Entretien avec Alexis de Lloyd

"Tout ce que nous renvoie le public actuellement, c'est que c'est une belle réussite et dans la lignée de ce qu'on faisait jusqu'à maintenant. C'est une évolution donc les gens ne sont pas perdus. Ils ont l'impression d'avoir un condensé de tout ce qu'on avait fait jusque là."

A l'occasion de la sortie de leur nouvel album Black Haze et de leur release party qui aura lieu jeudi 6 juin au Supersonic à Paris, Alexis chanteur, guitariste et fondateur du groupe nous a accordé en toute simplicité une interview. On a parlé biberonnage, matos, compos, rêves, tournées, famille ... la vie tout simplement.

Lloyd, Black Haze
crédit photo : Emilie Maugier

Pour commencer, pourrais-tu nous présenter le groupe ?

On est un trio parisien. On est formé depuis 2011, la date à laquelle Antoine, le batteur a rejoint le groupe qui au départ était formé de Loris, alias mon frère et moi-même. On est un trio rock/art rock, influencé par les années 70 même si on tire sur des sonorités plus modernes maintenant. Mais le cœur de ce qu'on fait est influencé par Pink Floyd, Supertramp, David Bowie, les Who etc. Pour l'instant, on évolue surtout sur la scène parisienne mais on est en train de booker des dates un peu partout en France et en Europe pour défendre cet album qu'on vient tout juste de sortir mi avril.

Les grosses influences seventies, c'est un choix personnel ou papa maman qui vous ont biberonnés au Pink Floyd ?

C'est sûr qu'il y a de ça : notre père nous a fait écouter Pink Floyd assez jeune. Pour Antoine, qui a dix ans de plus, il est né quasiment l'année de sortie de The Wall. Lui aussi a été biberonné à ce genre de groupes. Ce n’est pas une volonté vraiment de sonner années 70, c'est ce qui nous parle comme musique et c'est ce dont on se sert comme vocabulaire pour faire des choses plus actuelles. On a un orgue Hammond, un Wurlitzer et un Moog. Moi je suis à la guitare et on a une batterie donc on se retrouve sur des instruments qui étaient les instruments principaux de cette musique là.

Tu parlais de quelque chose de plus moderne. Vous avez d'autres influences plus actuelles ou vous restez dans un truc très vintage ?

On écoute du Archive, c'est un groupe qui nous a beaucoup inspiré pour ce côté lancinant, cyclique avec des longs crescendos. Il y a aussi des groupes comme Porcupine Tree, même si on est moins prog mais ça se retrouve dans certaines sonorités. On sent bien que Steven Wilson, il est biberonné à Pink Floyd ...

...surtout sur les derniers albums et ce qu'il fait en solo...

Ouais, ouais, moi mon album de prédilection de Porcupine Tree, c'est The Incident qui est très Pink Floyd. Après dans les trucs plus récents, c'est des choses plus rock comme Queens Of The Stone Age, Jack White ou du Royal Blood. Là on s'éloigne du coté 70 planant mais ça se retrouve un petit peu.

Vous avez créé le groupe en 2011, vous avez ensuite fait deux EPs, qu'est-ce qui vous a poussé à sortir un vrai album ?

Etant biberonnés aux années 70, l'album était une espèce d'évidence, c'était quelque chose qu'on avait envie de faire. On n'avait pas envie de continuer à sortir des EPs de quatre, cinq titres indéfiniment et surtout on a eu l'idée d'écrire un album qui soit vraiment une histoire et qui du coup devient même un opéra rock où on raconte une histoire au fur et à mesure de ces 11 titres. On avait déjà du mal à ne le faire qu'en 11 titres donc le faire en EP, ça aurait été mission impossible.

Vous n'auriez pas pu sortir un double album pour faire Pink Floyd ou The Who?

C'est un simple album en CD et sur les sites de streaming mais en vinyle c'est un double car il était trop long pour le caser sur un simple vinyle. Je ne sais pas combien de temps durent The Wall ou Tommy, ça doit durer une heure mais on doit être à peu près sur ce format là. Un format de 35-40 minutes c'était trop court pour cet album. Le morceau d'intro fait environ neuf minutes et celui de fin environ huit donc tu vois bien que rien qu'avec ces deux morceaux, on aurait éclaté le format EP dès le départ.

Le premier album a reçu de très bonnes critiques de la part de la presse. Au niveau du public, ça donne quoi ?

