Une mythologie du rock en 10 points essentiels

Au vu de sa longue existence et de son importance, le rock ne fait pas exception à la règle qui veut que tous les grands mouvements aient leur mythologie propre. Rappelons qu'un mythe, à l'origine, est un récit fondateur censé parler à l'imaginaire, qui se transmet oralement, de génération en génération, et se transforme donc en permanence. Petite analyse extrêmement sérieuse de la mythologie actuelle du rock, en 10 points essentiels...

1 : Le rock, c'est cool

Au même titre que la boisson gazeuse et le skateboard font partie de la panoplie du djeun's chébran, la coolitude est en marche dès qu'on s'approche d'un rockeur (on notera pour la suite du texte que tout ce qui s'applique au rockeur peut aussi s'appliquer à la rockeuse, et qu'on ne retiendra le masculin que par commodité d'écriture). Le rockeur n'a pas forcément de style, il a plutôt une dégaine (cool, donc) ; le rockeur ne se prend pas la tête dans la vie, il prend les choses... à la cool, oui (y'en a 2 qui suivent, au fond). Il peut jouer du rock de merde dans un bar minable devant trois ivrognes, c'est pas grave, c'est cool, et de toute façon il est maudit (cf point 3). On peut donc facilement trouver dans la panoplie du rockeur plusieurs T-shirts cools, avec des guitares et des têtes de mort imprimées ; il est préférable de porter le T-shirt façon loose (style vestimentaire sublimé par le grand couturier Nirvana). La cravate n'est pas forcément incompatible avec le cool, mais le rockeur doit veiller en permanence à ne pas trop empiéter sur la mythologie punk-rock s'il ne fait pas de punk-rock (sinon on s'y retrouve plus, déjà que la mythologie c'est pas simple).

2 : Le rockeur, cet animal révolté

Les mythes n'ont jamais eu peur des contradictions. C'est pourquoi le rockeur a beau être cool (cf point n°1), en réalité dans son dedans il est super révolté. On pourrait dire qu'en gros, il est contre. Après, chaque rockeur trouve contre quoi, mais il est important d'être contre, pour être un rockeur crédible. Pour avoir l'air contre, il faut en général porter un perfecto - même le perfecto en faux cuir est tolérable, par exemple si on est contre l'abattage des animaux pour leur cuir ; les lunettes noires sont également essentielles - le rockeur n'est pas forcément contre le soleil, contrairement à ce qu'on trouve dans la mythologie du vampire, mais les lunettes noires sont là pour éviter le mal aux yeux après la cuite (cf point 3), et pour donner l'air sérieux (cf point 4).
La chose contre laquelle le rockeur est contre peut varier avec le temps ; en cas de doute, il peut commencer par annoncer qu'il est contre le Front National, en général ça passe bien, même auprès des gens qui insultent leur voisin ou leur chien. S'il est plus courageux, il peut être contre le parti politique dominant du moment, voire même contre la politique en général, mais là encore il risque de basculer du côté de la mythologie punk anarchiste, et ça fait un peu trop mélange des genres s'il joue à moins de 300 bpm.

3 : Le rockeur ou l'artiste maudit

« Tu sais, baby, je suis un artiste maudit et personne ne me comprend » peut sembler assez excessif dans une discussion musicale autour d'un apéro. Néanmoins, la malédiction fait partie du kit du rockeur crédible. Là encore, le rockeur peut choisir d'être maudit pour plusieurs raisons : personne ne l'aime (rockeur en train de draguer, cf point 8), personne ne comprend sa musique, le monde est moche (cf point 2), y'a plus de bières dans le frigo, tout ça en même temps, etc... Là encore, les contradictions ne l'effrayant pas, il est possible d'être un rockeur maudit et de réussir sa vie artistique ; le rockeur peut recevoir un chèque à cinq zéros pour chaque concert,  même passer en prime time à la tévé, il n'empêche que la malédiction le suit toujours («tu comprends baby, le pognon, c'est pas important », ou sa variante : « tu sais baby, moi je me rappelle d'où je viens, le quartier pauvre de Trifouillis, c'est là que j'ai compris la vie »).
Le problème, c'est que c'est pas naturel chez tout le monde d'être en permanence dans la peau d'un maudit, aussi le rockeur a trouvé un super moyen mnémotechnique : l'alcool. Le principe est simple : plus dure est la cuite, plus minable sera l'allure, et ça, ça vous pose son rockeur maudit en quelques verres. Donc le rockeur est obligé de boire beaucoup pour se rappeler qu'il est maudit (contrairement à une fausse mythologie qui prétend qu'il boit pour oublier qu'il l'est). En général, le rockeur comprend vraiment qu'il est maudit le jour où il débarque dans un studio pour enregistrer son premier disque : du coup, il se rend compte qu'il a oublié comment on fait pour jouer ces foutues chansons à jeun.

