Rencontre avec The Craftmen Club

Les artisans rockers de Guingamp sortent leur quatrième opus "Colores". Un album enregistré dans les studios Kerwax et Near Deaf Experience en Bretagne et mixé en Angleterre par Jim Spencer (Oasis, The Charlatans, New Order, Liam Gallagher, Paul Weller...). Confortablement lovés dans les moelleux fauteuils d’Ephélide leur agence de promotion, nous avons devisé avec Steeve Lannuzel (chant/guitare), Yann Ollivier (batterie) et Robin Millasseau (guitare). Manquait juste à l’appel le bassiste Marc Corlett… Un entretien à leur image, sans chichis, détendu. Avec "Colores", ces passionnés tranquilles qui tracent leur sillon avec une détermination toute celtique, passent un nouveau cap en se frottant de plus près au français dans le texte. Tout en continuant à se revendiquer du boss Nick Cave ou du Gun Club, ils mettent également une dose de douceur pop dans leur rock fougueux et rugueux à souhait…

 

LGR Vous sortez votre 4ème album. Un petit flash-back rapide sur votre "carrière" ?

Steeve On s'est rencontrés à Guingamp et ça fait 17 ans qu'on joue ensemble…

Yann On a sorti un premier EP et enchainé avec les Transmusicales en 2002. Les Vieilles Charrues, le Printemps de Bourges en 2004. De vrais tremplins pour la suite ; le premier album en 2005, le second en 2009. Et le troisième en 2014...

LGR Un album tous les quatre ans donc… Il y a huit ans, vous faisiez la une de Télérama. The Craftmen Club, les "rockers de l'Ouest".

(Nos trois Craftmen se marrent à l'évocation de ce qualificatif…)

LGR Et la question suivante, qui vous était posée à l'époque, demeure toujours valable : "qu'est-ce que vous avez bien pu faire durant ces quatre années ???"

(Et ça se remet à rigoler…).

Steeve On a fait des enfants. On fait pleins de choses… Et certains d'entre nous ont eu d'autres projets parallèles durant cette période. La gestation de Colores a été également plus longue que d'habitude. La création des titres, leur enregistrement ont beau avoir été très rapides, il nous a fallu du temps pour trouver la bonne façon de finaliser l'album…

LGR Et peut-être la bonne personne pour vous y aider...

Steeve Oui, c'est pour ça qu'on a contacté Gabriel Barry, avec lequel nous avions déjà travaillé sur Thirty six minutes. On souhaitait un regard extérieur pour la réalisation de l'album. En fait, c'était un beau bazar qu'on avait sur les bras, y en avait partout ! Il nous a aidé à recadrer tout ça. On s'est enfermé avec lui dans un gîte, au fin fond du Berry…

LGR Dans quel coin précisément ? Y a Berry du Sud et Berry du Nord ! Pas la même chose...

Steeve Dans un petit village à la périphérie de Bourges, en fait. Gabriel a littéralement déstructuré les titres. Et à partir de là, ça a été très vite...

Yann Pour revenir aux fameux quatre années, il faut du temps pour digérer un album. L'année qui suit sa sortie, on ne se remet pas forcément à composer.

Steeve Et il nous a fallu également du temps pour trouver la bonne direction à suivre... Les premiers morceaux ressemblaient beaucoup à notre album précédent, Eternal life. Et ça me disait vraiment rien de refaire la même chose. On a toujours fonctionné comme ça. Chaque album, on s'en va ailleurs. Cette fois-ci, c'est vrai, on a mis un peu de temps à trouver cet ailleurs...

Yann Le but, c'est vraiment de se renouveler, de ne pas avoir l'impression de faire la même chose.

LGR Une démarche pas si courante. Une fois qu'il a trouvé le son qui lui convient, sa voie en quelque sorte, c'est rare qu'un groupe tente d'en changer…

Yann Paradoxalement, un chanteur peut se permettre de faire un album reggae, un album rock. Pas un groupe...