Tout ce que nous renvoie le public actuellement, c'est que c'est une belle réussite et dans la lignée de ce qu'on faisait jusqu'à maintenant. C'est une évolution donc les gens ne sont pas perdus. Ils ont l'impression d'avoir un condensé de tout ce qu'on avait fait jusque là. Je pense que les gens sont hyper contents surtout que pas mal d'entre eux nous suivaient déjà en concert et donc avaient entendus un certain nombre de ces morceaux là notamment "Black Haze", le morceau titre qu'on jouait depuis plus de cinq, six ans. C'est un morceau qui a été au cœur de l'album mais que les gens connaissaient déjà pas mal.

Justement, c'est ce morceau là qui vous a donné l'idée du concept des rêves ou c'est quelque chose que vous aviez plus avant ?

Au départ c'était déjà un morceau nébuleux sur le rêve mais sans concept très net derrière. Pour faire simple, il y a quelques années, j'avais rêvé de l'histoire de cet album en plus simplifié. Après j'ai pris le temps de développer tout le concept autour de ça. On s'est vu ensuite avec tout le groupe puis avec Léa Fauquembergue qui a fait tous les visuels et qui nous a aidé à travailler tout le concept de l'album pour essayer d'aller plus loin et chercher des nouvelles idées. Notamment on s'est servi des stratégies obliques de Brian Eno. Ce sont des cartes qu'il avait développées dans les années 70 pour sortir de la routine créative et essayer de créer des choses différentes. Par exemple, tu tires une carte qui te dit "accentue les défauts". Donc quand tu répètes, si quelqu'un se plante sur une note, il va faire exprès de répéter cette erreur pour essayer d'en faire un choix artistique. Tu as plein de cartes comme ça, je ne pourrais pas toutes te les citer. Par exemple, on est tombé sur une carte "Y a-t-il des sections" alors qu'on était en plein brainstorming sur l'album. Au départ on s'est dit "tiens cette carte on ne va pas la jeter car on ne savait pas trop ce qu'on allait faire. Puis on s'est dit : "est-ce que ça peut être des sections narratives ou des chapitres". C'est là qu'on a eu l'idée de numéroter les titres dans un autre ordre pour avoir un ordre alternatif qui raconte une autre histoire, un peu comme le livre dont vous êtes le héros. Tu te balades entre les chapitres et ça te crée une histoire différente et c'est ce qu'on a essayé de faire pour cet album. Je pense que de ce côté là c'est réussi même si c'est rigolo de voir que la plupart des gens ne voient pas cette double numérotation.

Tu conseillerais quoi justement sur l'ordre d'écoute : d'écouter l'album comme il est fait, de suivre la numération alternative ou de faire un truc encore plus aléatoire ?

Le but est que chacun s'en empare et se fasse sa propre expérience d'écoute. Nous on a une écoute suggérée : l'ordre dans lequel les morceaux sont mis sur le CD et le vinyle mais justement cet ordre alternatif est là pour se dire : si tu te le joues sur les sites de streaming ou ton logiciel d'écoute, tu peux t'amuser à le lire dans un sens différent ou pourquoi pas après te faire ton propre ordre. Comme c'est une histoire qui est racontée sur ces 11 titres, ça peut être marrant de proposer aux gens d'écrire un scénario à partir de la même base, que ce soit en illustration, en BD, en court métrage. On veut que les gens s'approprient l'histoire et qu'ils en fassent quelque chose qui leur est propre.

En studio, vous vous basez uniquement sur des instruments d'époque ou des recréations hardware et software? Et comment vous faîtes en live ?

En studio, on a travaillé quasi exclusivement avec du software pour les maquettes des Wurlitzer, pour le piano etc. Après on a transformé ces maquettes en réel avec un orgue Hammond qu'on possède, qui date d'il y a dix ans et dont on se sert sur scène. Les Wurlitzer ont été enregistrés en studio avec un vrai Wurlitzer et les pianos avec un vrai piano à queue. C'était dans un studio qui s'appelle CBE dans le 18ème. C'est un studio mythique de la chanson française où Gainsbourg, Dalida, Claude François ont enregistré là. Le studio a une âme assez incroyable et c'est là qu'on a enregistre les claviers. Pour les Moog, on a un vrai Moog Little Phatty, c'est analogique à commande numérique donc en live, on s'en sert. On a le vrai son Moog avec une facilité d'utilisation : on peut rappeler des presets. On a la facilité du numérique avec un son analogique et chaud. En live pour les pianos, et wurlitzer, c'est un clavier maître branché à un ordinateur.

