Baston – Primates

"Ne rien poster pendant 3 ans puis se reconnecter au réseau social le plus has-been du monde pour vous annoncer qu'on sort un album chez Howlin Banana Records le 29 novembre, dont vous trouverez un modeste avant-gout spatial ci-dessous, vous appellerez cela comme vous voulez mais pour nous ça porte un nom : la science du buzz".
Page Facebook de Baston, 28 octobre 2019.

En 2015, Baston, trio rennais, publiait Gesture, et proposait un clip rétro montrant le groupe jouer le titre "Sword", immédiatement séduisant, en short dans les dunes de Keremma. Et puis, à la suite de ces débuts enthousiasmants, plus rien. Plus rien, jusqu'à ce message posté sur les réseaux, donc, annonçant le come-back d'un combo qu'on n'avait pas tout à fait oublié, mais que quand même, on pensait crevé dans une crique bretonne, étendu dans les algues, offrant par sa triple carcasse un abri sûr aux bulots. Mais ils sont en fait bien vivants, plutôt en forme, et ce sont même multipliés par 1,33334 : Baston est désormais un quartet. La sortie de cet album se révèle fort intéressante, pas uniquement pour ses qualités musicales : comme l'étonnement du type qui sort d'un coma de quinze piges nous fait réaliser que le-monde-a-sacrément-changé-dis-donc, parce que pendant qu'il faisait dodo à l'hôpital, nous parcourions du chemin et nous tenions la distance, la grosse sieste de Baston entre Gesture et Primates nous apporte également de précieux enseignements.

Deux axes d'observation s'imposent à nous, se distinguant parfois, s'emmêlant d'autres fois : il y a la façon dont un groupe adapte son contenu aux vibrations de l'époque, et la façon dont l'époque perçoit les vibrations d'un groupe. En 2015, le retour de hype de la pop sixties que portait un Ty Segall, depuis les States, avec Goodbye Bread (2011) et Hair (2012, avec White Fence), ou Temples, depuis l’Angleterre (Sun Structures, 2013) avait atteint la France : The Madcaps ou The Arrogants essayaient de figurer sur la prochaine compil Nuggets.

Baston, bien dans son temps, sortait Gesture sur Howlin Banana, et l’on s’accordait à trouver cette garage-pop solaire et pleine de good vibrations. Aujourd’hui, avec Primates, les ingrédients n’ont pas véritablement changé ; on retrouve rapidement ce qui faisait la particularité du groupe, des guitares gavées d’effets, des mélodies vocales nonchalantes. Simplement, comme la tendance n’est plus aux années soixante, mais plutôt à la décennie 80, le propos semble s’être refroidi, paraît céder à une mélancolie générale. La voix force sur le grave, se fait ténébreuse, new wave, quoi, mais nage toujours parmi les bans de guitares aquatiques hautement immersives, et les batteries en ligne droite, mécaniques, imperturbables.

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Toutefois, on ne parle plus à présent de psychédélisme mais de Motoric, dans tous les papiers. Une relecture coïncidant avec la redécouverte récente, si ce n'est du genre, au moins du terme krautrock (comme une suite logique à la vague de froid qu’a occasionné l’hégémonie post-punk) , depuis la réception des dernières productions de Oh Sees, à ce riche numéro que Gonzaï consacrait au rock allemand en avril. Baston pousse la presse en ce sens en s’en revendiquant dans les tags de sa page Bandcamp, « krautpop » (en même temps ils notent aussi hip hop, personne n’a repris ça), attirant l’attention sur quelques aspects précis : la présence nouvelle d’un synthé, ou ces sons évoquant de grands coups de pied dans des barils sur "Pyrolise". Les titres sont logiquement répétitifs, hypnotiques, on pense à "K2" notamment, qui prend vraiment le temps de tisser la transe ; on est donc dans le vrai en parlant ici de krautrock ; on aurait tout de même pu l’être aussi il y a quatre ans. Mais l’heure est à la célébration de tout ce que l’Allemagne a apporté au monde du rock, le froid, le sec, l’industriel, le mécanique.

Par ce renvoi à l’an 15, c’est également la trajectoire du label que l’on peut observer. Il n’a plus vraiment le même statut : alors en phase de décollage, il est à présent bien en orbite, s’est fait une place sûre parmi les maisons de disque qui comptent. Les chiffres ont gonflé : 2015 comptait cinq publications, contre neuf cette année, alors même que Th Da Freak s’est calmé et n’a sorti qu’un seul album. Mais étonnamment, pour Howlin Banana Records alors en pleine ascension, ce cru n’a pas été des plus pérennes. Jusqu'à cet album de Baston, sur cinq groupes publiés, un seul donnait encore des signes de vie, Anna, toujours en activité mais en sale concurrence nominative avec un groupe de Metal qui doit un peu péter leur référencement. Blondi's Salvation n'a pas donné de nouvelles depuis un an, la dernière activité discographique de Wild Racoon se limite à deux titres sur un split avec Grand Guru, et The Soap Opera n'a rien dit sur les réseaux sociaux depuis 2017. Avec le come-back inattendu de Baston, on s'attend à tout maintenant.

Sur le plan esthétique, l’évolution du son est parallèle à celle de Baston : en quatre ans, le synthétique a pris de l’importance en grignotant l’espace des psychédélies d’antan. Quelques mois après Gesture, les Madcaps sortaient Hot Sauce, Kaviar Special, publiait #2 ; aujourd’hui, les deux groupes ont splitté, et sur leurs cendres est né Carambolage, dont l’EP éponyme influencé post-punk est sorti en février.

En bref, Primates, comme jadis Gesture, est un album épousant joliment son époque. Non pas que Baston soit un vil gang de filous opportunistes ; on peut considérer qu’ils font plutôt la preuve de leur faculté à saisir les vibrations de l’époque, à les ingérer, se les approprier. On peut aussi simplement se dire que la sortie du disque coïncide, un peu au pif, avec une furieuse envie des gens qui écrivent des articles de placer le terme Motoric dans un papier, et que ça tombe assez bien. Quoi qu’il en soit, Primates remplit un espace qui venait tout juste de se libérer. Rendez-vous dans quatre ans pour comprendre, avec Baston, le son de 2023.

Sortie le 29 novembre chez Howlin Banana Records

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NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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