M83 – Junk

Après l'immense succès remporté par Hurry up, we're dreaming (2011), Anthony Gonzalez a pris le temps. De tourner déjà, mais d'après ses dires, l'homme avait également besoin de prendre un break, de faire un peu autre chose, avant de se décider sur la direction à prendre. De sorte qu'il a repoussé le retour de M83 de diverses façons : en participant à l'écriture de la bande originale du film de science fiction Oblivion (2013), une expérience dont les limites (le film est un véhicule pour Tom Cruise budgété très cher avec des producteurs qui veulent une touche indé mais pas trop) l'ont laissé frustré. La même année, il composa une autre bande originale, celle de Les Rencontres d'Après Minuit, réalisé par son frère et collaborateur régulier Yann Gonzalez. Ces expériences derrière lui, Anthony a mis du temps à se décider. Il l'avouait bien volontiers sur la BBC, le succès et la pression qui va avec n'ont pas été simples à gérer. Après de nombreuses interrogations, le chanteur a décidé de s'accorder une totale liberté. Après tout, s'il peut se le permettre, c'est bien maintenant.

Contrairement à une idée répandue, un artiste qui dispose d'une totale liberté de création n'est pas nécessairement une bonne chose. Les exemples de créateurs qui ne parviennent à donner le meilleur d'eux-mêmes que lorsqu'ils sont parvenus à réunir la bonne équipe, ou tout du moins quand ils ont une certaine pression sur le dos qui les incite à faire quelques compromis, sont légion : quand George Lucas a eu la liberté artistique totale (et après avoir viré tous ses anciens camarades pour garder seul tous les droits d'auteur), ça a donné Jar Jar Binks et 3 épisodes bien merdiques. Bref, tout ça pour dire qu'après un premier single décevant ("Do it Try it", à peine sympatoche), la perspective d'entendre Anthony Gonzalez en roue libre était tout de suite moins séduisante.


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Comme pouvait le laisser entendre le single cité ci-dessus, Junk (l'album donc) tranche assez radicalement avec le son de M83 développé sur les albums précédents. Fini ce son vibrant d'émotion avec des vocaux venus d'un autre monde qui collaient des frissons, Junk est bien plus terre à terre. Déçu par ses expériences récentes mais aussi plus largement par le monde qui l'entoure, et en grand mélancolique et nostalgique qu'il est, Gonzalez a décidé de rendre hommage à la période musicale qu'il apprécie le plus, à savoir les années 1980 (même si les années 1970 ne sont jamais loin). On entend donc du ABBA, du Bee Gees, de la disco, et plus généralement, des sons et ambiances que l'on croyait oubliés dans les limbes du passé (certains intermèdes ressemblent presque à des génériques de séries télé bien ringardes), dans une démarche qui n'est pas sans rappeler les récents travaux de Daft Punk et qui explique le titre de l'album.

Pourquoi Junk donc ? Il s'agit d'une petite métaphore qui invite à reconsidérer l'insignifiant, à trouver la beauté là où on ne l'attendait pas (plus), en bref à délaisser la gloire du superficiel si chère à notre époque pour retrouver davantage de substance. C'est pourquoi Gonzalez a choisi de se tourner vers une époque où, selon lui (on peut être d'accord ou pas), la musique était plus "vraie", davantage tournée vers l'émotion et la transmission de l'émotion. Dès lors, il devient indispensable d'adhérer à ce parti pris passéiste pour avoir une chance d'apprécier ce 7e album de M83. Si ce n'est pas le cas, la déception sera immanquablement au rendez-vous.
 


Pourtant, une fois la surprise passée, et pour peu que l'on ne soit pas allergique aux ambiances développées ici, l'album n'est pas dénué de qualités, même s'il s'agit davantage d'une récréation amusante que d'un nouvel album marquant. Reste que la plupart des titres sont entraînants, que les ballades sont gorgées d'émotion ("Atlantique sud" chantée en français, pourrait faire un malheur aux USA), qu'il y a quelques tubes en puissance ici et là, et qu'on passe un bon moment. Un bon moment oui, mais certainement pas un grand moment. Là où on attendait des retrouvailles dignes de ce nom avec un des groupes les plus marquants des années 2000, on n'a droit qu'à un album sympathique qui délaisse ses éléments les plus caractéristiques pour un recyclage (par ailleurs très bien exécuté) de gimmicks et sons représentatifs d'une époque lointaine.


On sent que Anthony Gonzalez s'est fait plaisir avant tout, à tel point que Junk est davantage un album solo qu'un album de M83. Certes, l'homme a toujours été le seul maître à bord de son projet. Mais si Steven Wilson a délaissé Porcupine tree, dont il était également le seul compositeur, pour se lancer dans une carrière "solo", c'était avant tout pour ne plus avoir à respecter l'héritage de son groupe et pouvoir se permettre tout et n'importe quoi. Gonzalez, lui, se permet donc un grand chmabardement tout en conservant le nom M83. Difficile de le lui reprocher : à l'instar de Trent Reznor et Nine Inch Nails, M83 est sa chose. Mais sortir l'album sous un autre nom nous aurait peut-être permis, à nous auditeurs, de le considérer différemment, et de lui accorder plus volontiers le titre de bon album qu'il mérite. En l'état, la déception reste tapie dans l'ombre et empêche le bilan d'être plus reluisant.
 

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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