Robin Et c'est plus compliqué pour un groupe de sortir d'un carcan…

Steeve Mais du coup on ne s'ennuie pas ! Même si ça peut peut-être nous desservir.

LGR "Vous desservir"... Que veux-tu dire par là ?

Robin Tu peux prendre ton public à contre-pied…

Steeve Ceux et celles qui ont aimé Thirty six minutes, pour son côté folk et punk, ses références au Gun Club ne s'étaient déjà pas forcément retrouvé dans Eternal life. Mais on conserve tout de même une bonne base de fidèles…

The Cratfmen Club - Colores © Vincent Paulic
Photo © Vincent Paulic - de Gauche à droite : Steeve Lannuzel (chant/guitare), Yann Ollivier (batterie) et Robin Millasseau (guitare)

LGR Vos deux premiers albums avaient des relents de folk bluesy et une patate très garage. En 2014, pour Eternal life, vous citiez Midnight Oil, Talking Heads ou les Clash comme références. Et pour cet album ?

Steeve Nick Cave. Pour nous, c'est le patron.

Yann Millionaire, pour les arrangements de guitare. On est des gros fans de leur premier album.

LGR Vos précédents albums étaient majoritairement en anglais. En 2009, quand le Télégramme vous demandait si vous alliez "renoncer progressivement à l’anglais", Steeve répondait un catégorique "Non, parce que c’est la langue du rock" ! Avec Colores, c’est le français qui se taille la part du lion. Vous avez changé d’avis depuis ?

Steeve Et là, pour Colores, je dis... plus jamais d'anglais !

Yann Tu penses différemment quand tu en as quarante ans qu’à vingt. Les textes de Steeve marchent super bien en français…

Steeve Et sur Eternal life, l'anglais s'était imposé en fait.

Robin La maturité rentre en compte, c'est vrai...

LGR Et avec elle, le fait d'assumer de faire du rock, en français…

Yann Dans le même ordre d'idée, dans une interview de 2005, on évoquait déjà notre volonté de jouer moins speed. Et au final, il nous a fallu attendre cet album pour le faire… Une autre contradiction, mais qui respecte nos envies...

LGR L'envie est humaine après tout…

Robin Et cette notion "d'humanité", on tenait à la garder pour Colores.

Steeve Et le français nous a permis de plus nous livrer…

LGR Sinon on avait trois réponses - toutes positives - à proposer à la question du Télégramme :
A  On veut conquérir les auditeurs de Radio Nostalgie (qui comment chacun le sait, entrave que dalle à l’english),
B On a senti le vent tourner ; de plus en plus de collègues rockers s’y mettent…,
C Exit les "Vampires", "Charlie Watts", on est devenu plus matures et donc on parle en françois…

LGR Au vu de notre échange, ce serait plus C, donc…

Robin Oui, c'est le naturel qui a pris le dessus au final…

Steeve J'ai toujours été admiratif de ceux qui parvenaient à faire sonner le français. Taxi girl, par exemple…

Yann C'est aussi un cap à franchir. Tu peux en ressentir l'envie, mais pas te sentir prêt…

Steeve Oui, fallait se lancer et Gabriel m'a beaucoup aidé. Les chansons en français, impossible de les imaginer en anglais à présent. Alors que je serais tenter de faire une version française des titres en anglais. Mais bon, elles sont gravées comme ça...

The Craftmen Club © Titouan MasseÌ
Photo © Titouan MasseÌ

LGR Comment vous situez-vous sur la scène française actuelle ? Des "cousinages" particuliers ?

Yann On se sent un peu seuls...

Steeve Il y a surtout beaucoup de groupes avec lesquels on a tourné qui n'existent plus ! C'est notre côté vétérans… Et on est à Guingamp, un peu excentrés donc. Mais en même temps, c'est notre force d'y être demeurer. Si on avait bougé sur Rennes ou sur Brest, voire Paris, on n'existerait peut-être plus…

LGR Des villes avec des scènes plus actives, avec plus de groupes. Plus de "concurrence" donc…

Steeve C'est pas facile de "durer" dans ces villes.  Alors que nous à Guingamp, on est presque condamné à continuer…

Yann …et à se supporter !