4 : Le rock, c'est sérieux

On oublie trop souvent de dire que le rock, c'est pas pour de rire. Même si c'est cool (cf point 1), c'est hyper sérieux. En général, il est facile de reconnaître un rockeur qui se prend au sérieux : il prétend le contraire. Le rockeur qui se prend au sérieux a aussi une façon particulière de monter sur scène (on dirait qu'il part au service militaire), et d'utiliser son instrument (il n'accorde pas sa guitare s'il est gratteux, ou bien il fait la majorette avec ses baguettes s'il est batteur). En même temps, c'est logique pour lui d'être sérieux, sinon il ne serait pas crédible quand il affirme qu'il est contre. C'est aussi parce qu'il est sérieux et maudit que le rockeur sourit assez peu, ou à des moments précis, et de manière précise (dans ses préférences on trouve le sourire en biais blasé, par exemple) ; s'il souriait de l'air du jeune musicien élevé en plein air et nourri au bon grain, mamie risquerait de le trouver sympathique vu que ça lui rappelle sa jeunesse ; or le rockeur préfère qu'on l'admire plutôt qu'on le trouve sympa (on a dit que le rockeur était cool, pas qu'il était humble).

5 : Le fromage préféré d'Eddy Mitchell, c'est le rock fort

Cette vieille blague sortie des tréfonds de Pif Gadget est là pour rappeler une réalité : le rock fait de préférence mal aux oreilles. Il y a plusieurs raisons à cela : outre le fait que le rockeur joue dans un groupe où le batteur cogne à fond tout le temps (pour prouver que y'a pas que le chanteur qui est contre), et que les guitaristes sont en guerre des volumes perpétuelle (c'est en fait une maladie, médicalement connue sous le nom de syndrôme Spinal Tap), il est important de rappeler que dans le rock, ce qui compte, ce sont les décibels. D'ailleurs le rockeur bien éduqué est, par principe, contre tout ce qui pourrait révéler sa semi-surdité : il préfère laisser les ear-monitors à ceux qui pratiquent le jazz (sauf si un jour on lui offre des ears cloutés en forme de guitare électrique, peut-être). Il serait également très ennuyé de devoir baser sa musique sur autre chose que le volume sonore, car il lui faut à la fois prouver qu'il est maudit (« personne ne comprend ma musique »), révolté (y'a que Ghandi pour réussir à se révolter dans le calme), et qu'il est contre (et comme il n'est pas encore très sûr de ses textes, vaudrait mieux qu'on n'entende pas trop bien). Comme en plus il est bourré quasiment au quotidien (cf point 3), l'avantage du gros volume c'est que ça tient réveillé au moins le temps de la répétition ou du concert.

spinal tap

6 : Sex, drug, and rock'n roll

Un jour, quelqu'un a trouvé cette formule, et tout le monde s'est mis à la répéter. Ce gars aurait du être embauché par le service marketing des plus grandes multinationales : ça le faisait trop, ça sonnait à la fois cool et révolté. Au final la formule est devenue un vrai leitmotiv, y compris pour les rockeurs qui ne savaient pas encore bien contre quoi ils étaient. Qui plus est, la formule ne faisait que prouver que le rockeur était véritablement maudit : car alors il se trouvait obligé d'en passer par une sexualité chaotique et transgressive (le bonheur n'intéresse pas la presse people ni les voisins), obligé de se droguer et de préférence en public (sinon c'est trop facile de faire semblant), et obligé en plus de faire du rock dans cet état-là (rappelons que par dessus le marché il est obligé de boire). Heureusement, il était possible, et même souhaitable, de mettre les amplis sur 11 (cf point 5) pour cacher le fait que, être rockeur, ça commençait à devenir compliqué. Là  où ça tombait bien en plus, c'est que le sexe malheureux, la drogue, l'alcool, et les amplis couinants, sont à la portée de tous les rockeurs, riches ou pauvres, célèbres ou obscurs, jeunes ou vieux : l'honneur était sauf, tous les rockeurs du monde pouvaient se donner la main, et la mythologie était en marche.

7 : Mickael Jackson était le roi du rock

Comme l'a expliqué un chroniqueur LGR dans un article bien intéressant, la pop est à l'origine un sous-genre du rock. Aujourd'hui, la pop a énormément évolué vers des horizons nouveaux, et c'est pratique : en effet, comme la musique parfois c'est n'importe quoi, quand on ne sait pas trop ce que c'est, on finit par appeler ça pop, du moment qu'il y a une guitare électrique. Du coup on ne sait plus trop bien ce qu'est la pop, parce qu'en plus elle n'a pas de mythologie propre. Par contre, ça présente un avantage : c'est que ça permet de faire autre chose que du rock, mais en bénéficiant toujours des effets bénéfiques de la mythologique du rock. Ainsi, de nombreux festivals rocks n'offrant pas de rock ont pu voir le jour à travers le pays. Il est donc possible de faire de la musique électro expérimentale et d'être qualifié de rock, à condition de respecter quelques-unes des règles précitées (ex : être contre et se droguer). Le public du festival étant lui-même rock (ex : il porte un perfecto et il est cool), au final, tout le monde se comprend.

