Artús – Cerc

Si la musique traditionnelle est parfois considérée comme quelque chose de poussiéreux, il s’est en réalité toujours trouvé aux quatre coins du monde des artistes pour la faire évoluer et ainsi la maintenir vivace. En France, si la musique celte tient le devant de la scène du côté du traditionnel, les autres régions ont aussi de sérieux atouts à faire valoir. C’est ce que prouve le groupe gascon Artús, qui livre son sixième album en presque vingt ans d’existence, Cerc, un mélange improbable et impressionnant des courants musicaux les plus divers.

Son premier album a beau dater de 2003, il sera probablement une découverte pour beaucoup en 2020. Et quelle découverte ! A dire vrai, cela ressemble plus à une claque. Le groupe crée depuis près de vingt ans une musique audacieuse, exigeante, improbable, qui ne ressemble à aucune autre.

Elle est sans conteste ancrée dans la tradition gasconne, mais elle la tord, l’altère, la mêle et l’entremêle tant que, si les racines ne font aucun doute, elle s’affranchit de ses règles pour créer un style à nul autre pareil.

Pour Cerc, le sixième album du sextette gascon, celui-ci prend une direction mystique. Il se concentre, en six longues pistes qui ensemble frôlent l’heure, sur la découverte, dans le massif calcaire de Pierre Saint-Martin (Pyrénées), du gouffre Lépineux en 1950, un gouffre immense (on y rentrerait la Tour Eiffel, selon le communiqué de presse) dont l’entrée à la surface est pourtant à peine visible à l’œil nu. De cette exploration scientifique, le groupe narre l’expédition, mais il s’en sert également de point de départ pour des réflexions plus abstraites, en convoquant notamment, avec un certain à-propos, le mythe de la Caverne de Platon.

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Qualifier la musique de troglodyte semblerait exagéré, mais il y a dans celle-ci quelque chose de profondément terrien, voire de souterrain. Les rythmes, les percussions, les chœurs graves semblent profondément ancrés dans le sol, et la voix de Mateù Baudoin, également violoniste, qui utilise des techniques utilisées dans les chants traditionnels gascons, renvoie à une idée de terroir – même si le mot, parfois utilisé de façon condescendante, ne rend pas justice à l’inventivité du groupe, et que le chant sait aussi se tordre en des effets improbables mais marquants. Et les percussions, (Thomas Baudoin, Nicolas Godin qui est également à la guitare, et Alexis Toussaint à la batterie)  tout comme les instruments électroniques (Thomas Baudoin), créent des effets caverneux, des échos qui semblent se répercuter contre les parois, des gouttes que l’on croirait tomber de stalactites.

Le groupe se démarque depuis sa création en interprétant la plupart de ses chansons en gascon, même si l’on trouve sur Cerc quelques passages en français. Si Artús  ancre sa musique dans la tradition, il n’en fait pourtant pas un carcan passéiste, bien au contraire : la plupart des groupes de pop et de rock n’ont pas son inventivité, son audace, son éclectisme. Il emprunte à la musique traditionnelle, donc, mais aussi au rock, à l’électro, au jazz, au metal, et mixe savamment tous ces éléments pour en retirer un son unique. Même si l’on pense parfois aux groupes de néo-folk plébiscités par les metalleux comme Wardruna ou Heilung, Artús  ne fait que s’en approcher sans tenter de les copier, préférant arpenter ses propres sentiers escarpés.

Si la formation trace cette route depuis son premier disque en 2003, elle est ici à son apogée en termes de maîtrise et d’expérimentations à la fois. Alors que sur ses anciens disques il arrive qu’on finisse par décrocher, tant la musique peut être difficile à appréhender sur la longueur, ici l’auditeur reste scotché du début à la fin, excepté peut-être sur le tout dernier morceau, « Las Mairs Apo », un instrumental inutilement long, minimaliste et monotone.

Mais sur les premiers trois quarts d’heure, c’est un voyage incantatoire, chamanique, bestial et poétique, terriblement contemporain et complètement d’un autre âge. Difficile de citer un passage plutôt qu’un autre, ce disque se vit comme une expérience globale, mêlant violon, vielle (Romain Baudoin), tambourin à cordes, synthés, percussions, basse (Romain Colautti), guitare, batterie. A l’oreille, la langue rugueuse semble coller parfaitement avec la musique, et c’est encore plus vrai avec les paroles et les traductions sous les yeux : les textes savent se faire très poétiques, presque aériens, pour parler de sujets de prime abord terre-à-terre, et élever ceux-ci à un niveau beaucoup plus métaphysique et spirituels – et c’est ainsi que la philosophie de la caverne de Platon s’immisce de nouveau dans ce disque, jusque dans la façon d’écrire les paroles.

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Cerc est indéniablement l’un des albums les plus marquants de ce début d’année. Il ne plaira pas à tout le monde : ceux qui s’attendaient à du rock mâtiné de néo-folk risquent fort de se sentir perdus. Mais pour ceux que les expérimentations ne rebutent pas, l’invitation au voyage mérite d’être acceptée sans tarder : on ne rencontre que très rarement un groupe pareil.

Tracklist
01. Nigredo - 10:58
02. Lépineux - 9:11
03. Halha - 7:09
04. Faust - 11:22
05. Albedo - 8:22
06. Las Mairs Apo - 11:05

Sortie le  27 mars chez Pagans / Inouïe Distibution

Plus d'infos sur le site du groupe 

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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