtiWam : Ça fait plaisir d'ouvrir un festival comme celui-ci, c'est très gratifiant.

Parlons maintenant de votre album, Homme. L'Histoire de l'Homme a déjà été racontée par des écrivains, des historiens, etc. Qu'est-ce que cela apporte de plus de la faire en reggae ?

PtiWam : Je ne sais si cela peut apporter quelque chose en plus. Par contre, cela nous a permis d'aller dans toutes les directions possibles, de pouvoir explorer tous les styles de musique sans nous brider. Ce n'est pas parce que nous sommes un groupe de reggae qu'on allait se limiter uniquement au reggae. C'est justement la raison pour laquelle qu'on dit qu'on joue du reggae épique, puisqu'on veut aller chercher un peu de tout, que ce soit du hip-hop moyen-âgeux, de l'electro swing dancehall. On fait cela pour s'éclater et pour raconter une histoire. On est par exemple très fans de Stupeflip ou des Casseurs Flowters avec Orelsan et Gringe. On voulait donc nous aussi, notre histoire, notre moment épique ! (rires)

Rebloch' Killah : Et ça permet également d'apporter un autre discours. Plutôt que de produire des morceaux "conscients" qu'on entend habituellement dans le reggae français, on avait envie de proposer un autre regard sur les choses. L'idée était de poser un constat sur l'Histoire de l'homme : si on connaît mieux notre passé, on anticipe mieux notre avenir. C'est en cela que l'Histoire est importante, c'est pourquoi c'est cet angle d'attaque qui a été choisi. Il y a des thèmes qu'on a pris à la légère et d'autres sur un ton plus grave. Cela a permis de mettre en lumière plusieurs événements sans forcément les dénoncer au premier degré.
Et puis aussi, il y avait l'optique de casser les codes, changer le mode de narration. Ça n'avait encore jamais été fait dans le reggae ce regard sur l'Histoire.

                   feuilles de roots, homme, interview

Reggae épique ça signifie donc reggae éclectique ?

PtiWam : Exactement ! Sauf que reggae éclectique, c'est chiant à dire (rires)

Rebloch' Killah : Littéralement, épique vient d'épopée. Et une épopée, c'est une histoire de l'homme, donc ça collait parfaitement pour notre album.

PtiWam : Epique c'est également connoté apocalyptique, grandiose, grande aventure, etc...

Rebloch' Killah : Du coup, ça représente bien aussi ce qu'on est sur scène, vu qu'on aime bien faire les fous, avoir des morceaux qui montent en pression.

PtiWam : On est vachement modestes (rires) !

Rebloch' Killah : On aime bien s'amuser, aller dans le "too much". Reggae épique ça veut aussi dire reggae parodique. Ça sonne un peu Monty Python en fait...

PtiWam : Pour rebondir sur les propos de Rebloch' Killah concernant les morceaux graves et d'autres plus légers, on cherche à avoir des enchaînements de chansons qui soient vraiment appropriés. Par exemple, "Super Jésus" est plutôt drôle, alors que le morceau qui suit, "Croisade 3.0" ne l'est pas du tout. Dans ce titre, je joue le rôle d'un ménestrel pendant que Rebloch' Killah campe celui d'un moine copiste, une sorte d'extrémiste religieux comme il en existe aujourd'hui.

Rebloch' Killah : En effet. Ces deux morceaux sont dans une continuité mais à plusieurs siècles d'intervalle. C'est un parti pris, nous l'assumons. On a souvent grossi le trait, car on ne voulait pas faire un cours d'Histoire non plus.

PtiWam : Quoique ta chanson sur Louis XIV n'est pas très loin du cours d'Histoire. D'ailleurs, si des professeurs nous écoutent, ils peuvent clairement s'en inspirer. Ce morceau a beaucoup de choses à apprendre, notamment via les dates.

Pour rester sur l'éclectisme, mais en dérivant légèrement l'interview, les Major Lazer sont-ils une référence pour vous concernant leur musique riche d'influence et complètement délirante et barrée ?

PtiWam : Bien sûr. Après, on ne s'en pas encore inspiré directement. Mais on ne va pas se cacher, on adore ! C'est monstrueux !

Rebloch' Killah : Musicalement, ils vont chercher dans des registres totalement improbables et ils sont toujours à nous surprendre à chaque sortie d'album ou d'EP.

Ptiwam : L'un de leurs derniers morceaux, "Tip Pon It", avec Sean Paul, c'est juste un bonheur.

Rebloch' Killah : C'est sûr qu'on baigne clairement là-dedans.