8 : Le rock ça rend sexy

Le rockeur traîne avec lui toute sa mythologie en bandoulière : c'est lourd, mais  ça attire les filles / garçons / un peu tout (catégorie généralement désignée par le mot « groupie »). Faut dire que le rockeur est cool, sérieux, maudit, et contre ; donc sortir avec lui, non seulement ça donne presque l'impression de sortir avec quelqu'un d'original, mais en plus ça donne la sensation d'être soi-même cool, sérieux, maudit et contre, ce qui n'est tout de même pas rien. En effet, le rockeur est généreux, il fait bénéficier ceux qui l'entourent de son aura mythique ; c'est ainsi qu'on trouve dans les anthologies du rock des interviews de garçons de café ou de guichetiers de gare qui ne pratiquent pas le rock, mais qui ont eu par la suite leurs propres groupies. On finit donc par se trouver soi-même sexy en fréquentant un rockeur, et ce en n'ayant rien à faire, si ce n'est de lui faucher son perf ou ses lunettes pour sortir.
Pour le rockeur débutant qui aurait le malheur de tomber véritablement amoureux de son/sa/ses groupie(s), il est tout de même préférable d'avoir bien réussi sa carrière (ce qui, rappelons-le, n'est pas incompatible avec le fait d'être maudit) ; en effet, le sexy n'étant pas attaché à la personne qui pratique le rock, mais au mythe du rock qu'elle porte en bandoulière, il faut plutôt compter sur le sex-appeal du compte en banque pour retenir les groupies sur le moyen terme. Il serait souhaitable qu'un chroniqueur établisse un jour une mythologie des groupies, par souci d'exactitude scientifique.

9 : Rock is dead

Quand on est maudit, on n'est déjà pas loin des enfers, et pourtant, le rockeur s'accroche à la vie. C'est un peu comme quand on dit « le roi est mort, vive le roi », y'en a toujours un pour succéder aux autres qui choisissent de ranger le perf au grenier. Là où les choses deviennent compliquées, c'est quand le rockeur nouveau-né doit gérer une exigence évidente et vitale de volume sonore (cf point 5) avec la législation contre les nuisances, ainsi que la disgrâce dans laquelle semble tomber sa musique alors que sa mythologie continue de vivre (cf point 7). Ceci dit, en bon personnage mythique maudit, le rockeur sait survivre en conditions extrêmes et se satisfait bien de l'underground (comme les vampires d'ailleurs) jusqu'à l'avènement de jours meilleurs. Il est d'ailleurs étonnant de constater la multiplication des groupes rock dans tous les villages de France comptant plus de 5 habitants, et le succès croissant de petites radios alternatives n'ayant pas peur d'être cools, maudites et contre (cf LGR). On constate même, malgré la lutte de certains syndicats de rockeurs réactionnaires, l'apparition ponctuelle de groupes de rock jouant à volume audible avec des guitares bien accordées, ce qui prouve bien que le mythe reste en constante évolution.

10 : La rédactrice de ce texte n'aime pas le rock

La mythologie explique qu'en général, les chroniqueurs de rock sont soit des gens atteints de collectionite aiguë et qui trouvent marrant d'abuser des albums gratoches, soit des gens amers qui ont perdu goût à la vie  parce-que leur propre groupe de rock joue encore au PMU de Trifouillis ou bien a lamentablement splitté. Quoiqu'il en soit, le métier des chroniqueurs rock consiste à descendre les bons groupes d'un air écoeuré (« beuh, petit, je portais mon premier perf que tu découvrais seulement l'usage des couches-culottes »), et à pousser des hourras pour les groupes qui ont le bon goût de leur verser un pot de vin (où encore pour le groupe du neveu de celui qui présente le prime time à la tévé). Il met des notes aux disques qu'il écoute, comme à l'école, selon un système toujours très scientifique et méticuleux, car il est sérieux (cf point 4) ; il essaie en général de citer en comparaison des groupes obscurs (dont son propre défunt groupe si possible) pour essayer de rendre son discours plus profond (comme le rocker, le chroniqueur est cool mais pas humble). Le chroniqueur rock bénéficie évidemment de l'aura mythique du rock même s'il ne le pratique pas/plus. Grâce à l'aura rock, il peut rester cool en toutes circonstances, même en démolissant sur une chronique de 5 lignes un album préparé en 5 ans, ou en faisant des vacheries aux chroniqueurs de la concurrence.
Le chroniqueur contribue ainsi à entretenir la mythologie du rock et à la faire évoluer selon son humeur, ce qui est tout de même bigrement plus sérieux que de faire de la musique (d'ailleurs son défunt groupe n'a pas splitté, c'est lui qui a décidé d'arrêter de « perdre son temps avec eux, tu comprends baby ; mais j'ai d'autres projets en tête »). Pour terminer, un des plus grands avantages du chroniqueur rock est qu'il peut se permettre de chroniquer n'importe quoi sur n'importe quel sujet bénéficiant de l'aura rock : il y aura quand même des gens pour le lire... CQFD !

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