Au niveau des guitares, c'est des amplis d'époque du studio ou des recréations ?

C'est tout avec mon ampli perso, avec lampe d'une marque qui s'appelle The Valve, une marque italienne. Çasonne super bien, ça a un son assez British : assez crunch et tranchant. Pour la batterie, on a enregistré ça dans le studio d'un batteur qui s'appelle Julien Tekeyan qui est une grosse pointure de la batterie. C'est lui le batteur de Féfé, par exemple. Il a été de super bons conseils : il nous a fait changer de caisse claire en fonction des morceaux et changer le jeu de cymbales en fonction des morceaux pour être plus cohérent : pour que les cymbales ne prennent pas trop de places et que la caisse claire soit plus tranchante ou plus douce sur certains morceaux. Ça a été un travail de fourmi au niveau du son pour avoir quelque chose de cohérent ou différent.

Au niveau de la prod, elle est hyper précise et de qualité pour un premier album, ce qui est rare pour un groupe très peu connu. Comment avez-vous réussi à obtenir ces studios et ces conseils pour ne pas sonner comme un petit groupe qui enregistre dans son groupe à l'arrache ?

Déjà à la base, je suis ingénieur du son donc c'est mon boulot d'essayer de faire sonner les choses correctement. En ce qui concerne le studio où on a enregistré les batteries, Antoine, notre batteur connaissait Julien. On a payé trois jours de studio. Pour les claviers, c'était un deal passé entre Loris et le propriétaire du studio car il avait bossé pour eux une fois et ils nous ont proposés d'enregistrer toute une journée. Pour les guitares, c'était dans notre local. Au final, tout le mix je l'ai fait dans mon home studio et enfin le mastering, on l'a fait faire à Amsterdam, dans un très bon studio qui s'appelle Amsterdam Mastering. C'est toute une succession de chose qui a pris beaucoup de temps. Le crowdfunding qu'on a fait sur Ulule nous a permis de financer une bonne partie de tout ça.

Penses-tu justement que le crowdfunding est nécessaire pour un groupe comme vous ou vous pourriez vous en passer ?

Ça dépend de ce qu'on veut faire. Si on avait voulu faire un EP avec les moyens du bord, on aurait pu s'en passer. Mais là on avait envie de monter d'un cran et de pousser la barre. C'était donc nécessaire d'avoir un financement supplémentaire pour payer des journées de studio, le mastering et le pressage car mine de rien, un double vinyle en 300 exemplaires, ça coute très très cher. Si tu rajoutes le pressage des CDs, ça fait des coûts très importants. Donc pour pouvoir diffuser l'album à cette échelle, on aurait jamais pu faire sans.

Vous avez l'intention de faire un deuxième pressage ou vous comptez vous en arrêter là?

Si les vinyles et les CDs sont écoulés, on refera un autre pressage. L'idée c'est d'aller trouver un distributeur physique pour être distribué comme la FNAC et Cultura. Si ça prend, il faudra de toute façon refaire un pressage pour subvenir à ces demandes.

A propos de l'avenir, un premier album en amène un deuxième. C'est quelque chose qui est dans votre tête ou alors vous voulez digérer le premier, faire des lives et voir après ?

On envisage déjà de faire un autre album mais on n'est pas entré dans la phase de compo. On veut faire tourner celui là en concert, en France et en Europe. On a même un projet de tournée au Canada, pas pour tout de suite mais c'est dans les tuyaux. Peut-être même que cet été au fur et à mesure des répètes, il y aura des choses qui sortiront. Je sais que moi j'ai des textes et quelques maquettes dans les cartons donc dès qu'on sentira que c'est le bon moment, on passera au deuxième.

Au niveau compo, chacun vient avec les maquettes déjà formées ou alors vous créez à partir d'impros ?

Jusqu'à maintenant, c'était surtout à partir de maquettes amenées par Loris et moi-même et après on retravaillait tous les trois et différentes manières de jouer un même morceau puis affiner. A la base, ça vient de maquettes préparées en amont mais ce qu'on s'amuse à faire ces derniers temps, c'est de démarrer par une jam pour voir ce qui peut en ressortir.

Tu parlais d'une tournée au Canada juste avant, tu sais déjà quand ça va arriver ?