Revenons à l'album. Comment avez abordé l'écriture. Vous êtes-vous replongés dans vos manuels d'histoire ?

Rebloch' Killah : Le premier travail, qui a été le plus long d'ailleurs, a été de déterminer sur quelles époques nous allions écrire. On avait le concept d'Histoire de l'Homme, mais on ne savait pas trop encore où on allait se fixer. Puis il a fallu s'arrêter sur un thème précis pour chaque époque et sur la tonalité (sérieuse, grave, informative, etc) qu'on donnerait au morceau. On a donc élaboré ce squelette au préalable avant de se documenter.

PtiWam : On a construit une grande fresque dans laquelle on a détaillé l'époque, les influences, le thème à aborder et le style musical pour chaque morceau. Et ensuite il a fallu faire des choix, puisqu'on avait beaucoup d'idées.

Rebloch' Killah : On aurait pu faire cinq albums avec tout ce qu'on avait ! (rires)

PtiWam : En effet. On voulait faire les cow-boys, la conquête de l'Amérique, le Japon féodal, etc. Finalement, on s'est concentré sur l'Histoire européenne, la nôtre, celle qu'on nous raconte à l'école et qui parle à tout Français, puisque cet album s'adresse avant tout à des Français et qu'on chante en français.
Après ce squelette, on a donc commencé à se documenter, mais plutôt de façon légère pour approfondir ensuite. Pour "Homme" par exemple, on a regardé La Guerre Du Feu de Jean-Jacques Annaud. A l'époque, il y avait encore Armel, le troisième MC, dans le groupe et tous les mardi soirs on se faisait des sessions d'écriture et vidéos chez lui. Pour "Ombre & Lumière", sur l'Egypte, on avait d'abord regardé Le Prince d'Egypte (rires).

Rebloch' Killah : Le Prince d'Egypte, c'était pour la première version, qui était beaucoup plus dessin animé pour enfants. Celle qui est sur l'album, ça doit être la cinquième (rires).
Pour "Super Jésus", on s'est inspiré de La Vie de Brian ; on a d'ailleurs samplé quelques extraits sonores.

PtiWam : "Apocalypse", sur la Seconde Guerre Mondiale, est tiré du documentaire du même nom, commenté par Mathieu Kassovitz, qu'on a pas mal visionné. On a pris des belles baffes avec ça.

Rebloch' Killah : On a aussi dévoré des livres de François Reynaert, journaliste à L'Obs, qui a écrit, entre autres, Nos Ancêtres les Gaulois et autres fadaises, dans lequel il reprend, point par point, toutes les grandes étapes de l'Histoire de France afin de les remettre en perspective et de les démythifier. L'Histoire qu'on nous enseigne à l'école est majoritairement issue de l'idéologie nationaliste du XIXème siècle à une époque où on construisait la France en tant que nation. D'une certaine manière, on a cherché à aller en dehors des sentiers battus, mais il existe bien évidemment plusieurs degrés de lecture dans notre album.

PtiWam : Il y a en effet plusieurs interprétations possibles. On voulait aussi symboliser l'Histoire comme éternel recommencement, cette boucle, ce cycle de l'homme. Je ne sais pas si on a réussi à mettre le doigt dessus, en tout cas on s'est bien marré.

Rebloch' Killah : Ça, ce sera au public de le dire ! (rires)

Comment avez-vous procédé pour "mettre en musique" vos textes ?

Rebloch' Killah : Certains textes ont été faits avant les instrus, c'est le cas de "XIV" ou d'"Apocalypse". D'habitude, on a les riddims et ensuite on colle les textes dessus, mais pour cet album, on a essayé d'avoir la démarche inverse.

PtiWam : Pour "La Valeur de nos actes", on a eu trois ou quatre versions avant d'aboutir au texte final. Finalement, on a choisi de mettre des extraits et des samples, car rien de mieux que l'Homme pour raconter l'Homme. On n'avait pas envie d'avoir cette image de moralisateurs.

Rebloch' Killah : On raconte juste une histoire en pointant des faits et en s'arrêtant à certaines époques : le but n'était pas de dire "Ah regardez comme l'Homme est méchant !".

PtiWam : Il faut dire que pour chaque session d'écriture, on partait dans le pessimisme. Et c'est en découvrant des citations de personnes célèbres de notre époque qu'on a repris confiance en l'humain.

Rebloch' Killah : Surtout qu'on a pris des artistes (Brel, Brassens, Balavoine, etc) qui, même s'ils ne sont pas nécessairement catalogués comme optimistes, ont pu prononcer des phrases avec des touches d'espoir. Il ne s'agissait pas non plus de garder un constat amer et de finir en dépression nerveuse.

