Los Bengala – Incluso Festivos

"le garage incarné, sans concession, un décapant surpuissant, j'ai essayé dans ma salle de bain et c'est dingue, plus une seule trace de calcaire."

Bon, l'album n'est pas si vieux que ça, il a même moins d'un an ; c'est quand même dommage d'être passé à côté au mois de mai dernier. Et comme le groupe vient d'annoncer qu'un nouvel effort verrait le jour en 2016, on en a peut-être encore le temps, hâtons-nous de nous mettre à la page. Ce serait balot de se priver de la fréquentation de mecs beuglant avec tant de panache dans la langue de Cervantes. D'autant qu'ils sont signés sur Dirty Water ce qui, en général, est plutôt bon signe.

C'est au moyen du format duo que les Espagnols de Los Bengala ont choisi de s'exprimer ; un parti pris en vogue ces temps-ci dans les circuits indépendants, plébiscité par toute une génération de jeunes types ayant décrété qu'en fait, on n'a pas vraiment besoin de ces enfoirés de bassistes. Galvanisés par une telle contrainte, qu'elle soit choisie ou subie, le champ des possibles s'éclaire d'une lueur nouvelle pour ses adeptes... Il est même indéniable qu'il y a un véritable « son duo » : de nombreuses formations partagent notamment un amour certain pour les ambiances garage sales et bruyantes, pour le riff rentre-dedans, ou pour les batteurs hyperactifs ; ces derniers, libérés par l'absence du mec bougon à quatre cordes marmonnant sans cesse d'obscurs diatribes où n'émergent pêle mêle qu'une poignée d'incompréhensibles anglicismes tels que « groove » ou « laid-back », peuvent alors envoyer le pâté en toute légitimité, et glorieusement en foutre partout pour le bonheur des membres sournois du lobby de la baguette.

Toutefois, si ces quelques éléments choisis font preuve en général d'une redoutable efficacité dans les salles/caves de concert, force est de constater qu'il est assez complexe d'enregistrer correctement de tels groupes, quand on n'a pas les moyens de Drenge ou de Royal Blood (les deux derniers représentants du power-duo, dans les 2014's, pour deux faces antagonistes d'un même combat, avant que Drenge n'embauche un bassiste de tournée l'an dernier). Si bien que souvent, de médiocres prestations studio viennent entraver leur progression lorsque le son est en-deçà de ce qu'attendait le public, la folie furieuse émanant du live n'étant que trop rarement captée comme il se doit, l'absence des fréquences les plus graves compromettant parfois le rendu final (concédons au moins ça à nos amis bassistes), en bref, une certaine molesse gangrénant le tout. Et c'est précisément à ce moment-là que l'on commence à parler de Incluso Festivos.

Ce premier album de Los Bengala est justement un véritable concentré d'énergie pure. Les originaires de Zaragoza ont pris le meilleur dans cette tendance au duo, et se le sont approprié pour composer dix morceaux proprement ébouriffants. L'étude approfondie du riff-simpliste-qui-tue, si chère au genre, est quelque peu délaissée, si ce n'est le temps de quelque incartade mélodique, au profit d'une guitare essentiellement rythmique ; à la batterie, plutôt que d'appuyer telle ou telle phrase de guitare pour la muscler artificiellement, Borja Téllez préfère soutenir cette rythmique, sans faillir, et débride effectivement la bécane pour marteler sur des tempos endiablés, sans jamais tomber dans l'excès, dans la démonstration technique stérile. On se situe alors, au niveau instrumental, plutôt dans la recherche de la frénésie glissante et continue que dans celle de la lourdeur à tout prix... lourdeur plutôt relayée par le chant constamment double : Borja, en même temps qu'il transpire sur les fûts, postillonne dans le micro pour unir sa voix à celle de son acolyte Guillermo Sinnerman ; ensemble ils beuglent comme deux chiens enroués hurlant à la lune (et empêchant tout le voisinage de dormir).