Le Canada ça va être pour le printemps ou été 2020, le temps de tout organiser, les visas, faut bien prévoir. Pour l'Europe, ça peut venir un peu plus vite. Il y a des salles en Allemagne qui sont intéressées. L'Allemagne et l'Europe de l'est sont sensibles à la musique rock et progressive donc ce sont des endroits où on pourrait présenter notre musique.
Et pour la France on est en train de se bouger pour trouver des dates à partir de septembre. On a déjà quelques dates cet été, mais des dates ponctuelles.

Vous organisez votre release party le 6 juin, tu peux nous en parler de ce gros événement avec du live notamment ?

Ça va être la première date où on joue l'album en intégralité dans un ordre différent de celui de l'album et de la numérotation alternative. Ça apporte plus de cohérence en live et ça va être l'occasion de voir la réaction des gens et de notre public. Il y a des morceaux qu’on n’a pas encore joué en live donc ça va être une première, un baroud d'honneur. Ça va être la première date où on peut présenter les vinyles au public. Même s'ils sont en vente sur le site internet, ça sera autre chose de les présenter au public. Ça va être un beau moment d'échange surtout que le Supersonic, c'est une salle qui nous tient à cœur. On y joue deux à trois fois par mois car on fait beaucoup de soirées de reprises lors du night club et donc c'est une salle où on se sent à la maison. On est chez nous, on joue à domicile et on est serein sur les conditions dans lesquelles on joue.

En parlant de reprises et du Supersonic, parles nous du type de covers que vous faites ?

C'est surtout des reprises des années 60/70. Il y a aussi une soirée tous les deux mois qui s'appelle "la trilogie du samedi" avec des génériques de séries des années 90/2000. On fait un medley d'une heure avec les "tortus ninjas, Pokémon, Friends, Buffy..." en gros l'intégrale "téloche" de ces années là. On se marre bien, on sait que ça va être blindé et les gens sont super réceptifs. C'est que des cartons et on est assez confiant sur notre interprétation donc quand on arrive sur scène, on est sereins et détendus. C'est juste du kiff pendant une heure et quart. On prend plus d'assurance sur scène et ça se ressent quand on refait des concerts avec Lloyd avec nos compos. Pendant une longue période on n'avait fait que des reprises et quand on est revenu avec nos compos, on se sentait plus à l'aise car scéniquement on savait qu'on était capable de s'en sortir avec des pépins. On est plus soudés.

Au niveau compos, vous faites des impros sur scène comme dans les années 70  ou c'est quelque chose de figé comme sur CD ?

C'est relativement figé et on joue sur des séquences. Toutes les parties d'orchestres elles sont présentes en live avec des séquences envoyées en temps réel. On joue sur une piste de tempo mais on a un système pour boucler certaines parties donc sur certains morceaux on a des plages d'impros et il nous suffit d'enlever la boucle et on repart sur le reste. Avant on était vraiment figé sur le morceau et justement c'est les soirées au Supersonic avec ces phases d'impro qu'on faisait souvent qui nous ont données envie d'appliquer ça pour nos compos : se laisser plus de liberté avec plus d'impro.

Pour la release party, vous allez jouer juste l'album ou aussi des morceaux d'EP ou des reprises ?

Pas de reprise, l'intégralité de Black Haze et des morceaux des anciens EP, pour un total d'une heure et quart.

Lloyd, Black Haze
crédit photo : Emilie Maugier

Puisque vous avez formé le groupe de façon familiale, pas trop compliqué de bosser avec son frère ?

Au contraire. On a qu'un an et demi d'écart avec Loris et on a une relation quasiment de jumeau. On a tout fait ensemble, on a été dans les mêmes écoles, jusqu'au lycée on était ensemble, on habite dans le même quartier, on se voit 2 fois par semaine pour les répètes et juste comme ça entre nous. C'est mon frère et mon meilleur pote donc c'est ce que je souhaite à tous les frangins de la terre : d'avoir la relation qu'on a Loris et moi. Et même avec Antoine, depuis qu'il a intégré le groupe. A l'époque je ne le connaissais pas, c'était Loris qui le connaissait et depuis c'est devenu mon meilleur pote aussi. Il y a aussi une complicité et c'est pour ça qu'on l'a baptisé Antoine Lloyd : on est vraiment comme trois frangins et c'est ce qui se ressent sur scène : une complicité, une belle osmose.

Et papa maman, avoir deux saltimbanques, ça leur a pas trop fait peur?

Ca leur fait plaisir surtout le père qui nous a biberonné à Pink Floyd, il est plutôt heureux de nous voir, nous éclater avec la musique. On a tous les deux des métiers à côté mais qui tournent autour de la musique. On reste des saltimbanques et fiers de l'être.

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