2:13PM – Matkormano

Il ne s'agissait pas d'un défi. Ni d'une ambition. Mais d'une traduction. Et toute traduction comporte des difficultés majeures. La première c'est que traduire c'est surtout restituer. Et la seconde, c'est que restituer revient souvent à trahir.

Nous avions récemment parlé de Julien Louvet pour la sortie de Et ils franchirent le seuil sous son projet The Austrasian Goat, avec Cober Ord. Pour ce disque, afin de limiter la part du fantasme (dont une proportion reste nécessaire) ils avaient choisi l'imprégnation des lieux.

C'est en partie ce procédé qui a servi de base à Julien Louvet et Eric Duriez pour la construction de l'objet à la forme double que nous vous présentons : un film ainsi que la musique qui l'illustre sur l'affaire du Mage de Marsal.

Dans toute entreprise de ce genre, deux visions se combattent ou se complètent. Certaines relèvent du fait, en recherchant la perception de l'événement, son onde de choc à travers le témoignage, son degré de scandale.
Une autre vision cherche à capter l'aura, comprendre le comment. En se concentrant sur cette aura, il y a forcément une lecture qui relève toujours du fantasme. Au fond le Mage de Marsal n'avait pas l'air d'être un sinistre personnage, et son approche syncrétique l'était encore moins. Pourquoi traiter donc le sujet d'une manière si sombre ?
Parce qu'il y a un drame, fondateur, qui mettra cet être de l'ombre sous les projecteurs de son temps n'y voyant d'ailleurs rien. Ce drame, c'est la disparition de ses deux fils pour laquelle il aurait crié au secours puis alerté la police, persuadé qu'une secte concurrente les avait pris pour rançon. Car le Mage aurait refusé de livrer son ultime secret : sa méthode pour faire parler des statuettes.

La subjectivité qui se dégage de l'oeuvre, l'interprétation qui ne se résume pas à un ressenti sur le lieu, mais qui se nourrit aussi dans une documentation fournie, relève de l'art comme manière de traduire l'événement plus que comme une démarche descriptive. A aucun moment, que ce soit dans le film ou dans la musique, ne sera cherchée la limite entre le vrai et le faux. Elle sera même brouillée, ses contours flous accentués en usant de l'un et l'autre pour montrer et faire entendre ce qui importe le plus dans cette affaire : le mystère, et le doute.
C'est là toute la force du disque et du film (offert en téléchargement avec l'achat du vinyle), de rester des objets d'art et de n'avoir aucune prétention journalistique.

Les deux morceaux sont ainsi justement intitulés « Pascal » et « Gabriel », les deux disparus dont l'existence même fût remise en cause faute d'éléments la prouvant. Que dire donc de leur disparition ?
Cette affaire qui a déferlé sur la France et irradié la Moselle est une formidable loupe temporelle. Aussi, la musique fonctionne comme une copie carbone du monologue du film, avec pour point d'orgue le vacillement de la « norme » lorsque la caméra pénètre dans l'incroyable maison du mage. La voix se fait schizophrène, les propos se chevauchent, la musique revêt l'apparence d'une secte malade (alors que les valeurs prônées étaient plutôt d'ordre positives). Parce que cet objet naît dans le drame.

Matkormano, Mage de Marsal, ambient, soundtrack

Pourquoi avoir et écouter ce disque ? Parce qu'à son écoute on voit, on entend le film. Ce drone incessant comme une rumeur qui monte, initiale, qui finira par tout envahir. Des instruments méconnaissables, car il n'y a pas brouillard plus dense que celui naissant à la lumière du jour. La plongée dans la conscience dérangée, ou simplement autre, d'un homme pris dans la tourmente qu'il a enclenchée, le mystère d'un lieu, son histoire millénaire (Marsal produisait du sel depuis 2500 ans au moins). Une atmosphère qui d'emblée dépasse l'événement, comme si le lieu conduisait les protagonistes qui veulent se l'approprier. Voilà ce que raconte cette musique.

S'il y a un pari que le disque a réussi, et probablement involontairement, c'est sa capacité à se transplanter. Il pourra accompagner certaines lectures, voire certains moments, comme la bande originale de nos doutes. L'objet en soi, un superbe vinyle marbré (Specific Recordings soigne toujours ses sorties), n'est rien de plus que la métaphore de son contenu. Un objet mystérieux qui tente de communiquer avec Maurice Gérard, dont seule la tombe connaît peut être le secret.
Sorti de son cadre, il fera partie de ces expériences sensorielles qui se redéfinissent en repoussant nos perceptions.

Sortie en vinyle le 10 mars 2017 chez Specific Recordings

Le film a été produit par 529 dragons en 2015. Réalisé par Julien Louvet et Fabien Rennet.

Pour en savoir plus, sur cette page.

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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