Automatic City – Triple Ripple

Bien souvent, le troisième album pondu par un groupe est le plus important de sa carrière. Non pas le plus pertinent d'un point de vue des ventes, mais de celui de l'âme et de l'esprit. Un premier LP, c'est une invitation à la découverte. Le second, une affirmation de cette découverte qui peut se muer en vrai grand potentiel. Le troisième album est, quant à lui, la confirmation. Bon nombre de groupes ont raté la marche. Cette marche très précisément. Pensez-y. Nous sommes quasiment sûr et certain que vous saurez trouver un groupe répondant à ce propos sans vraiment forcer. Est-ce que cela est pertinent d’ouvrir une chronique ainsi ? Dans le cas présent, plutôt, parce que l’on va parler d’Automatic City ayant sorti sa troisième production le 26 avril dernier, la bien nommée Triple Ripple


Disons-le d’entrée de jeu, Automatic City est indéfinissable en soi. Groupe de blues explorant des thèmes et des sonorités de différentes scènes et époques du style, mettre des mots arrêtés sur cette formation n’aurait, n’a tout de façon absolument aucun sens. Promettant juste avec humilité un « blues pas chiant », nos compagnons de voyage Eric Duperray, Emmanuel Mercier, Zaza Desiderio et Raphael Vallade nous prennent par la main pour nous emmener dans un univers que nous pensons connaître sur le bout des doigts mais qui pourtant, écoute de cet album à l’appui, à encore beaucoup à donner et de quoi nous surprendre.

Immédiatement remarquable, le LP s’ouvre avec "First Ripple", trip complètement halluciné d’à peine 55 secondes à mi-chemin entre de l’expérimental, des lignes de percussions exotiques et la pure folie des images du cinéma de David Lynch. L’effet est là. On peut déjà sentir une vraie prise de risque avec cette ouverture, comme si l’objectif recherché était de déstabiliser l’auditeur afin de mieux le faire rentrer dans l’expérience. C’est exactement ce qu’il se produit avec l’impériale reprise du "Shrinking Up Fast" de Camille Howard. Une claque express, fidèle à l’originale tout en se permettant d’être enrichie sur le plan instrumental. Nous retiendrons les chœurs de Bruno di Placido et le chant d’Eric Duperray, superbe de justesse et de placement, se réappropriant sans problème le titre. D’un point de vue technique, nous pourrons d’ores et déjà noter que la production maison (et pour cause, Emmanuel Mercier [un des multi-instrumentistes du groupe] et Eric Duperray sont aux manettes) fait parfaitement son office. Le son prend la peine de respirer, on ressent la profondeur, il n’est pas question d’agression sonore mais encore une fois d’expérience complète.

"King Money King", composition originale, se veut plus rentre dedans, avec parties de sitar mis en avant. C’est une des forces sur cet album et de ce groupe : proposer des sonorités perdues d’oreille, parfois galvaudées ou moquées, dans une honnêteté qui impose le respect. Cela se sent réellement dans la qualité de l’écriture. Nous ne sommes pas dans le gimmick avec Automatic City, nous sommes dans un vrai témoignage d’amour à l’ancien. Un hommage qui sonne vrai.

Hommage toujours avec la réinterprétation, plus classique aux premiers abords, du "See My Jumper Hanging on the Line" de R.L. Burnside. Aux premiers abords seulement car l’on se rend vite compte que le groupe met sa patte durant la deuxième partie du morceau avec des effets, qu’ils soient musicaux ou sur le chant, comme perdu au fond d’une galaxie appelée « Blues ». Afin de donner une structure dans la tracklist de l’album, et non sans rappeler ce que l’on pouvait trouver sur bon nombre de disques de formations psychédéliques ou expérimentales, "Second Ripple" enchaîne très rapidement. Calé dans le rôle d’intermède, cet instrumental d’environ 1 minute 30 témoigne de cette association perpétuelle entre le Blues marqué par les guitares et cette ambition de proposer à la fois autre chose, comme sur le remuant "Tiger Man", originellement de Joe Hill Louis.

 

Automatic City, album
Crédits photo: Ange Bouchonnet


A la mi-album, le constat est sans appel. Automatic City est en train de réaliser un superbe coup : généreux, juste et prenant, Triple Ripple s’annonce à l’entame de sa « face B » comme une très belle réussite. De quoi poursuivre l’écoute sans barrières, ni à priori.