PtiWam : Et on a conclu l'album avec un futur hypothétique...

Rebloch' Killah : La guerre contre les intelligences artificielles.

PtiWam : Pour le coup, notre grande source d'inspiration a été Terminator.

Lors de votre concert, avant d'entamer "La Yaute en action", vous avez fait explicitement référence à la date du 24 mars 1860 qui correspond à l'annexion de la Savoie à la France. Pourquoi ne pas avoir produit un morceau sur cet événement dans votre album ?

PtiWam : Les références de geek à la con qu'on a (rires) ! Mais en fait, tu nous fais plaisir. Grâce à toi, on va pouvoir continuer à le mentionner pendant nos concert (rires).

Et pour les années 80, pourquoi avoir repris Eurythmics et pas Gold ou Début de soirée ?

PtiWam : C'est une idée de moi. Ça fait environ trois ans que ça me trotte dans la tête ce moment où on reprendrait "Sweet Dreams". Tout le monde connaît les paroles, même en yaourt ! C'est très fédérateur comme morceau.
Pour l'anecdote, à l'époque du mouvement contre le CPE en 2006, je jouais de la guitare et chantais dans un groupe de punk avec quelques potes. Et lors d'un blocage dans notre lycée, on avait ramené les instruments et les amplis, mais on ne savait pas quoi jouer. Du coup, j'ai entonné "Sweet Dreams" et tout le monde s'est mis à chanter. On est en plein dans le kitsch des 80's, mais tout un chacun adore !

Rebloch' Killah : C'est un bon morceau. Et cette ambiance kitsch, on l'a reprise dans "Laser 2000".

PtiWam : C'est un petit plaisir coupable. Pour "Laser 2000", on s'est inspiré de Kung Fury où on retrouve David Hasselhof.

Rebloch' Killah : Ça vaut le détour ! Il y a des dinosaures et des nazis. C'est complètement barré avec une ambiance rétro-futuriste nostalgique des 80's. Tu vas aimer !
Et pour revenir à "Sweet Dreams", ça colle bien à notre morceau "Vent du Rêve".

PtiWam : Tout à fait ! "Vent du Rêve", c'est le premier morceau où on s'est donné une vraie direction artistique, vu qu'avant on ne s'était pas trop foulé sur les paroles et du coup on voulait continuer à la faire cette chanson. 

Philman, le bassiste du groupe, intervient alors : Tout ce qu'ils viennent de te raconter, c'est ni plus ni moins ce qu'il se passe dans leur tête au quotidien. Toi, tu ne vis pas avec, mais nous oui (rires) ! En fait, Rebloch' Killah n'a jamais vraiment grandi, c'est un dessin animé dans sa tête. Quant à PtiWam, c'est un cinéaste, il voit sa vie comme au cinéma. Par conséquent, tout ce qu'ils écrivent dans leurs chansons leur vient assez naturellement, même s'il y a beaucoup de travail. Le reggae épique, ça les représente parfaitement, puisque c'est vraiment eux et personne d'autre ne pourra copier ce que l'on fait.

Revenons maintenant aux liens entre l'album et votre set. Vous rajoutez des citations inédites de Bernard Métraux, le narrateur sur Homme, au cours de votre concert...

Rebloch' Killah : On a fait venir Bernard Métraux en studio lors de l'enregistrement de l'album. Tout s'est fait très rapidement, sachant qu'il n'était présent qu'une après-midi.

PtiWam : Il nous a bien aidés sur certains choix artistiques. Et c'est d'ailleurs lui qui nous a suggéré de continuer sur cette lancée sur scène.

Rebloch' Killah : Mais on s'est dit qu'on n'allait pas reprendre les mêmes voix off que dans l'album. On ne voulait pas faire l'album en live, c'est pour cela que l'ordre des chansons n'est pas respecté.

PtiWam : Le courant est tellement bien passé entre nous qu'on lui a demandé de revenir à la maison et il a passé la journée à réenregistrer des voix pour la scène. Il a même mangé avec nous, c'est un mec génial ! Il nous a donné beaucoup d'idées et il est même à l'origine du titre du dernier morceau, "Enfin Seul". Il a apporté beaucoup de maturité à cet album.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

PtiWam : Rouflaquette !

Rebloch' Killah : Strapontin !

BIG UP Feuilles De Roots !! Merci de nous avoir accordé cette interview !!
Merci également à Anaëlle pour avoir organisé cette rencontre !!

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