Et bien sûr, fait notable, c'est en espagnol qu'ils s'égosillent ; c'est le petit plus pour nous, auditeurs Français, que de profiter d'un peu de cet accent chantant inhabituel à nos esgourdes, restituant à leurs hurlements d'animaux une certaine dimension mélodique naturelle tout à fait charmante. Il est extrêmement intéressant de se confronter ainsi à un garage bouillant en castillan ; c'est tout à la fois déstabilisant, grotesque (l'imagerie kitscho-comique du groupe, désuettement féline, participe de cet effet), harmonieux et offensif (dans l'imaginaire collectif, les Espingouins sont des anarchistes, ou au minimum des insoumis, des révolutionnaires qu'il faudrait voir à pas trop chercher). On croirait en fait entendre une sorte de Carlos Santana punk sous cocaïne - enfin, sous encore plus de cocaïne je suppose ; une impression sans doute due au manque criant de références rock hispanophones du rédacteur de ce texte, mais quand même plutôt saisissante à entendre les tams-tams de "Máquina Infernal", comme si l'on passait les images du "Soul Sacrifice" de Woodstock en accéléré. L'introduction instrumentale est d'ailleurs du même acabit : "La Caza" s'ouvre sur une rythmique jouissivement tribale, batterie et congas de la pampa avant que la guitare ne vienne électriser le tout et re-situer la brousse dans un vieux garage humide.

Los Bengala, Incluso Festivos, Garage, Zaragoza

Mais c'est à l'occasion de "65 Dias" que la langue de Guillermo viendra flatter nos oreilles gauloises dans toute sa beauté (image délibérément ambiguë historie de coller avec l'érotisme latent du disque). Ce titre a beau être sensiblement différent de tous les autres morceaux de Incluso Festivos, il en est sans aucun doute le point culminant – non pas que les autres soient moins bons, simplement qu'au milieu d'eux, il brille de mille feux. Le minimalisme mélodique des titres précédents valorise par contraste cette mélodie-ci, pleine d'un lyrisme tout hispanique magnifiquement sublimé par la débauche continue d'énergie d'un groupe décidément pas avare le moins du monde. Il s'agit du morceau le plus long de l'album, le seul à dépasser les quatre minutes ; c'est également le plus riche, le plus abouti, le plus intense, puisque cette énergie si généreusement déployée se voue à l'expression d'une émotion intense, d'une mélancolie puissante. Bon, on se sent un peu honteux d'être comme des touristes à l'étranger devant une maison de village, « oh, c'est tellement typique ! », mais écoutez-le ; si on est ensemble, on est plus forts, ou en tout cas un peu moins ridicules.

Le groupe a également à cœur de nous montrer qu'il peut aussi, comme à peu près tout le monde, composer dans la langue universelle des brittons : "Perfect Body" est l'unique morceau anglophone du CD, et propose un rock'n'roll assez conventionel (comme si l'utilisation de la langue des Beatles les poussait naturellement vers les grandes routes bien plus - bien trop ? - fréquentées) à la composition tout ce qu'il y a de plus classique donc, mais à l'éxécution inévitablement explosive. On y préfèrera tout de même "Sé A Donde Voy", ou bien "Aaah". La première est le garage incarné, sans concession, un décapant surpuissant, j'ai essayé dans ma salle de bain et c'est dingue, plus une seule trace de calcaire. Quant à la seconde, elle est une véritable épopée punk adolescente probablement apte à faire se trémousser Felipe VI himself, tout en déflagrations, en accélérations, en phrases-balancées-bien-trop-rapidement-pour-qu'on-eut-pu-espérer-y-comprendre-quoi-que-ce-soit (ouais, exactement comme dans la macarena) et bien sûr, en « Aahahaaa » jolis en voix de tête.

Incluso Festivos se conclut sur "Jodidamente Loco"... « putain de fou », ou « putainement fou », enfin bref  c'est leur « fucking » à eux ; il s'agit quoi qu'il en soit du constat le plus parfaitement lucide sur l'état mental dans lequel il faut se mettre pour composer un tel album, et sur l'état mental qu'est le nôtre à la fin de ces 28 minutes jouissives. Normal, puisque notre cerveau manque cruellement d'oxygène : comme Incluso Festivos ne contient absolument aucun faux pas, ou qu'on n'a de toute façon envie d'en voir aucun, impossible de s'arrêter une seconde pour respirer, on est en apnée constante. Exactement le genre de sensations que seuls peuvent susciter d'obscurs groupes méconnus, de Zaragoza ou d'ailleurs, leur fièvre contagieuse, leur investissement sans faille.

Aucune date n'est prévue en France à ce jour, mais peut-être que ce nouvel album, annoncé pour cette année, changera la donne. C'est tout ce que l'on espère maintenant.

Crédits Photo : Nebra

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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