Voyons donc ce qu’a à proposer le titre original "Gas O Line". Pour être concis, c’est tout à fait du même tonneau que ce que nous avons pu avoir précédemment. Ça marche. La sauce prend. Pour être exact, il ne serait pas malvenu de dire que nous sommes en présence de la chanson étant la plus ancrée dans ces chères années 60. L’ambiance y est. Fermez les yeux, vous y serez. Continuant la balance entre composition originale et reprise, "Good Morning Little School Girl" (classique parmi les classiques du Blues et interprété en premier lieu par Sonny Boy Williamson en 1937) est sans avoir à retourner la question dans tous les sens un des tout meilleurs moments de cette galette. Eric Duperray, de par sa voix, fait revenir sur Terre le temps d’un titre le génie absolu Alan Vega. L’ex-première moitié de Suicide semble revenir à la vie et nous rappeler aux bons souvenirs de ses deux premiers albums solo, Alan Vega de 1980 et Collision Drive de 1981. Définitivement, "Jukebox Babe" n’est vraiment pas loin.

Après ce tour de force, "Animal Instinct", reprise également, retourne chercher du côté lancinant de l’album, très groovy, toujours accentué à un moment ou un autre par des effets analogiques. C’est comme si un jeu se déployait entre la musique et l’auditeur, comme si ces sons étaient des manifestations d’un autre monde que celui qui écoute se devait de rejoindre. La « trilogie Ripple » s’achève avec le titre éponyme : instrumental toujours, rondement mené, carré et efficace avec en prime un second batteur en la personne d’Arnaud Laprêt en supplément de Zaza Desiderio. On relèvera les voix sur la fin, très certainement extraites d’un show télé des années 60 qui, sans trop se mouiller, devrait être La Quatrième Dimension. Le clin d’œil est bien vu mais surtout justifié au vu de ce que nous propose Automatic City depuis le début de ce disque. Pouvait-il y avoir une autre référence possible ? A part David Lynch comme mentionné plus haut ? Pas sûr.

La fin de l’album se rapproche avec les deux derniers titres, "Oh How" et "Going Down South Reprise". Si le premier témoigne une nouvelle fois de ce Blues remanié, "Going Down South Reprise" (R.L. Burnside est à nouveau mis à l’honneur) franchit pour de bon le passage entre le plan de la réalité pour celui de l’inconnu, à grands renforts de lignes de boîte à rythmes, ce qui pour le coup est très perturbant. Comme si le groupe avait troqué sa face instinctive pour une apparence plus artificielle, plus futuriste… plus automatique. Mais après tout, quoi de mieux qu’après avoir exploré et fouillé dans le passé que d’oser se plonger dans le futur ? Enfin, le futur selon Automatic City.

Soyons honnêtes. Triple Ripple n’est pas l’album le plus facile à écouter, que ce soit par son style, son ambiance ou tout simplement l’univers que celui-ci tente de déployer avec brio. Ce mélange de Blues et de planement presque cosmique permanent aurait et aura de quoi en rebuter plus d’un, il n’en fait aucun doute. Cependant, et là aussi il faut être honnête, c’est un véritable bon LP. Et ce, de A à Z. Musicalement, nous sommes confrontés à un album où l’instinct à tout autant sa place qu’un plan millimétré, sans débordement, comme si l’âme d’Automatic City se devait de frapper de manière chirurgicale à certains instants T. Arriver à aussi bien conjuguer le passé et un futur maquillé pouvait très certainement être un coup à quitte ou double. Force est de constater que pour Automatic City, c’est un vrai coup de poker gagnant.

 

Tracklist de l’album :

1. "First Ripple"
2. "Shrinking Up Fast"
3. "See My Jumper Hanging on the Line"
4. "King Money King"
5. "Second Ripple"
6. "Tiger Man"
7. "Gas O Line"
8. "Good Morning Little Schoolgirl"
9. "Animal Instinct"
10. "Triple Ripple"
11. "Oh How"
12. "Going Down South Reprise"

 

Sortie le 26 Avril 2019 chez Wita Records

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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