Robin Et en restant à Guingamp, en n’appartenant pas à une scène d’une grande ville, on a sans doute plus de marges de manœuvres pour évoluer comme on souhaite. Ça peut avoir ses avantages et ses inconvénients…

Steeve C’est un choix.

LGR "Nos enfants rois" fait partie de vos chansons cryptiques. Lyrique, voire tragique avec son piano sombre. Ambiance parfaite pour cette histoire mettant en scène un couple incestueux et tragique... "Ma soeur, je meurs / Et tu meurs avec moi..." C’est Game of Thrones ou quoi ?

(Yann et Robin se marrent. Et Steeve rectifie de suite…)

Steeve Non, pas du tout ! Tu n'es pas le premier à nous en parler mais pour ma part, je ne regarde pas de séries… C'est plutôt une référence à Tristan Egolf et son "Seigneur des porcheries". Un roman des bas-fonds américains, des histoires tragiques mais belles malgré tout.

LGR Ceux qui comme nous, y voyaient une référence à GOT, ont sans doute remarqué que cette série évoquait un des grands tabous de notre société…

Steeve Sans doute… Pour accompagner ce texte, on voulait quelque chose de beau, surtout pas une musique violente. Je voulais raconter cette histoire et j'ai également posé ma voix pour ça…

LGR Ta voix est d’ailleurs particulièrement "mise en avant" sur Colores

Steeve Depuis que je fais du rock, j’ai entendu dire qu’il fallait rentrer la voix, pour faire comme les anglais. Jim Spencer, qui vient de Manchester, l’a au contraire mis "pleine balle" sans qu’on lui demande. Et quand tu écoutes les groupes anglais, la voix est bien en avant…

Yann C’est juste que pour les français, la voix, c’est un instrument parmi d’autres…

The Craftmen Club - Copie écran Clip - La Route
Image extraite du clip "La Route"

LGR "Last trip" est plus joyeux, voire dansant. "No more music, no more dance"…

Steeve C’est un titre composé il y a déjà quelques années, un peu différent donc. C’est la caractéristique de cet album ; la fin d’un cycle et le début d’un autre…

LGR Et "Elevator " fait très glam rock…

Steeve Oui, j’avoue, je suis fan de T-Rex.

LGR Si "Le Lac" est carrément pop, "Le Lustre" fait songer à du Brel dans sa musique des mots. Un grand Jacques qui aurait chanté du blues...

Robin On pense à "Chez ces gens-là"…

Steeve Je n’y avais pas songé… Mais je prends, je prends !

LGR En 2014, nos confrères d’Indiemusic annonçaient que vous aviez presque 1000 concerts au compteur. Vous les avez dépassé du coup ?

Steeve On a moins tourné ces dernières années. On comptabilisait tous les lieux, dont les clubs, les bars… On se produit maintenant dans des salles et c’est donc plus dur de tourner. Pas que pour nous d’ailleurs…

Yann De 2000 à 2010, on n’était pas sélectifs, on jouait tout le temps. Et comme pour le reste, maturité aidant, on s’est lassé de jouer dans les bars, devant un public pas toujours réceptif et jusqu’à pas d’heure…

LGR Votre tour 2017 reste tout de même très "atlantique", voire carrément à l’ouest…  A part, une date à Hendaye… et à Paris !

Steeve Oui, ce sera au Petit Bain le 21 novembre pour les 10 ans du label Quixotemusic. Avec deux autres groupes, Traditionnal monster et Captain Americano. Et le 22, on joue dans un lieu parisien "secret", surveillez notre page Facebook

LGR Si je vous donne l’ordre de ne plus jamais écouter ce disque, vous me répond quoi ? (Référence à leur premier skeud "I Gave You Orders Never To Play That Record Again !")

(Rigolades… encore et toujours…)

Steeve Je le réécoute !!!

Colores sort le 10 novembre sous le label Upton Park.

Un grand merci à Marion d’Ephélyde pour son accueil et sa disponibilité

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